Les enfants expatriés et les « enfants voyageurs » qui doivent régulièrement partir à l’étranger vivent précocement une expérience atypique. Elle se révèle la plupart du temps enrichissante, les conduisant d’après de nombreuses études, à développer plus facilement une ouverture à l’autre et au monde, bien qu’ils ne s’en rendent pas toujours compte sur le moment. Mais certains signes d’alerte et de vulnérabilité sont à prendre en compte avec des enfants diagnostiqués HPI...


Article écrit pour Expat Pro par Alexandra Milazzo, neuropsychologue (diplôme EUROPSY), Sophrologue (diplôme RNCP).
bien que les études attestent du développement d’atouts liés à l’expatriation, il peut aussi exister des situations mettant les enfants et les parents en difficulté dans un contexte d’expatriation. Les parents pourront être moins disponibles soit par absence physique liée au travail, soit par « absence psychique » parce qu’il faudra mobiliser l’énergie mentale et physique pour gérer au mieux cette adaptation. À cela, peuvent s’ajouter d’autres spécificités propres à l’enfant tel qu’un haut potentiel intellectuel (HPI), un trouble neurodéveloppemental ou parfois les deux en même temps. Voici certains signes d’alerte et de vulnérabilité ainsi que des moyens de réduire les difficultés ou de les prévenir chez l’enfant HPI expatrié.
Le HPI peut engendrer une vulnérabilité. Cette vulnérabilité peut être aggravée dans un contexte d’expatriation
Comprendre l'enfant à haut potentiel intellectuels expatriés
Les enfants à haut potentiel intellectuel sont des enfants présentant des particularités neurodéveloppementales attestées par des études en neurosciences et psychologie. Lors de l’administration de tests psychologiques standardisés, les scores au QI sont supérieurs ou égaux à 130. Certains parlent de neuroatypie, mais il ne s’agit pas d’un trouble. On pourrait au contraire l’appréhender comme étant une chance facilitant de nombreux apprentissages et selon certaines études, favorisant une meilleure protection face à certaines pathologies mentales. Cependant, d’autres recherches montrent que dans certains cas, le HPI peut engendrer une vulnérabilité. Cette vulnérabilité peut être aggravée dans un contexte d’expatriation. Nous allons aborder deux cas spécifiques : les enfants HPI expatriés ayant des troubles neurodéveloppementaux et les enfants HPI expatriés victimes de stéréotypes liés au HPI. Nous verrons ensuite les signes d’alerte et des solutions possibles.
Le HPI peut venir masquer un trouble neurodéveloppemental comme un TDAH, ou encore un trouble spécifique des apprentissages tel que la dyslexie. Dans ces cas-là, le HPI est à la fois une chance parce qu’il permet de mieux compenser les troubles dits « comorbides », mais c’est aussi un désavantage. En effet, cela peut résulter à un retard dans le diagnostic, en particulier en cas d’expatriation. En effet, bien souvent on interprète les difficultés liées à la langue et/ou aux différences culturelles. Dans ces cas-là, le diagnostic de TDAH ou de troubles spécifiques d’apprentissages apparaît souvent autour de l’adolescence alors que les troubles sont déjà présents depuis des années. Or, plus ils sont repérés tôt, plus il sera facile pour l’enfant de les comprendre sans se dévaloriser, de sorte à s’y adapter au moyen d’aménagements pédagogiques également.

