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Mathilde Ollivier : “Nous devons garder une politique consulaire forte”

Sénatrice des Français établis hors de France depuis un an, Mathilde Ollivier est plus que jamais déterminée à mettre les enjeux sociaux au cœur de son mandat. La Sénatrice EELV a rencontré lepetitjournal.com et évoque une prochaine proposition de loi autour de l’Allocation adulte handicapé, l’urgence envers la précarité étudiante et la démocratisation du sport, mais aussi les enjeux des Français à l’étranger “Que nous soyons en Afrique, en Amérique ou en Europe il y a quelque chose qui nous anime et nous relie tous : la volonté que le service public reste fort à l'étranger”.

Mathilde Ollivier au Sénat Mathilde Ollivier au Sénat
Mathilde Ollivier en déplacement en Arménie, 2024
Écrit par Capucine Canonne
Publié le 9 octobre 2024, mis à jour le 10 octobre 2024

 

Quelle est votre réaction à la suite de la nomination du gouvernement fin septembre 2024 ? 

Dans un premier temps, mes réactions ont été la colère et la déception d’en être là aujourd'hui. Je pense que la désignation de ce gouvernement est un vrai risque pour la diplomatie et la démocratie françaises. Cette nomination envoie le signal aux électeurs que leur voix n'est pas considérée. Alors que la participation a été de plus de 70 %, nommer un Premier ministre issu d’une des forces politiques perdantes de la dernière élection est un signal très dangereux pour notre démocratie. Avec le Nouveau Front Populaire, nous avons porté tout l'été la candidature de Lucie Castets. 

 

 

Deux députés des Français de l'étranger ont été nommés à la tête de deux ministères : Éducation nationale et Industrie. Cela montre-t-il que le gouvernement porte un intérêt aux Français de l’étranger ? 

Je suis particulièrement concernée par la nomination au ministère de l’Éducation nationale puisque je siège en commission de la Culture, de l'Éducation, de la Communication et du Sport (CULT). J'avoue avoir appris avec étonnement la nomination d’Anne Genetet, puisqu’elle ne semble pas avoir beaucoup travaillé sur les questions d'éducation avant d'être nommée à ce poste. Nous attendons de voir ce qu'elle va faire. Je ne doute pas que sa nomination reste motivée par la volonté d'Emmanuel Macron et de Gabriel Attal de garder un poids politique important sur les questions d'éducation. 

Il y a une autre nomination au Ministère de l’Éducation Nationale, celle d’Alexandre Portier, ministre délégué auprès de la ministre de l'Éducation nationale, chargé de la Réussite scolaire et de l'Enseignement professionnel. Il a notamment été très actif sur la défense de l’enseignement privé, sans remettre en cause les nombreux dysfonctionnements avérés. Sa nomination est une vraie question sur le positionnement du gouvernement au sujet de la mixité scolaire et le financement de l’école privée et publique.  Nous allons étudier ces prochaines semaines au Sénat une proposition de loi sur la mixité scolaire dans les établissements, l’occasion de voir la position du gouvernement sur le sujet.

 

 

mathilde Ollivier Sénatrice des Français de l'étranger

 


 

Une autre nomination concerne les Français de l'étranger : celle de Sophie Primas, ministre dédiée aux Français de l'étranger. Avez-vous un commentaire ? 

Dans son discours introductif, Sophie Primas n'a eu aucun mot pour les Français de l'étranger. La session de l'Assemblée des Français de l'étranger se déroulant du 14 au 18 octobre 2024, nous espérons qu'elle sera présente et prendra à bras le corps les problématiques que nous, Français de l'étranger, avons et que tous nos compatriotes à l'étranger attendent. Il est important d'avoir un ministre présent et en soutien des politiques envers les Français de l'étranger dans une période de coupes budgétaires qui touchent toujours de manière forte le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Il faut un ministre qui défend sa politique. 

Je voudrais souligner aussi l’importance de la nomination d’un ministre chargé du handicap. Toutes les associations de défense des droits des personnes en situation de handicap se sont fortement inquiétées d’une absence de ministre car ils ont besoin d'un interlocuteur privilégié. Cette nomination a finalement eu lieu tardivement, en la personne de Charlotte Parmentier-Lecocq. 

 

A la sortie des Jeux Paralympiques de Paris 2024, vous préparez une proposition de loi autour de l'Allocation adulte handicapé et vous lancez un appel à témoignages. Peut-on en savoir plus ? 

