Dans une ruelle du vieux Buca, agréable et ancien quartier de villégiature estivale à Izmir, une façade de faible hauteur attire le regard. Des objets et images hétéroclites ornent le mur. Qui peut bien se cacher derrière la porte ? Poussons-la pour en savoir plus…
Derrière la poussière habituelle qui se dégage d’un atelier de menuiserie traditionnel, une seconde porte permet d’accéder au saint des saints, le lieu de travail de Çetin Denizci, luthier. Âgé de 67 ans, Çetin, originaire de Dikili, petite ville égéenne à 125 km au nord d’Izmir, nous raconte son histoire, un doux sourire permanent accroché aux lèvres.
Des débuts hésitants
Cet artisan passionné par son travail, est arrivé là par pur hasard, comme il le confie. Diplômé d’un institut d’art, département bois et cuir, en 1976, à l’âge de 20 ans, sans aucune connaissance et juste intéressé, il fabrique son premier violon.
Après son service militaire, il se marie. Son père et son grand-père étaient agriculteurs. Ils ont vendu leurs propres terres, en ont loué d’autres pour les travailler et en vivre mais tous les gains passaient dans le coût de location. Après son mariage, Çetin travaille à la ferme durant un an, mais la situation financière est vraiment mauvaise. Il habite avec son épouse à Dikili et décide d’aller à Izmir pour trouver du travail.
Il contacte un menuisier à Karabağlar, un quartier d’Izmir et commence à travailler pour ce fabricant de mobilier. Rapidement, il se rend compte que ce travail n’est pas fait pour lui. C’est très fatiguant et difficile, il faut soulever des poids conséquents. Il décide alors de revenir à Dikili, mais, par hasard, grâce à son beau-frère, il fait la connaissance de Şahin Sert, fabricant et joueur de qanûn, un instrument à cordes pincées de la famille des cithares sur table et très populaire en Turquie. Il lui propose de travailler ensemble, proposition acceptée. Pendant 5 ans, Çetin va ainsi progresser dans la fabrication de ce bel instrument. Il appréciait beaucoup Şahin qui a tourné dans des films avec Zeki Müren en jouant du qanûn.
Son maître ne répare pas de violons et Çetin, après avoir obtenu l’accord de ce dernier pour procéder à des réparations, découvre ainsi un peu plus l’univers des instruments à cordes.
Au début des années 80, des violons très anciens commencent à arriver entre les mains du luthier. En procédant à leur réparation, il commence à bien maîtriser le sujet, et au bout de 5 ans, il fabrique son second violon ; ce dernier va trouver place à l'Institut de formation de Diyarbakir. Cette création donne un coup de fouet à l’essor du travail de Çetin et de son maître.
L’atelier actuel de Çetin est son 13ème lieu de travail et il s’y trouve depuis 13 ans. Le premier était situé près de l’agora d’Izmir, où les étudiants de la faculté de formation à Buca ont commencé à apporter leurs violons et violoncelles à entretenir ou à réparer. Un jour, ils font la remarque à Çetin qu’il ne vient jamais à l’université pour boire un thé avec eux. Il finit ainsi par s’y rendre pour discuter. Ils lui proposèrent alors de déménager son atelier dans l’université. Avec l’accord des doyens, l’atelier quitte ainsi l’agora en 1995-96 pour s'installer dans le département de musique de la faculté d’enseignement de Buca.
Il y reste 5 ans en travaillant à titre privé et y croise d’excellents élèves. Lorsque les étudiants sont en pause, ils viennent tous à l'atelier. Chacun y apprend quelque chose et la relation entretenue avec Çetin n’a pas été interrompue à ce jour.
Dans son atelier actuel, on trouve aussi un secteur réservé à la menuiserie classique. Y oeuvrent Emirhan et Mesut à qui il donne aussi des travaux de ponçage et de polissage de violons. Son gendre Tayfun travaille également sur place, de même que son fils qui a aussi appris à fabriquer des violons. Des étudiants viennent aussi régulièrement prendre des cours pour apprendre le métier.
