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Emilie Anand : "La mixité n’est pas un trait dominant dans les cultures indiennes"

Bandati, le livre pour les enfants de familles mixtes écrit par Emilie AnandBandati, le livre pour les enfants de familles mixtes écrit par Emilie Anand
Écrit par Emilie Anand
Publié le 1 juillet 2021, mis à jour le 7 mars 2024

De nos jours, la mixité n’est pas un trait dominant dans les cultures indiennes. Quand vient l’heure de se marier, les parents indiens ont une liste de critères. D’un autre côté, il est possible d’affirmer qu’il y a eu, historiquement, un certain melting pot génétique en Inde – attention, ce discours n’est pas dans l’air du temps en Inde, car il ne colle pas trop avec l’idéologie politique actuelle qui défend le « purisme » de l’hindouisme. Même si chacun est libre d’écrire son Histoire, il est néanmoins incontestable que l’Inde a connu diverses influences. 

 

En Inde, la famille mixte reste une exception

Quand vient l’heure de se marier, les parents indiens ont une liste de critères. En tête vient la religion. Ensuite, il y a la caste, en tout cas pour les 80% d’Hindous. Pour s’assurer que tout se passe avec harmonie, que toutes les cases soient bien cochées (religion, caste, couleur de la peau, situation socio-économique etc.), le mariage est donc encore largement arrangé par la famille – dans 90% des cas à l’échelle nationale et 70% en zone urbaine, selon Shaifali Sandhya, auteure de Love Will Follow ; Why the Indian Marriage is Burning (2009). Même les mariages dits d’amour sont souvent des mariages arrangés déguisés plus que des mariages de passion : ce sont les intéressés eux-mêmes qui proposent un conjoint.

 

Les sentiments font rarement le poids contre les considérations plus pratiques du concubinage.

 

Dans ce contexte, il est clair que la famille mixte reste une exception en Inde. 

 

Malgré une histoire riche en invasions, migrations et métissages

Il est possible d’affirmer qu’il y a eu, historiquement, un certain melting pot génétique en Inde – attention, ce discours n’est pas dans l’air du temps en Inde, car il ne colle pas trop avec l’idéologie politique actuelle qui défend le « purisme » de l’hindouisme. Même si chacun est libre d’écrire son Histoire, il est néanmoins incontestable que l’Inde a connu diverses influences. 

3000 ans avant J.-C., le Kerala était un centre important d’échange d’épices et attirait des marins de partout, notamment arabes. Puis, il y a eu l’arrivée des tribus d’Asie centrale, notamment de la Perse actuelle. Est-ce eux ou les soldats grecs d’Alexandre le Grand qui, dans les années 300, ont laissé derrière eux un peu de patrimoine génétique que l’on rencontre parfois dans un regard émeraude saisissant ?

Il y a eu également des échanges culturels un peu plus subis, avec la dynastie moghole pendant cinq siècles, puis les deux cents ans de colonisation britannique. Certains Anglais se sont mélangés à la population locale, engendrant des kutcha-butcha (« enfant mi-cuit » en hindi) ou moins péjorativement des « Anglo-indiens ». Ces derniers auraient été recensés à 300 000 au moment de l’Indépendance, bien plus que les progénitures mixtes des Français avec leurs cinq comptoirs, ou que les Portugais.

 

Aujourd'hui, les codes des sociétés indiennes se sont rigidifiés

Que cela soit inhérent et/ou que cela se soit accentué en réponse aux invasions, il est aujourd’hui indéniable que les codes des sociétés indiennes se sont rigidifiés et qu’elles font désormais bloc contre l’Étranger en le tenant à distance de la famille. Cela reste vrai même pour les Indiens qui quittent la mère patrie pour explorer le monde. Un sondage de 2009 publié par Internations.org révélait ainsi que 86% des Indiens expatriés étaient dans une relation avec une personne de leur pays, soit deux fois plus que la moyenne mondiale ; la tendance était largement inverse pour les Français expatriés qui étaient en majorité (67%) en couple avec un partenaire non-Français.