L'inclusion des personnes en situation de handicap dans la politique française à l'étranger est présente avec plusieurs mécanismes : l'allocation enfant handicapé et l'allocation adulte handicapé. Aujourd'hui, les ressortissants en situation de handicap à l'étranger peuvent demander cette allocation s’ils prouvent un taux de handicap reconnu par les MDPH (Maison Départementale pour les Personnes Handicapées) de plus de 80 %. En début d’année 2024, nous avons avancé avec la mise en œuvre de la déconjugalisation des aides sociales pour les personnes en situation de handicap. Une bonne nouvelle mais il y a encore des difficultés vécues en situation de handicap à l'étranger. Notre objectif est de simplifier les démarches, de réduire les délais de traitement aussi des dossiers auprès des MDPH, et d'harmoniser les conditions d'attribution. Il y a plusieurs cas de figures possibles : soit le ressortissant fait sa reconnaissance de handicap depuis l’étranger, soit il part de France avec sa reconnaissance de handicap déjà réalisée. Dans le premier cas de figure, il est parfois compliqué de réaliser les démarches sur place, d’avoir les réponses ou les rendez-vous médicaux. Les coûts sont parfois très importants pour obtenir sa reconnaissance d’handicap. Ce sont tous ces éléments que nous souhaitons absolument analyser. Nous avons lancé un questionnaire et un appel à témoignages pour éventuellement avancer vers une proposition de loi. 

 

 

Questionnaire d'appel à témoignages à retrouver ici 

 

 

Il y a une autre inégalité vécue à l’étranger. En France, il existe une prise en charge effective entre 50% et 79% de taux de reconnaissance du handicap. Il faut prouver que vous n’êtes pas en situation de travailler. Mais cette reconnaissance n’existe pas pour les Français de l’étranger, il n’est pas possible de toucher cette aide adulte handicapé. Enfin, il y a un sujet autour du financement des aides sociales liées à un taux de base. L’enveloppe est restreinte et n’évolue pas depuis de nombreuses années. L’allocation, dans certains pays, n’est pas suffisante pour vivre dignement… 

 

 


 

Mathilde Ollivier en déplacement en Arménie, 2024
Mathilde Ollivier en déplacement en Arménie, 2024 


 

Fin 2023, vous aviez pris la parole sur lepetitjournal.com au sujet d'une proposition de loi sur le bien-être de la jeunesse et la précarité étudiante. Qu’en est-il un an plus tard ? 

Depuis mon élection, j'ai souhaité porter plusieurs priorités à l'échelle nationale et notamment autour de la précarité des jeunes. Nous avons porté une proposition de loi en décembre 2023, avec mes collègues écologistes au Sénat en proposant une allocation universelle d'autonomie d'étude. La proposition de loi s’appuyait sur des exemples internationaux, comme le Danemark, la Suède, qui ont mis en place une allocation de ce type. La proposition de loi n'a malheureusement pas été votée. Ce que nous proposions était une allocation qui soit la même pour tous les étudiants. Cette allocation universelle d'autonomie d'études devait permettre à tous les étudiants d'étudier dans de bonnes conditions. Il est clair que les inégalités dans la réussite universitaire dépendent aussi des moyens à sa disposition, mais aussi du temps et de la concentration du jeune qui n’a pas besoin de faire des petits boulots à côté pour financer ses études. 

Dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, nous sommes assez inquiets sur la réévaluation des bourses étudiantes. Il y a de vrais enjeux autour de ces bourses, nous avons toujours des étudiants qui ne mangent pas à leur faim, qui sautent certains repas. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir une jeunesse aussi précarisée. 

 

 

Quelles sont vos priorités en 2024 ? 

Au niveau national, je travaille beaucoup sur les questions de sport. L'un des grands enjeux de ces jeux, est leur héritage. Que laissent-ils comme trace, notamment en termes de pratique sportive ? Il s’agit de l’un des points d'attention importants déjà mentionnés au gouvernement l’an dernier et que nous mentionnerons à nouveau à ce gouvernement. Nous avons besoin d'une politique sur l'héritage des Jeux, et même une loi-cadre sur mesure sur le sport. 

Il y a plusieurs enjeux ; d’abord, la démocratisation de la pratique du sport. Aujourd'hui, nous sommes dans une période où la sédentarité de la population française - et notamment des plus jeunes - est préoccupante. Malheureusement, les inégalités sociales sont aussi présentes dans la pratique du sport. Nous portons, dans le programme du NFP, le fait d'avoir 4 h d’EPS par semaine contre 3h aujourd’hui. D’ailleurs, dans les faits, les enfants ne réalisent en moyenne qu’1h30 d’EPS par semaine. Si nous voulons créer cette nation sportive dont parlait Emmanuel Macron, c'est avant tout en portant une pratique du sport à tous les niveaux. 