Ce sont parfois les stéréotypes et les croyances associées au HPI qui influencent le plus les enfants HPI. L’impact peut être si élevé qu’il peut sans doute parfois, à lui seul expliquer le mieux pourquoi certains enfants HPI sont en mal-être, et non pas forcément le HPI en soi. Rappelons ici également, que les études sont divergentes quant au possible lien entre HPI et troubles du comportement ou socio-émotionnels*.
Lorsque le stéréotype est activé, l’enfant peut effectivement par croyance, développer un comportement qui n’est pas inné à priori.
Les enfants étiquetés comme HPI peuvent être stigmatisés, car on s’attend à ce qu’ils n’aient pas de troubles spécifiques des apprentissages ou autres difficultés parce qu’ils sont justement HPI. Les enfants HPI sont alors eux-aussi victimes de croyances erronées pouvant générer des jugements négatifs au sujet de ces enfants. Certains enseignants interpréteront parfois le comportement de l’enfant HPI avec trouble d’apprentissage ou TDAH comme un enfant fainéant, disrespectueux ou opposant. L’enfant peut alors se sentir encore plus décalé par rapport aux autres et plus « nul », précisément parce que lui aussi croit qu’il devrait tout réussir plus facilement.
Cet enfant peut aussi avoir entendu que le HPI rend plus vulnérable aux troubles mentaux et finir par se conformer à ce stéréotype. Lorsque le stéréotype est activé, l’enfant peut effectivement par croyance, développer un comportement qui n’est pas inné à priori. D’autres études largement documentées en psychologie sociale l’ont également montré pour bien d’autres stéréotypes au sujet de la couleur de peau, de l’âge ou du genre. Les croyances que l’on porte sur nous-mêmes ou sur les autres, influencent directement notre comportement, nos aptitudes cognitives et notre santé mentale ! De même, les croyances que les autres portent sur nous influencent également nos aptitudes et nos comportements : l’impact des stéréotypes, l’effet Pygmalion etc…

Le décalage lié à la "langues des jeunes"
Dans les cas les plus extrêmes, ces enfants peuvent sombrer en dépression, voire se retrouver en refus ou échec scolaire, alors même qu’ils ont des prédispositions. L’isolement et la sensation de décalage lié au fait d’être étranger, de ne pas partager les mêmes codes culturels, (dont l’écart est plus ou moins élevé en fonction des pays et continents), ni les mêmes façons de communiquer fragilise encore plus des enfants en situation de vulnérabilité. En effet, même si l’enfant est bilingue et maitrise parfaitement la langue du pays où il est expatrié, il faut encore considérer que les jeunes ont souvent leur propre langage, ce qu’on peut appeler le « langage des jeunes ». Ce langage évolue sans cesse et peut laisser le jeune expatrié en retrait, le temps qu’il s’adapte aux spécificités de son nouveau groupe de référence et de comparaison.
Voici les signes d’alerte qui devraient conduire à demander un avis professionnel spécialisé :
- Régression : énurésie (accidents au lit),
- Besoin de plus de rituels notamment au moment du coucher
- Troubles du sommeil (à l’endormissement ou réveils, cauchemars récurrents etc)
- Troubles somatiques : douleurs physiques, maux de ventre, maux de tête etc.
- Désinvestissement scolaire
- Perte d’intérêt dans le développement des relations avec les pairs
- Baisse de l’intérêt pour les activités qui plaisaient habituellement
- Impression que l’enfant change de personnalité
- Baisse de la communication
- Moins d’appétit ou au contraire plus d’appétit
- Manque d’attention
- Crise de colères récurrentes
- Trous de mémoire alors que l’enfant était jusque-là attentif et mémorisait avec facilité
- Développement d’une addiction ou d’une conduite obsessionnelle (réseaux sociaux, jeux vidéos, sport etc.)
un avis spécialisé par un.e professionnel/le connaissant les challenges liés à l’expatriation peut éclairer les parents et donner des outils pour faciliter la transition
Cette liste non exhaustive montre des signes fréquents qui peuvent s’expliquer par une origine psychique. À noter qu’ils indiquent parfois une phase normale d’adaptation au changement dans le cadre d’une expatriation. Parfois, ils peuvent aussi être expliqués par d’autres facteurs. C’est la durée, l’intensité et le nombre de signes associés qui indiqueront s’il y a un besoin d’un suivi psychologique. En cas de doute, un avis spécialisé par un.e professionnel/le connaissant les challenges liés à l’expatriation peut éclairer les parents et donner des outils pour faciliter la transition.
Rappelons que les enfants HPI sont fondamentalement avant tout des enfants ! Comme chaque enfant, ils sont uniques, présentent des points forts et des faiblesses.

