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Sabine Sciortino : "L'Institut français du Liban accompagne les évolutions du pays”

Dans un pays secoué par des crises successives, l'Institut français du Liban s'efforce de maintenir un accès à la culture, à l'éducation et à la francophonie. À la tête de cette institution depuis septembre 2022, Sabine Sciortino revient sur la mission de l'Institut, son rôle d'accompagnement des évolutions de la société libanaise et sa capacité d'adaptation face à l'incertitude.

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Écrit par Léa Degay
Publié le 5 mars 2025, mis à jour le 7 mars 2025

 

Quelle est la mission principale de l'Institut français du Liban et sa particularité au Liban ? 

L'Institut français du Liban se distingue par la relation historique et privilégiée entre la France et le Liban. Cette singularité repose sur des liens humains denses entre nos deux pays, forgés au fil des siècles. L'Institut s'inscrit dans cette dynamique en contribuant quotidiennement à faire vivre cette relation. Une autre spécificité majeure est la place singulière de la francophonie au Liban, ancrée depuis le XIXe siècle avec l'installation des premières congrégations, mais aussi grâce au choix du Liban d'un système éducatif bilingue, français-arabe ou anglais-arabe. C’est pour cela que la francophonie va constituer un axe central de notre action. Enfin, l'Institut français du Liban s'appuie sur un réseau exceptionnel de huit antennes réparties sur l'ensemble du territoire, du nord au sud, en passant par la Békaa, ce qui nous permet de mettre en place des actions très ancrées dans les territoires, très proches des besoins des populations qui varient d'une région à l'autre.

Notre mission principale consiste à accompagner le Liban, particulièrement dans cette période charnière marquée par plusieurs années de crises économiques, politiques et sanitaires, ainsi que par la guerre à l'automne 2024. Tout cela a vraiment bouleversé le paysage au Liban. Dans ce paysage qui est très mouvant, l'Institut intervient principalement dans deux domaines clés : l'éducation et la culture. 

Dans le domaine de l'éducation, notre objectif est de soutenir la formation des jeunes, futurs citoyens du Liban, pour qu'ils deviennent des individus engagés, éclairés, plurilingues et ouverts sur le monde. Nous collaborons avec le réseau des 64 écoles homologuées, qui accueillent environ 63.000 élèves, ainsi qu'avec des écoles libanaises francophones et anglophones souhaitant développer l'enseignement du français. Nos actions s'étendent de l'aide d'urgence, comme les programmes de soutien à la scolarisation des familles, à des projets de long terme tels que la formation des enseignants ou l'accompagnement de la transformation économique des écoles, notamment par l'installation de panneaux solaires. Nous apportons également notre expertise sur la réforme des curriculums, une question essentielle mais bloquée depuis plusieurs années. 

Quant à la culture, l'Institut français du Liban s'efforce de créer des espaces de réflexion et de questionnement sur le pays et son avenir. L'accessibilité est au cœur de notre démarche : la majorité de notre programmation est gratuite afin de lever les barrières économiques. Nous veillons également à déployer nos activités dans les différentes régions, au plus près des populations, pour briser la barrière de la distance. Notre action culturelle oscille donc entre la diffusion - promouvoir la culture française et faire venir des artistes et des auteurs entres autres -, et le soutien à des projets structurants sur le long terme, comme l'accompagnement des filières professionnelles de l'édition ou des musiques actuelles. Cette approche permet de conjuguer événementiel, diffusion, et en même temps un accompagnement sur le long terme, dans nos missions.

 

“S'adapter, c'est rester fidèle à notre mission malgré l'incertitude, en continuant à soutenir la culture, la création et l'accès au savoir.”

 

Comment l'Institut s'adapte-t-il au contexte politique et économique pour assurer la continuité de ses missions ?

Depuis plusieurs années, l'Institut français du Liban évolue dans un environnement de crises successives. Nous sommes pleinement ancrés dans l'écosystème libanais, avec deux tiers de notre personnel recrutés localement. Les difficultés économiques, l'inflation ou la dévaluation nous touchent directement, ce qui nous pousse à repenser constamment notre manière de travailler.