Il faut aussi soutenir les associations sportives - très présentes dans les lycées Français de l’étranger - en leur donnant plus de moyens et encourager les professeurs à ramener les enfants qui se sont éloignés de toute pratique. Pour faire du sport, il est nécessaire d’avoir cette notion de plaisir, et pas seulement une logique hygiéniste comme la mesure gouvernementale des 30 minutes de sport à l’école. La démocratisation du sport passera aussi par la structuration des fédérations sportives. Après les Jeux de Paris, nous nous sommes rendus compte d’un engouement pour le tennis de table ou la natation. Mais si les fédérations sportives n'ont pas les moyens d’accueillir davantage de monde, comment faire ? 


 

La France vient d’accueillir le 19 Sommet de la Francophonie. Selon vous, en tant qu'élue des Français de l'étranger, qu'est-ce qui se joue pour la langue française ? 

 

Nous travaillons beaucoup sur les questions de francophonie. Je suis dans la commission qui est chargée des questions de francophonie au Sénat. Selon moi, l'Organisation internationale de la Francophonie est à un tournant. Aujourd'hui, les locuteurs du français, sont un peu la boussole de l’OIF. La langue française est parlée sur tous les continents - et notamment en Afrique - où le nombre de locuteurs ces prochaines années va encore exploser, représentant une part très importante de la Francophonie. Il est important que nous puissions porter une francophonie vivante, dynamique, qui s’appuie sur la richesse des pratiques du français un petit peu partout dans le monde. 

Il ne faut pas voir la Francophonie comme un outil de rayonnement, mais surtout comme une organisation plurielle avec autant de centres de gravité que de personnes qui parlent cette langue. La langue française a de nombreux enjeux comme sa place dans l’espace numérique ou le nombre de contenus sur la toile. Je rentre d'un déplacement en Côte d'Ivoire et au Bénin. Les autorités locales m’expliquaient, comme dans un certain nombre de pays africains, qu’il y a des difficultés à produire et monétiser des contenus en français en ligne. 

La francophonie se joue à plusieurs niveaux donc, également dans la pratique de la langue. L’un des premiers textes sur lesquels j'ai travaillé en arrivant au Sénat, était celui autour de l'écriture inclusive. Il y a des exemples d’avancer sur la prise en compte de l'écriture inclusive dans les modes d'écriture du français, et notamment au Canada. Ce sont aussi des pratiques dont nous pouvons nous inspirer en France. J'en suis pour ma part convaincue. 


 

Avez-vous d’autres actions qui ont marqué votre rentrée parlementaire ? 

 

Ma rentrée parlementaire a été marquée par un certain nombre de déplacements. Je me suis d'abord rendue en Arménie, puis en Côte d'Ivoire et au Bénin. Ce déplacement en Côte d'Ivoire et au Bénin avec la Commission Culture, a été axé autour de la restitution des biens culturels, un sujet absolument essentiel pour nos relations avec ces pays. Nous devrions avoir une loi cadre pour encadrer la manière dont la France - qui a beaucoup de biens culturels, notamment africains dans ses musées - puisse restituer ces biens à des pays qui en feraient la demande. La question devient urgente dans la mesure où des pays développent actuellement des politiques culturelles fortes et articulées autour de ces biens. Il faut que le texte soit remis à l’agenda du nouveau gouvernement. 

En Côte d’Ivoire, il y a une attente pour recevoir ces œuvres et continuer le développement de la politique muséale. Cette restitution devrait s’accompagner d'un travail de formation et de collaboration pour monter en compétence sur la gestion patrimoniale. Il s’agit d’un sujet à la croisée de différentes cultures. 

 

 

sénatrice Mathilde Ollivier au sénat

 



 

Avez-vous un message particulier pour les lecteurs de lepetitjournal.com ?

Cela fait maintenant un an que je suis élue pour représenter les Françaises et les Français de l'étranger. Et c'est un plaisir de rencontrer les Françaises et les Français de l'étranger lors de tous mes déplacements et d'échanger autour de nombreuses problématiques qui nous concernent toutes et tous. Que nous soyons en Europe, en Amérique, en Afrique, partout dans le monde, les problématiques sont différentes. Mais il y a quelque chose qui nous anime et nous relie tous : la volonté que le service public reste fort à l'étranger. Nous devons continuer de nous battre autour de cette idée, au cœur de la campagne menée lors des dernières élections législatives avec le Nouveau Front Populaire.

Il faut que les Français de l’étranger puissent garder des services consulaires forts et qu’ils y voient un vrai soutien. Nous devons garder une politique consulaire forte et de soutien aux compatriotes partout sur la planète. Nous continuerons à nous battre, notamment lors du projet de loi de finances ; avec, bien sûr, la collaboration essentielle des élus consulaires. 

 

 

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