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Visite de Xi au Cambodge : des accords signés mais pas de nouveaux prêts chinois

Le président chinois Xi Jinping repart de Phnom Penh avec 37 accords signés, mais sans financement clair pour les grands projets, dont le controversé canal Funan Techo.

visite de xi jing en chinevisite de xi jing en chine
photo AKP
Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 21 avril 2025

Le président chinois Xi Jinping a clôturé vendredi une tournée de cinq jours en Asie du Sud-Est, couvrant trois pays, par une visite à Phnom Penh, au Cambodge, où 37 nouveaux accords ont été signés. Ces accords bilatéraux, couvrant divers secteurs, n’incluent toutefois ni nouveaux prêts ni subventions, et n’ont apporté aucune confirmation de financement pour le projet phare du canal Funan Techo, dont le sort reste incertain quant au soutien chinois.

Son passage au Cambodge, précédé de visites au Vietnam et en Malaisie, s’est inscrit dans un contexte de tensions commerciales croissantes, marqué par les politiques protectionnistes de l’administration américaine et des tarifs dits « réciproques ». La Chine et le Cambodge en sont les principales cibles dans la région, même si Phnom Penh bénéficie d’un sursis de 90 jours.

Ce voyage, le premier de Xi Jinping au Cambodge depuis près de dix ans, coïncidait avec le 50e anniversaire de la prise de pouvoir par les Khmers rouges – un régime autrefois soutenu par Pékin. Toutefois, loin des considérations historiques, la visite a mis en lumière une « amitié de fer » revendiquée par les deux pays, le Cambodge demeurant l’un des partenaires les plus proches de la Chine en Asie du Sud-Est.

Des accords multiples, mais peu d’engagements financiers concrets

Malgré les nombreux accords signés – davantage qu’en Malaisie mais moins qu’au Vietnam – les engagements concrets manquent. Les 37 accords visent à renforcer la coopération dans des domaines variés : investissements, commerce, éducation, finance et tourisme. Plusieurs partenariats public-privé et accords entre entreprises ont été conclus, incluant des projets majeurs comme le canal Funan Techo, une centrale électrique au gaz naturel liquéfié (GNL) de 900 MW à Koh Kong, et un projet ferroviaire non détaillé.

Toutefois, aucun prêt ni subvention spécifique n’a été annoncé pour soutenir ces projets d’infrastructure. Le canal Funan Techo, estimé à 1,7 milliard de dollars, vise à relier le Mékong, près de Phnom Penh, au golfe de Thaïlande. Il permettrait de détourner les flux depuis le delta rizicole du Mékong, réduisant la dépendance du Cambodge envers les ports vietnamiens.

Le 5 août 2024, la cérémonie de lancement des travaux du canal a eu lieu dans la province de Kandal. Bien que la Chine soit le principal créancier du Cambodge, aucune promesse publique de financement n’a été faite par Pékin. Le gouvernement cambodgien a d’ailleurs revu à la baisse ses prévisions de soutien chinois, passant de 100 % à 49 % des coûts du projet.

Le signal de soutien le plus concret est intervenu le 18 avril, dernier jour de la visite de Xi, lorsque le président de China Communications Construction Company, une entreprise publique, a assuré au Premier ministre Hun Manet que la société mènerait le projet à bien conformément au plan établi.

La veille, selon le Conseil pour le développement du Cambodge (CDC), cinq documents officiels ont été signés entre des entreprises chinoises et le gouvernement cambodgien concernant le canal. Ces accords comprendraient des ententes avec le secteur privé, dont les détails n’ont pas été rendus publics.

Hoeurn Somnieng, secrétaire général adjoint du CDC, a refusé de commenter le financement du canal, précisant qu’il s’agit d’un investissement public-privé dirigé par les entreprises concernées. Il a renvoyé les questions vers le ministère de l’Économie. Ni ce dernier ni l’ambassade de Chine n’ont répondu aux sollicitations de la presse.

Hoeurn Somnieng a cependant déclaré que les équipes juridiques et techniques travaillent de manière fluide à la délimitation et à l’évaluation des impacts du projet, avec un calendrier respecté. Les travaux suivront un déroulement par phases, en adéquation avec la saison sèche cambodgienne, de décembre à juin.

Lim Tong Eng, un riverain situé sur le tracé du canal et promis à un déplacement forcé, a affirmé n’avoir reçu aucune information concernant son relogement, une éventuelle indemnisation ou les délais de construction. Interrogé sur la présence éventuelle de prêts ou subventions chinois, le porte-parole du gouvernement cambodgien Pen Bona a refusé de commenter.

Le canal Funan Techo : symbole stratégique aux contours flous

Pour Sophal Ear, analyste politique cambodgien et professeur à l’Université d’État de l’Arizona, le canal Funan Techo revêt une dimension symbolique et stratégique importante. Malgré le soutien verbal affiché par Pékin, le projet reste controversé, soulevant des inquiétudes sur la soutenabilité de la dette, les impacts environnementaux et les tensions régionales, notamment avec le Vietnam.

« Après des années de prêts massifs via les Nouvelles Routes de la Soie, la Chine redoute d’être perçue comme le financeur de projets inutiles, surtout face aux critiques internationales sur les pièges de la dette », souligne-t-il. Pour lui, l’hésitation de Pékin traduit une évaluation prudente des risques économiques et géopolitiques.

Il ajoute que cette ambiguïté place Phnom Penh dans une position délicate : porter un projet ambitieux sans financement assuré. Cela traduit également un changement stratégique de Pékin, passant d’un soutien généreux à une approche plus conditionnelle et mesurée.

