Entre ceux qui en consomment trop, ceux qui en manquent, ceux qui la gaspillent et ceux qui n'y ont pas accès, l'eau n'en finit pas de faire parler d'elle. Ressource indispensable et pourtant si mal répartie.
En cette journée mondiale de l'eau, Lepetitjournal de Jakarta a décidé de se pencher sur le sujet et de faire appel à Claire Quillet, géologue de formation, riche de 18 ans d'expérience en Indonésie qui est une spécialiste de l'eau et de l'assainissement.
Selon le dernier rapport de la Banque mondiale datant de juin 2018, plus de 663 millions de personnes dans le monde n’ont toujours pas accès à une source d’eau potable protégée. En Indonésie, selon le rapport de juin 2016 du programme de surveillance conjoint de l’UNICEF et l’OMS, 89 millions de citoyens soit plus de 30 % de la population n’ont pas accès à une source d’eau potable.
De l'indépendance à nos jours
Il court dans Jakarta des canalisations qui datent de la colonisation hollandaise. À l’indépendance en 1945, la gestion de ce réseau a été confiée à une société nationale connue sous le nom de PDAM. Son but était d’organiser la réduction ou au moins la diminution du pompage des eaux souterraines profondes à but commercial et de garantir l’accès à une eau de qualité pour la population. Malheureusement, à partir de 1996 la compagnie a fait face à des difficultés de type managériales et financières qui ne lui permettaient plus de remplir sa mission. En 1998 le gouvernement de Jakarta a alors décidé de mettre en place un partenariat public-privé et de signer un accord avec deux investisseurs privés : la société française Suez (Palyja) et la société britannique Thames Water, appelée aujourd’hui Aetra.
Un réseau de distribution en piteux état
Le problème de l'eau à Jakarta est tout d'abord une conséquence directe du mauvais état des infrastructures. Les canalisations qui parcourent près de 80 km depuis les collines surplombant Jakarta où se situe le réservoir principal laissent passer les résidus humains et les déchets qui souillent les eaux d’approvisionnement . Même si cette eau est traitée par la centrale d‘épuration de la capitale, elle circule ensuite dans un réseau de distribution lui-même en tellement piteux état que l’eau qui arrive au robinet de chaque maison à toutes les chances de ne plus être potable. De plus, comme il n’y a pas de système de tout à l’égout à Jakarta, la plupart des eaux usées sont rejetées dans des fosses septiques généralement creusées au fond des jardins. Ces fosses mal construites ou obsolètes font que bien souvent les eaux usées finissent directement dans la nappe phréatique.
L'affaissement des sols facilite la présence d'eau de mer dans les puits
30% de la population de Jakarta utilisent l’eau des rivières et des nappes phréatiques pour se laver ou boire, puisant l’eau de puits creusés dans leur propriété. Cela engendre un phénomène d’affaissement du sol et une invasion des puits par l’eau de mer. Ainsi, en 2017, il a été rapporté des présences d’eau de mer dans des puits situés à Blok M, à plus de 15 km de la mer. Lorsqu’elles ne sont pas remplacées par l’eau de mer, il a été mesuré que plus de 80% des eaux souterraines sont polluées par des bactéries à l’origine d’affections pathogènes comme l’Echerichia coli . Car il est à noter aussi que les conditions sanitaires dans la capitale sont toujours critiques, sachant qu’à peu près 45 000 personnes n’ont pas accès aux toilettes dans la ville.
Le rythme d’urbanisation rapide de Jakarta et le manque d’investissements dans la construction et la maintenance des infrastructures de l’eau ont conduit à cette situation. Alan Thompson, président directeur de PALYJA, a d'ailleurs déclaré récemment "L'un des plus grands défis de l'Indonésie est certainement la distribution en eau potable et en particulier à Jakarta. Il existe de nombreuses choses à faire en coopération avec PT PAM JAYA dans le développement de stations de traitement d'eau. Toute la difficulté est de fournir un service d'approvisionnement en eau potable à un prix abordable. "
Une bonne habitude datant de la colonisation
Néanmoins, il n’y a pas de déclaration d’épidémie majeure en ville, ni dans le reste du pays d'ailleurs. Il est vrai que pendant la colonisation hollandaise s’est répandue à travers l’archipel l’habitude de faire bouillir l’eau avant de l’utiliser. Aujourd’hui encore, tous les Indonésiens considèrent cette pratique comme normale, ce qui réduit considérablement les risques d’épidémie de gastro-entérite notamment. De nos jours, expatriés et classe moyenne ne prennent plus le temps de faire bouillir leur eau avant de la boire et se tournent vers l’eau en bouteille. L’Indonésie consomme plus de 10 milliard de litres d’eau en bouteille par an ce qui en fait un des plus grands groupes de consommateurs en Asie. Quand il y a si peu de confiance dans le système gouvernemental de fourniture d’eau propre à la consommation, pas étonnant que le business de l’eau en bouteille soit en pleine explosion.