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Des conseils pour les enfants HPI lors de l'expatriation
Voici quelques moyens de prévenir les difficultés dans un contexte d’expatriation
- Si des bilans sont nécessaires : privilégier la langue maternelle. Dans le cadre d’un suivi orthophonique, si possible l’effectuer dans les deux langues selon la durée d’expatriation et la maitriser de l’autre langue la plus utilisée.
- Favoriser le sentiment d’appartenance en intégrant des groupes en lien avec les intérêts de l’enfant
- Trouver également si possible un groupe d’enfants parlant la même langue maternelle et vivant une expérience commune sans pour autant se désintéresser des enfants qui n’ont pas cette expérience
- Maintenir régulièrement un contact avec les proches restés en France
- Favoriser un lien sensoriel de sorte à garder un lien avec le pays d’origine en passant directement par les émotions, par exemple lors des repas : goût, odorat, mais aussi des musiques en langue maternelle, des émissions télévisions en français, le contact avec des objets venant du pays d’origine etc.
- Préparer l’expatriation, valider les émotions de l’enfant et lui parler des différents phases normales de l’expatriation.
- Laisser l’enfant choisir certaines des choses pour compenser le sentiment de perte de contrôle et de repères.
- Garder des objets, photos, qui marquent un ancrage et un repère malgré le changement de pays de lieu de vie
- Il est aussi possible de rejoindre des associations d’expatriés, pour garder le lien et réduire le sentiment d’isolement
- Stimuler la soif d’apprentissage de l’enfant en mettant en avant l’opportunité de découvrir et d’apprendre plus de choses lors d’une expérience de vie unique
- Communiquer régulièrement et valider les émotions de l’enfant, même si elles sont « négatives » de sorte à l’aider à les accepter puis à les relativiser en prenant plus recul
- Si l’enfant a tendance à être anxieux, l’inciter à augmenter les activités lui faisant du bien dans le quotidien
- Faire des activités physiques en extérieur pour se connecter à son corps et pas seulement à ses pensées, souvent très foisonnantes chez les enfants HPI.
- En cas d’anxiété lié à l’expatriation avant le départ ou durant l’expatriation, un accompagnement spécialisé pour toute la famille peut donner des outils et clefs. Parfois il suffit d’un petit déclic, d’une petite prise de conscience pour déclencher un cercle vertueux et profiter au mieux de l’aventure en tant que famille expatriée.

La spécificité de chaque être humain à ne jamais oublier
Rappelons que les enfants HPI sont fondamentalement avant tout des enfants ! Comme chaque enfant, ils sont uniques, présentent des points forts et des faiblesses. Certains facteurs communs, les rendent particuliers en les comparant à une norme sociale, mais ils présentent également de grandes divergences, nécessitant une analyse globale et spécialisée pour les accompagner. Dans le cadre de l’expatriation, les facteurs influençant la santé mentale et l’épanouissement de l’enfant sont multiples et varient également en fonction de la perception de l’enfant en général dans le pays hôte. L’influence des croyances et représentations du pays sur les enfants en général, et dans ce cas précis, sur le HPI, influence directement l’enfant et ses parents. C'est un facteur qui devrait être plus étudié et contrôlé dans les recherches.
L’enfant est toujours plus épanoui si ses émotions sont validées, et s’il arrive lui-même à se comprendre
C’est aussi en gardant un certain recul critique à la fois auprès des médias mais aussi des recherches et différentes opinions professionnelles, susceptibles d’évoluer avec le temps, que l’on peut être plus ouvert à la richesse et à la diversité des expériences humaines. Le travail avec les expatriés et l’expérience d’expatriation ne font que rappeler à quel point nous ne sommes pas des « individus » libres de toute influence socio-culturelle.
L’essentiel est de s’intéresser aux spécificités de l’enfant quel que soit son « étiquette » clinique (HPI ou autre); et de porter attention à ses centres d’intérêts, à ce qui rend l’enfant joyeux, à ce qui au contraire l’angoisse ou lui fait peur, et à ce dont il a besoin pour se sentir rassuré et aimé. L’enfant est toujours plus épanoui si ses émotions sont validées, et s’il arrive lui-même à se comprendre, à comprendre son contexte de vie et la façon dont il ou elle est perçu.e dans un environnement donné à un instant t.
*Maman de trois enfants et expatriée en Suède, elle a vécu dans trois pays et accompagne depuis près de 10 ans des expatriés anglophones et francophones. Elle offre ses services en ligne en français, anglais, suédois et italien accompagnant, adultes, parents, familles et enfants. Elle est membre du comité de rédaction / lecture d’Enfances&PSY, référente HPI et TDAH pour la Zébrelle, membre experte psychologue du réseau ExpatPro et auteure d’une vingtaine de travaux et articles publiés.
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