L'adaptation fait partie de notre quotidien. Il arrive que nous devions monter, démonter ou réinventer des événements en fonction du contexte sécuritaire. Lorsqu'il est difficile, voire impossible, de faire venir des invités de France, nous mettons davantage l'accent sur la scène locale, qui regorge de talents. Nous soutenons aussi la mobilité des artistes et chercheurs libanais, en les accompagnant dans des résidences ou festivals internationaux.

Même en période de crise, nous avons à cœur de maintenir nos activités, notamment pour la jeunesse. À l'automne 2024, lorsque la guerre était notre quotidien, quatre de nos huit antennes ont dû fermer temporairement. Mais nous avons laissé ouvertes toutes celles qui pouvaient l'être, à la demande du public. Nos médiathèques sont restées accessibles, offrant un espace de respiration pour les jeunes dans cet environnement très pesant. Et puis, il était important pour l’Institut de continuer à donner un accès privilégié aux livres. Nous avons également maintenu quelques activités jeunesse. 

L'une des initiatives phares de cette capacité d'adaptation est la création du Festival Beyrouth Livres en 2022. À la suite de la crise, le Salon du livre francophone de Beyrouth, événement majeur jusqu'en 2019 sur la scène francophone internationale, n'avait plus pu se tenir. Nous avons choisi d'inventer un format plus souple, pensé pour répondre aux contraintes économiques et de mobilité : un festival qui va vers les publics, avec une quarantaine d’événements disséminés à travers la capitale mais aussi sur tout le territoire et des rencontres organisées directement dans les écoles. 

S'adapter, c'est rester fidèle à notre mission malgré l'incertitude, en continuant à soutenir la culture, la création et l'accès au savoir.

 

Institut français du Liban

 

Quel est l'état de la francophonie aujourd'hui au Liban ? Constatez-vous une évolution dans son usage et quelle est sa place dans la société libanaise ?

La francophonie occupe une place très particulière au Liban. Ici, on n'apprend pas seulement le français ou l'anglais comme langue étrangère, mais on enseigne également des matières comme les mathématiques ou les sciences dans ces langues. C'est une spécificité que très peu de pays partagent.

Le Liban est aussi un grand acteur de la francophonie grâce à sa diaspora. Bien que les chiffres exacts sont difficiles à établir, on estime qu'il y a plus de 16 millions de Libanais à l'étranger, dont une partie est francophone. Cette communauté contribue au rayonnement de la francophonie à travers le monde, que ce soit en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud ou en Afrique. Cependant, la francophonie est en recul au Liban, un mouvement de fond observable depuis plusieurs décennies. À la fin des années 1990, environ deux tiers des élèves libanais étaient scolarisés dans des écoles francophones. Aujourd'hui, ils sont moins de la moitié. Depuis cinq ans, la crise que traverse le pays accélère ce recul, bien que cette dynamique varie selon les régions. Certaines conservent une francophonie très vivante, tandis que d'autres voient son usage diminuer plus rapidement.

Et puis surtout, le français revêt plusieurs statuts au Liban : langue maternelle pour certains, seconde langue ou langue étrangère pour d'autres, ou encore langue d'enseignement. Ce plurilinguisme, mêlant arabe, français et anglais, est une richesse que le pays doit préserver. C'est également un atout sur le marché de l'emploi.

Et donc dans notre travail, nous souhaitons accompagner cette francophonie dans sa diversité. Nous travaillons avec les écoles francophones pour renforcer les compétences linguistiques, mais aussi avec les écoles anglophones désireuses d'introduire le français dans leur cursus. Nous cherchons également à susciter l'envie d'apprendre le français en proposant des activités autour de la musique, du sport ou de la littérature, pour sortir d'une approche strictement académique.

Enfin, nous valorisons le français comme un atout dans le parcours professionnel. La création en 2023 d'un bureau de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à Beyrouth témoigne de l'importance de cette langue au Liban. La francophonie, ici, dépasse la langue : elle incarne des valeurs, une vision du monde et un art de vivre partagés par une communauté soudée.

 

“Ce qui me motive le plus, c'est l'énergie incroyable qui se dégage de ce pays malgré les crises. Je suis convaincue que la culture et l'éducation jouent un rôle fondamental pour accompagner la société dans ces moments difficiles.”

 

Quel a été votre parcours avant de diriger l'Institut français du Liban et qu'est-ce qui vous motive le plus dans cette mission ? 

