Édition internationale

Entreprendre en expatriation, s’offrir une part de rêve ou une aventure risquée ?

Aller vivre dans une culture différente, partir vivre à l’étranger est en soi une très grande aventure physique, émotionnelle, financière et intellectuelle. Il y aura toujours un avant et un après, tant ce vécu changera notre cadre de références et notre place dans le monde. Mais entreprendre en expatriation ajoute une complexité qui est un réel défi à embrasser, sur tous les plans.

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© Unsplash
Écrit par Cécile Lazartigues-Chartier
Publié le 23 janvier 2025, mis à jour le 30 janvier 2025

 

Entreprendre, un élan de liberté

Ceux qui portent en eux l’envie de l’entreprenariat trouvent dans l’expatriation un espace de liberté qu’ils n’auraient pas eu, ou ne se seraient pas offert, en France. Changer de pays permet de s’affranchir de nos croyances limitantes ou d’une certaine pression sociale, imaginée ou avérée. Hors les murs de notre pays d’origine, c’est comme si notre imagination et notre radar intérieur se mettaient en mode furtif. Nous déployons des compétences parfois insoupçonnées : créativité, innovation, intuition, « out of the box » devient notre devise… Et les hasards de la vie nous offrent des opportunités surprenantes que nous sommes plus enclins à détecter.

Zorha Lina Martini aide les entreprises étrangères , les individus à s’installer en Corée du Sud : « Par les différences culturelles, j’ai dû m'ouvrir encore plus sur le monde, m'adapter au milieu sud-coréen qui est passionné et exigeant tout en gardant des valeurs qui me sont précieuses : le respect d'autrui, la persévérance et l'envie de faire du bien autour de moi. Le fait d'être une étrangère a été un vrai avantage. Les exigences ont été moins fortes qu'envers des locaux mais où j'ai dû montrer par l'adaptation et la patience que moi aussi je peux faire partie de ce pays. »

 

Le réseau, cet allié à double tranchant

 

entreprise

 

Avant de changer de pays, il est rare de prendre conscience de la profondeur de notre réseau et de son potentiel. À l’étranger c’est un peu différent. Au début, on cherche à développer un réseau qui nous est vital. Ceux qui lancent leur entreprise peuvent sous-estimer leur réseau. De l’idéation à la pérennité d’une entreprise, le ressenti et les chiffres ne vont pas forcément de pair pour l’expatrié certain d’avoir la bonne idée du moment. C’est là que le réseau peut être d’un grand soutien. À la fois au niveau des bons contacts pour les fournisseurs, les clients, les partenaires, mais aussi sur les us et coutumes, pour donner du feedback, l’avis d’experts locaux, des informations précieuses. 

Cultiver son réseau avec générosité et sérieux, dans le temps, permet d’avoir le support de celui-là, ou pas. Certains échecs entrepreneuriaux pourraient être évités avec une préparation plus inter-culturelle et un engagement relationnel local de qualité, sans arrogance. 

En 2020, Sandrine Mehrez Kukuruz crée à New-York, Rencontre des auteurs francophones réseau qui regroupe 380 auteurs de 54 pays : « À l’étranger, on entreprend aussi par hasard. Motivés par une idée, on se lance dans des projets que l’on aurait jamais imaginés faire en France. »

 

Timing et codes culturels en expatriation 

La réussite d’une entreprise, surtout si elle est menée par une personne expatriée, relève d’une multitude de facteurs qui lui échappent.  Parfois le timing est fantastique, parfois à contre-courant des résultats désirés. Malgré la globalisation, les tendances peuvent se révéler antinomiques selon les continents. L’idée novatrice en France peut sembler désuète aux États-Unis, d’actualité en Asie ou ringarde en Afrique. D’où l’importance de comprendre les codes culturels, la vision du monde locale, le cadre de références, en bref l’inter-culturel. Offrir un service ou un bien de qualité ne suffit pas, il faut également créer une corrélation entre l’entreprise, sa culture, les valeurs véhiculées et le besoin culturel du client local et le timing.