Transmettre le savoir
Çetin souhaite établir son entreprise dans une école pour former des étudiants afin de perpétuer son art et son savoir-faire, comme il l’a fait avec son fils. Son petit-fils Efe, âgé de 5 ans, ne sera pas laissé pour compte.
Çetin fabrique à la fois de nouveaux instruments, les répare et les entretient, que ce soit des violons, des uds, des bağlamas, des mandolines, des saz ou des harpes.
Ses clients ne sont pas que locaux. Un alto est venu d'Ordu le mois dernier pour être remis en état. Une fois renvoyé à son propriétaire, il demande à son client comment il trouve la qualité du son, s’il perçoit un changement de celui-ci par rapport à son état précédent. Çetin effectue parfois quelques modifications en utilisant un autre arbre qui donne un ton 1,5 plus haut que celui de l'épicéa, mais il ne nous en dira pas plus sur l’identité de l’arbre en question tant que le brevet n’est pas déposé quant à cette découverte…
Çetin a également des clients à l'étranger. Il y a 5 ans, il a fabriqué un alto destiné à un musicien hollandais qui l’a fort apprécié. Il a aussi conçu un violon pour des enfants en Allemagne. Çetin a également réalisé un violoncelle envoyé à Bakou pour lequel il a fait une longue recherche. En fait, un son de loup totalement détestable sortait de l’instrument. Au bout de 6 années de travail, il finit par fabriquer 8 violoncelles sans aucun son de loup dont celui parti pour l'Azerbaïdjan, une vraie réussite selon lui. Là aussi, il compte bien déposer un brevet.
Lorsqu’on lui demande quel est l’instrument sorti de ses mains qu’il préfère, c’est en fait un alto qu’il a réalisé récemment pour une jeune étudiante diplômée de musique. 7 à 8 mois de travail ont été nécessaires pour obtenir le résultat escompté. Il a demandé à un ami de l’accorder et d’en jouer. La cliente qui l’a beaucoup apprécié, tant pour sa couleur que par rapport à ses souhaits spécifiques, a envoyé quelques vidéos à Çetin. Ce dernier le considère ainsi comme un de ses instruments favoris car il possède un son de très haute qualité. Même s’il aime toutes ses créations, selon lui, celui-ci sort du lot.
Çetin nous présente ensuite une mandoline, instrument de la taille d’un violon et dont l’enseignement était très courant en Turquie dans les écoles de musique. Le système d’accord et le chevalet ont les mêmes caractéristiques et distances que les violons, et chaque joueur de mandoline peut ainsi aisément jouer du violon
Le qanûn posé sur sa table de travail a été réalisé avec du bois sec âgé de 25 ans. Il est composé de tilleul, de charme, de palissandre d’Afrique et d’épicéa. Ce dernier arbre est un des favoris de Çetin, tout comme l’"arbre papillon" (Bauhinia purpurea - “kelebek ağacı”).
Un instrument très spécial est visible dans l’atelier. Il s’agit d’une toute nouvelle création, le “kabak kemane” - violon courge -, que Çetin a d’abord considéré comme basique. Il possède un son extraordinaire, mais par temps de pluie ou lorsqu’il fait très chaud, l'accord peut changer parce qu'il absorbe l'humidité. Çetin a vu qu'il était préférable d'utiliser de l'épicéa ; le corps a été réalisé d'une seule pièce, sans aucune attache, c'est sa particularité. Un mois de travail a été nécessaire pour sa réalisation, bien peu de temps au final.
Les yeux du luthier brillent en permanence lorsqu’il parle de son métier, une véritable passion, respect et admiration monsieur l’artisan !
> Contact : Sailor Muzik - Çetin Denizci
Dumlupınar, 76. Sk. No:12, 35390 Buca/İzmir
Tel: +90 554 914 04 71
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