 

Malgré tout, il y a heureusement des Indien(ne)s pour se laisser séduire ou pervertir par l’étranger, selon le point de vue. Je fais partie de ces heureux élus, bien que cela me soit arrivé un peu malgré moi. D’abord, je n’ai jamais rêvé de vivre en Inde, et pourtant m’y voilà installée depuis 2006.

 

Ensuite, j’ai été victime, comme de nombreuses occidentales, des charmes d’un Indien qui, après six années de relation, a choisi d’épouser la promise choisie par ses parents. Alors j’ai dit « jamais plus ».

Je trouverais un partenaire avec qui ce serait peut-être moins exotique mais plus facile – il paraît qu’il faut un an à un couple de même nationalité pour évaluer leur compatibilité, et trois ans pour un couple mixte ! La question de vivre avec mes beaux-parents ne se poserait pas – la grande famille indienne a encore de beaux jours devant elle. Je n’aurais pas à me taper toutes les corvées ménagères – le partage des tâches n’étant pas encore un concept en vogue dans ces sociétés majoritairement patriarcales. Bref, plus jamais.

 

Douze mois plus tard, j’étais enceinte du plus merveilleux des Indiens... Il y a bien eu de petits heurts au début de notre histoire, notamment quand on a exigé que j’appelle ma belle-mère « maman », alors que je ne l’avais croisée qu’une seule fois. Il a fallu également que je lui demande d’éviter de faire ses conversations téléphoniques quand je dors à côté de lui (le sommeil n’est pas sacro-saint en Inde).

 

À part ça, notre hétérogénéité culturelle pourrait tout aussi bien passer pour des différences de personnalité. 

L'arrivée des enfants complique les relations dans la famille mixte

Arrivent ensuite les enfants, la seule raison d’être du couple indien. À ce moment-là, la situation peut se corser car les méthodes d’éducation françaises sont aux antipodes des procédés indiens. De nouvelles questions se posent, de nouveaux choix s’imposent : en termes de nationalité (l’Inde ne reconnaissant pas la double nationalité), de religion (s’il en faut une), de langue « maternelle », de régime alimentaire si un des parents seulement est végétarien.

 

Dormira-t-il dans son lit ou à l’indienne avec ses parents jusqu’à un âge avancé ? 

 

Quand les familles respectives s’en mêlent, trouver un équilibre peut s’avérer ardu. C’est vrai pour les couples franco-indiens, comme pour nombre d’autres couples mixtes.

Ces parents de plus en plus nombreux à faire le choix de la famille mixte (15% des mariages déclarés en France étaient ainsi bi-nationaux en 2005) doivent en plus accompagner leurs petits métis qui peuvent avoir du mal à répondre à la question « D’où viens-je ? ». Ceci est d’autant plus accentué si les parents sont expatriés, ce qui rend la question des « racines » de la famille encore plus compliquée. 

 

Couverture du livre illustré Bandati, petit métis

 

Un métis : "qui est issu de l’union de deux personnes d’origine ethnique différente"

Mais revenons au terme métis. Le Larousse le définit comme « qui est issu de l’union de deux personnes d’origine ethnique différente ». Dans les faits, c’est un terme un peu « fourre-tout », et politiquement correct pour parler de « race », mot qui a une connotation péjorative et qu’on hésitera à utiliser en France.

Mais, il a au moins le mérite d’exister – étonnamment, il est en effet absent du vocabulaire anglais. Si sa traduction la plus proche est beaucoup plus explicite : « biracial » ou « mixed race », elle omet les dimensions culturelles, religieuses etc. du métissage. De fait, si la question du racisme est loin d’être réglée aux États-Unis, le sujet de la mixité ethnique est plus franchement abordé, surtout depuis 2020 avec les émeutes impliquant des policiers et des civils noirs et le mouvement « Black Matters ». Mais il porte essentiellement sur la question de la race.

 

 

Couverture du livre illustré Bandati, petit métis

 

 

Voilà donc un sujet, le métissage (physique et culturel), sur lequel il reste beaucoup à apprendre, pour les adultes comme pour les enfants. C’est dans cette perspective que j’ai écrit, illustré et publié un livre en français et en anglais pour les enfants (3-7 ans), Bandati, petit métis (tous les détails sur le livre, des extraits, où l’acheter etc. sont sur le site www.bandati.org).

 

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