 

travail

 

La marseillaise Stéphanie Guéritaud a fait sa vie au Canada, styliste, journaliste et photographe déco, elle est la créatrice de Déconome depuis 2010, blog d’Idées pour décorer et rénover sans se ruiner : « Le Québec, c’est le paradis des petits entrepreneurs : ici, on peut démarrer son projet avec un minimum de formalités, une tonne de ressources gratuites et la liberté de grandir à son rythme. Tout est pensé pour encourager l’audace et l’autonomie! »

 

L’art de vivre à la française, une niche exportable à tout coup ?

En expérimentant la vie à l’international, l’idée de génie, ou du moins une très bonne idée, peut naître pour entreprendre. On voudrait exporter un bien rare sur un autre continent, vendre du rêve tricolore, allier niche marketing et offre innovante. On peut également envisager l'entrepreneuriat comme du sur-mesure ou un pis-aller car on ne trouve pas le job de nos rêves lors de l’expatriation. On est porté par ce rêve ! On se fait ambassadeur de la culture ou du savoir-faire français, on joue de notre exception culturelle. Cependant, l’équation de la réussite est toujours un savant équilibre entre innovation, sérieux, expertise… et adéquation inter-culturelle !

Thomas Vigo, originaire de Montpellier, a lancé Hémisphère Sud Immobilier à Tahiti, une aventure enthousiasmante mais exigeante. « L'expatriation, c'est le plaisir de la découverte, l'appropriation d'un nouveau paradigme, tout en veillant à reconstituer au plus vite une zone de confort indispensable ! »

 

Santé mentale et financière, les risques du métier mais à l’étranger

 

finance

 

Il n’y a pas d’exception, entreprendre est toujours un risque, qu’on soit en France ou ailleurs. Mais en expatriation les risques sont amplifiés parce que les parties prenantes diffèrent, que la situation exige plus de temps parfois, une connaissance qui peut nous manquer, des enjeux qui nous échappent… La santé mentale et financière est au cœur de l’équilibre du projet. L’entrepreneur a tant à perdre, ou à gagner, qu’il ne compte pas ses heures, parfois au détriment de sa santé et de sa capacité à gérer efficacement, le tout avec un réseau de soutien moins fort que souhaité. Les expatriés vivent les défis décuplés.

En 2016, le breton Yann Bérhault a créé avec deux amis, On Mange Quoi (OMQ) des repas en libre-service élaborés par des chefs locaux. Depuis, les trois amis sont repartis vers de nouvelles aventures, mais l’expérience reste. « Quand on souhaite entreprendre, le statut d’expatrié peut amener son lot de défis supplémentaires. La méconnaissance de l’écosystème d’accompagnement, l’absence de réseau local et le fait de ne pas maîtriser les codes culturels peuvent constituer des freins importants au développement. À l’inverse, découvrir et analyser la société d’accueil avec un œil “neuf” peut donner un certain avantage pour créer, ou importer, des solutions innovantes. »

 

Changer notre regard, la clef du succès

Nous pourrions évoquer des histoires d’horreur aussi bien que des contes de fées au sujet de ceux qui ont eu l’audace d’entreprendre en tant qu’expatriés. Mais il est certain que tous ceux qui ont franchi le cap auront enrichi leur vie, même ceux qui auront dû cesser leur activité de manière abrupte. En effet, l’expérience même de se lancer, de s’offrir cette liberté, de tenter l’aventure, de passer d’une idée à l’action est un succès. Le processus de l’entreprenariat à l’étranger nous aura obligé à un changement de vision du monde, nous aura permis de prendre conscience de nos défis mais aussi de forces inconnues, de la puissance de la collaboration et de la complexité du monde. En agrandissant leur zone de confort, ils auront développé résilience et créativité qui seront un acquis pour le reste de leur vie, en France ou ailleurs. 



 

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