En parallèle, la Chine a réaffirmé son engagement pour le développement de la zone économique spéciale de Sihanoukville et s’est dite prête à encourager ses entreprises les plus performantes à investir davantage au Cambodge.

Sophal Ear note toutefois que les investissements chinois restent concentrés dans des secteurs à faible résilience à long terme : construction, casinos, textile. Pour lui, un véritable partenariat impliquerait des investissements conjoints dans l’éducation, la santé et l’innovation – domaines largement ignorés par Pékin jusqu’à présent. Si la visite de Xi Jinping rappelle l’importance stratégique du Cambodge pour la Chine, elle met aussi en lumière l’asymétrie de la relation.

« L’image projetée est celle d’un partenariat, mais la structure reflète plutôt une dépendance », analyse-t-il.

Déportations, cybercriminalité et politique d’une seule Chine

Dans son communiqué officiel à l’issue de la visite de Xi Jinping, le gouvernement cambodgien a réaffirmé son soutien à la politique d’« une seule Chine », qualifiant Taïwan de « partie inaliénable de la Chine » et dénonçant les « ingérences étrangères » dans les affaires intérieures chinoises, citant les dossiers du Xinjiang, de Hong Kong, du Xizang et de Taïwan.

Ce langage reprend celui du Parti du peuple cambodgien au pouvoir, qui utilise depuis longtemps le terme « ingérences étrangères » pour rejeter les critiques internationales.

Quelques jours avant l’arrivée de la délégation chinoise, le Cambodge a expulsé 179 ressortissants taïwanais vers la Chine, après leur arrestation lors d’un raid contre un centre d’escroquerie en ligne à Phnom Penh. Une décision justifiée par l’adhésion à la politique d’une seule Chine.

Taïpei a condamné ces expulsions et tenté de dialoguer avec les autorités cambodgiennes, tandis que Pékin a salué l’initiative. CamboJA News n’a pas pu vérifier si les personnes détenues avaient été examinées pour des cas de traite d’êtres humains, un risque bien documenté dans ce type de réseaux illégaux.

Le 2 avril 2025, la police a mené un raid dans un immeuble de 20 étages à Chamkar Mon, un quartier de Phnom Penh, protégé par des barbelés et des caméras, où près de 200 escrocs présumés – majoritairement taïwanais – ont été arrêtés avant d’être expulsés vers la Chine.

La Chine a également salué les efforts du Cambodge dans la lutte contre la cybercriminalité et la traite des êtres humains, promettant une coopération accrue dans le domaine de la sécurité. Néanmoins, Pékin continue de faire pression pour un engagement plus ferme de Phnom Penh, notamment lors d’une réunion multilatérale plus tôt cette année et après une importante opération menée par la Thaïlande contre des centres d’escroquerie en Birmanie.

Si le Cambodge affirme vouloir sévir davantage, les ONG de surveillance estiment que les efforts restent insuffisants.

Une diplomatie sous tension entre Pékin et Washington

Bien que cela ne figure dans aucun protocole d’accord signé, Xi Jinping a publié une lettre ouverte dans les médias cambodgiens le jour de son arrivée, appelant à une coopération renforcée pour prévenir les « révolutions de couleur », par une coordination sécuritaire plus étroite.

« Le terme “révolutions de couleur” est un euphémisme pour désigner les mouvements démocratiques populaires ou les manifestations citoyennes », explique Sophal Ear. Il avertit que l’alignement du Cambodge avec la logique sécuritaire chinoise risque de favoriser un modèle de gouvernance axé sur la survie du régime, au détriment des libertés publiques et de la dignité humaine.

Cette visite s’inscrit dans la volonté de Pékin de renforcer son influence en Asie du Sud-Est, dans un contexte de tensions croissantes avec Washington.

Mais le Cambodge attend davantage que des déclarations d’amitié. « Le pays veut un véritable appui économique de la Chine. Or, Pékin semble de plus en plus replié sur lui-même », observe Aun Chhengpor, chercheur au sein du think tank cambodgien Future Forum.

Selon lui, Phnom Penh tente un délicat équilibre : obtenir un soutien politique et économique fort de la Chine tout en menant des négociations tarifaires avec les États-Unis.

La veille de l’arrivée de Xi Jinping, les autorités cambodgiennes ont d’ailleurs eu une réunion en ligne avec le représentant américain au commerce, afin de discuter du renforcement des liens commerciaux. Cette rencontre faisait suite à une lettre du Premier ministre Hun Manet au président Donald Trump. Les deux parties se sont engagées à maintenir un dialogue ouvert.

Pour Sophal Ear et Aun Chhengpor, le Cambodge gagnerait à adopter une diplomatie plus équilibrée, à l’image d’autres pays de la région qui manœuvrent habilement entre Washington et Pékin.

« Des améliorations de la base navale de Ream au soutien constant de la Chine sur les questions internationales, l’alignement du Cambodge est clair », affirme Sophal Ear, en référence au nouveau port que certains considèrent comme une base navale chinoise de facto – un sujet pourtant absent du discours officiel durant la visite de Xi.

À court terme, le Cambodge devra sans doute ajuster sa position diplomatique, alors qu’il tente de négocier un tarif douanier à 49 % avec les États-Unis et de limiter les effets des réductions d’aides étrangères.

À plus long terme, le royaume devrait viser une autonomie stratégique en diversifiant agressivement ses partenariats économiques et commerciaux, au-delà des seules puissances chinoise et américaine, conclut Aun Chhengpor.

Seoung Nimol, Coby Hobbs

Avec l'aimable autorisation de CamboJa News qui nous permet d'offir cet article à un lectorat francophone

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Publié le 21 avril 2025, mis à jour le 21 avril 2025

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