Depuis plusieurs mois déjà, les chambres de commerce étrangères en Chine tirent la sonnette d’alarme. Elles qui, hier encore, défendaient ardemment l’attractivité du pays, rapportent qu’aujourd’hui une part non négligeable des firmes étrangères songent à réduire leurs investissements dans l’Empire du Milieu, confrontées à un environnement d’affaires de plus en plus « politisé » et à une politique « zéro Covid » aux conséquences « imprévisibles ».
Les étrangers boudent la Chine
Selon un sondage de la CCI France-Chine réalisé ce mois-ci, 43% des entreprises-membres n’envisagent pas d’accroître leur présence dans le pays durant les trois prochaines années et 16% considèrent même la réduire.
Ce constat vient contredire les statistiques du ministère du Commerce chinois qui révèlent que le montant global des investissements étrangers (IDE), notamment du Vieux Continent, n’a cessé de croître ces dernières années (+15% au 1er semestre 2022). Or, à y regarder de plus près, cette augmentation serait essentiellement le fait d’une poignée de grandes entreprises européennes.
Les allemands sont largement leaders
D’après une récente étude du groupe Rhodium, « les dix premiers investisseurs européens en Chine au cours des quatre dernières années ont représenté en moyenne 80 % du total des investissements dans le pays contre seulement 49% entre 2008 et 2017 ». Parmi ces investisseurs, de grands groupes industriels allemands, comme Volkswagen, BMW, Daimler et BASF qui à eux seuls ont totalisé un tiers des sommes investies depuis l’Europe entre 2018 et 2021.
L’exemple le plus récent est l’inauguration en grande pompe le 6 septembre par le chimiste BASF d’une nouvelle usine à Zhanjiang (Guangdong) pour un investissement record de 10 milliards d’euros d’ici 2030. Fait rare, le vice-premier ministre exécutif, Han Zheng, avait fait le déplacement pour l’occasion (cf photo), aux côtés du secrétaire du Parti de la province, Li Xi. « En tant que premier projet dans le secteur de l’industrie chimique lourde contrôlé à 100% par un acteur étranger, le site de Zhanjiang est une nouvelle preuve de la détermination du pays de s’ouvrir davantage (…) en dépit d’une situation internationale complexe et de la pandémie », claironne l’agence Xinhua.
Les acquisitions sont au point mort
Pour le reste des acteurs européens, la situation est tout autre. De nombreux groupes installés en Chine préfèrent remettre à plus tard leurs nouveaux investissements et amorcent déjà un triple « découplage » (du personnel, des chaînes d’approvisionnement et de leurs données) entre leur filiale chinoise et le reste du groupe – ce qui peut paradoxalement donner lieu à de nouveaux investissements.
Pendant ce temps, aucune nouvelle entreprise européenne n’a choisi d’entrer sur le marché chinois et les acquisitions d’entreprises chinoises sont au point mort… Autant d’éléments qui démontrent que l’économie chinoise n’est pas aussi ouverte que le prétend le gouvernement.
« À l’heure actuelle, l’idéologie prime sur l’économie », déplore la Chambre de commerce de l’Union Européenne (UE) dans sa dernière enquête annuelle, tout en appelant Pékin à retrouver le chemin de la réforme et de l’ouverture.
Comment garder les capitaux étrangers ?
En une marque de soutien à cette politique érigée au tournant des années 80 par Deng Xiaoping, le premier ministre sortant Li Keqiang profitait d’une tournée symbolique dans le Sud mi-août pour promettre que « les eaux du fleuve Jaune et du Yangtsé n’iront pas à contrecourant » (黄河长江水不会倒流). Des propos vite censurés …
Au même moment, le Président Xi Jinping, en visite dans le Nord du pays, déclarait que « nous ne permettrons jamais que la nation change de couleur » ( 我们决不允许江山变色), c’est-à-dire que de laisser les investisseurs étrangers, et plus généralement le secteur privé, jouer un rôle plus important dans l’économie reviendrait à changer les fondamentaux du pays.
Même si l’actuel Secrétaire général du Parti a bien sûr le dernier mot dans la presse officielle, ces déclarations divergentes révèlent un profond désaccord au sommet sur l’orientation future du pays. Le leadership sera pourtant contraint de trouver un terrain d’entente s’il veut sauver une économie à bout de souffle et – accessoirement – persuader les investisseurs étrangers de ne pas plier bagage.