Diplomate de carrière au sein du ministère des Affaires étrangères français, j'ai suivi un parcours assez classique, avec des études en sciences politiques et relations internationales. Mon parcours professionnel m'a permis d'alterner des postes en France et à l'étranger, notamment en Asie, où j'ai travaillé en Chine et au Japon. J'y ai occupé des fonctions variées, allant des questions politiques et stratégiques à des thématiques comme le désarmement et la non-prolifération nucléaire.

Le Moyen-Orient m'attirait particulièrement, car c'est une région où se jouent de nombreux enjeux géopolitiques. Prendre la direction de l'Institut français du Liban représente pour moi une manière différente d'exercer la diplomatie, en plaçant la culture, l'éducation et la francophonie au cœur des échanges.

Ce qui me motive le plus, c'est l'énergie incroyable qui se dégage de ce pays malgré les crises. Les Libanais, qu'ils soient artistes, enseignants ou acteurs culturels, font preuve d'une passion et d'un attachement profond à leurs racines. Il y a aussi ce lien fort avec la diaspora, qui crée des allers-retours entre l'intérieur et l'extérieur du pays, apportant une richesse supplémentaire. Je suis convaincue que la culture et l'éducation jouent un rôle fondamental pour accompagner la société dans ces moments difficiles.

Apprendre la langue du pays où je suis en poste fait partie de mon approche. Cela permet non seulement de mieux comprendre la culture, mais aussi la manière de penser et d'interagir. Ici, je m'initie à la langue libanaise et à l'arabe, une façon supplémentaire de tisser des liens avec mes interlocuteurs.

 

sabine sciortino, directrice de l'institut francais du liban

 

Quels sont les temps forts de la programmation 2025 ? 

Une grande partie de notre programmation s'adresse à la jeunesse, avec des événements déployés sur l'ensemble du territoire libanais. En mars, nous célébrons le mois de la francophonie, avec un focus particulier sur la poésie. Nous organisons des rencontres autour de la poésie arabe et française, dans une démarche de dialogue entre les cultures qui nous tient à cœur.

 

mois de la francophonie

 

Nous inaugurons également deux expositions marquantes : l'une consacrée à la jeunesse engagée, fruit d'un travail d'initiation au portrait journalistique mené avec des lycéens en partenariat avec L'Orient-Le Jour et l'autre, issue d'une collaboration originale entre l'illustrateur français Serge Bloch et l'humoriste Chaker Bou Abdalla, intitulée Fichez-nous la paix, qui interroge avec humour les thèmes de la guerre, de l'amour et de la paix. 

Tout au long de l'année, des rendez-vous bien identifiés vont rythmer la vie culturelle libanaise. En mai, nous organisons La Nuit des idées, sur le thème "Pouvoir agir", avec des figures engagées et des intellectuels réunis pour débattre. En juin, la Fête de la musique va prendre la forme d'un véritable festival, s'étendant sur une semaine à Beyrouth et dans plusieurs régions du pays.

Enfin, à l'automne, nous sommes très mobilisés pour relancer le Festival Beyrouth-Livre, temps fort dédié aux littératures francophones. Nous avons dû annuler la troisième édition en 2024 en raison du contexte sécuritaire, mais nous travaillons à proposer une programmation riche pour cette nouvelle édition.

 

festival beyrouth livres

 

Comment voyez vous l'avenir de l'Institut français dans les prochaines années ? 

L'avenir de l'Institut français repose sur la continuité de sa mission : accompagner les évolutions du Liban, malgré l'incertitude qui plane sur la région. Il est difficile de prévoir où en sera le pays dans deux, cinq ou dix ans, mais notre rôle est de rester à l'écoute des attentes de la population, en particulier de la jeunesse.

Cette jeunesse change, exprime de nouvelles envies, de nouvelles aspirations, et il nous appartient de saisir ces transformations pour adapter nos programmes et rester pertinents. Les attentes ne sont plus celles des générations précédentes, mais le désir de culture et de francophonie reste une constante.

Nous voulons accompagner cet élan d'optimisme et d'espoir que nous percevons aujourd'hui, en proposant des initiatives toujours plus originales et adaptées. L'Institut français du Liban sera là pour soutenir cette dynamique et continuer à faire dialoguer les cultures.