Après des espoirs d’apaisement, le quai d’Orsay annonce le 14 avril 2025 qu’Alger exige le départ de douze agents de l’ambassade de France. Le 15 avril 2025, Paris décide d'expulser 12 agents algériens et rappelle son ambassadeur... À peine une semaine après sa visite en Algérie, les espoirs d’un apaisement durable des relations franco-algériennes semblent déjà compromis. Décryptage en cinq questions pour mieux comprendre les enjeux de cet épisode diplomatique tendu.


Historiquement liées par la guerre d'indépendance, la France et l’Algérie traversent une période de fortes tensions diplomatiques et politiques. Après des espoirs d’apaisement, le quai d’Orsay annonce le 14 avril 2025 qu’Alger exige le départ de douze agents de l’ambassade de France. Le 15 avril 2025, Paris décide d'expulser 12 agents algériens et rappelle son ambassadeur... Alors qu’elles semblaient s’apaiser depuis la visite de Jean-Noël Barrot, en Algérie, le 6 avril 2025, ces annonces ravivent le débat autour des liens diplomatiques entre les deux pays. Moulay Hicham Mouatadid, stratège en géopolitique et diplomatie, a répondu à nos questions et partagé son expertise pour mieux comprendre les défis liés à cette relation. La rédaction décortique ces enjeux à travers cinq questions clés.
Comment l’héritage colonial et la guerre d’indépendance continuent-ils de façonner les relations entre la France et l’Algérie ?
Les relations franco-algériennes sont indissociables de leur passé colonial commun. Marquées par des décennies de colonialisme, depuis la prise d’Alger en 1830, et par la guerre d’indépendance, elles restent toujours tendues. La guerre d’Algérie, entre 1954 et 1962, a fait partie intégrante du mouvement de décolonisation post-Seconde Guerre mondiale. Elle a conduit à la victoire du Front de Libération National et à l'indépendance de l'Algérie, mais a laissé des cicatrices profondes dans les deux pays.
Pour Moulay Hicham Mouatadid, stratège en géopolitique et diplomatie, « la rationalité algérienne perçoit certains signaux à travers le prisme d’une asymétrie post-coloniale persistante, difficile à dissiper par de simples gestes, aussi sincères soient-ils ». Ce passif historique agit toujours comme un filtre à travers lequel les relations France-Algérie sont perçues des deux côtés de la Méditerranée.
La crise que vient de traverser la France et l’Algérie est-elle la conséquence d’un enchaînement d’incidents, ou le symptôme d’un problème structurel ?
Pour rappel des faits, en juillet 2024, Emmanuel Macron adresse une lettre au roi du Maroc dans laquelle il apporte son soutien au plan marocain pour le Sahara occidental. Ce territoire de 266.000 m² est frontalier de l’Algérie et du Maroc, et tous deux, en réclament la souveraineté. Suite à la prise de position du Président français, Alger, mécontent, rappelle son ambassadeur sur son territoire.

À peine quelques mois plus tard, en novembre 2024, l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal marque une nouvelle étape dans la détérioration des relations entre la France et l’Algérie. Critique de pouvoir algérien en place, il soutient également la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Le 27 mars 2025, il est condamné à cinq ans de prison.
Mardi 15 avril 2025
— Mohamed Sifaoui (@Sifaoui) April 15, 2025
Boualem #Sansal vient de passer sa 149e nuit en détention arbitraire.
Il a été arrêté par la dictature algérienne le 16 novembre 2024 pour ses opinions et condamné, le 27 mars 2025, à 5 ans de prison à l’issue d’une mascarade judiciaire pic.twitter.com/nexSaSBzbs
Selon l’écrivain français Jean-Christophe Rufin, Boualem Sansal fait les frais de ce contexte complexe, où les enjeux internationaux et diplomatiques se mêlent. Il est d’après lui « l’un des plus forts et symboliques maillons qui nous relient à l’Algérie ».
Selon l’expert Moulay Hicham Mouatadid, « La récente crise est moins le fruit d’un enchaînement d’incidents isolés que la manifestation récurrente d’un déséquilibre structurel non résolu. Depuis 1962, la relation France-Algérie s’écrit dans une dialectique d’interdépendance contrariée : trop liée pour rompre, trop douloureuse pour s’apaiser pleinement ». Ces incidents ne seraient que « des déclencheurs d’un contentieux historique plus profond ». Mais la crise traversée par les deux nations ne s’arrête pas là. En janvier 2025, une vague d’arrestation d’influenceurs algériens fait réagir. Parmi eux, l’influenceur Doualemn est accusé d’avoir tenu des propos haineux. Arrêté puis expulsé du territoire français, Alger refuse de le laisser entrer et le renvoie en France. Ces arrestations ont aussi concerné l’influenceuse Sofia Benlemmane, poursuivie pour « menaces de mort » contre des opposants algériens, selon Le Parisien. Zazou Youssef a, lui aussi, été condamné à Brest à 18 mois de prison ferme. Il écope d’une interdiction de séjour sur le territoire français pendant dix ans pour avoir incité à commettre des attentats en France et des violences en Algérie. Le 22 février à Mulhouse, un Algérien sous obligation de quitter le territoire français tue une personne à l’arme blanche et blesse des policiers.
Quels sont les principaux obstacles à surmonter pour la France et l’Algérie ?
Selon le stratège en géopolitique et diplomatie, « sans une reconfiguration structurelle, appuyée par un pacte de non-agression politique, au sens discursif et médiatique, toute stabilisation ne pourra être qu’éphémère. La relation a besoin d’un contrat d’avenir, non d’un rapiéçage du passé ».
D’après Moulay Hicham Mouatadid : « Il existe une forme de fatigue diplomatique entre les deux appareils d’État, qui rend les malentendus plus inflammables. Sans une reconfiguration structurelle, appuyée par un pacte de non-agression politique, au sens discursif et médiatique, toute stabilisation ne pourra être qu’éphémère. La relation a besoin d’un contrat d’avenir, non d’un rapiéçage du passé ». Il fait écho à la nécessité de dépasser les conflits liés à l’histoire coloniale et à la guerre d’indépendance pour se concentrer sur des projets communs qui profitent aux deux pays.
Selon lui, il est essentiel d’établir des bases solides avec un cadre de coopération défini. Il ajoute l’idée d’un « pacte de non-agression politique au sens discursif et médiatique » suivant l’idée que les discours politiques et médiatiques des deux pays sont souvent influencés par des logiques internes et des pressions extérieures. En cela, ils nourrissent une image négative et alimentent la méfiance.
Les gestes symboliques, comme ceux de Jean-Noël Barrot, suffisent-ils à faire avancer la réconciliation entre les deux pays ?
« Les gestes de réconciliation symboliques, bien qu’indispensables dans l’architecture diplomatique, ne peuvent à eux seuls sceller une restauration durable de la confiance bilatérale », confie le stratège en diplomatie. En août 2022, lors de la visite d’Emmanuel Macron en Algérie, les deux nations ont signé la Déclaration d'Alger pour un partenariat renouvelé. Cette déclaration visait à renforcer les relations bilatérales, avec un Haut Conseil de Coopération prévu tous les deux ans pour superviser le dialogue. Malgré ces initiatives, plusieurs signes laissent penser à une dégradation des relations bilatérales.
La nomination de Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur en France et les tensions récurrentes sur la question migratoire viennent complexifier davantage les échanges. Le débat en France sur l’immigration et la question des ressortissants algériens contribuent également à la fragilité de cette relation. En 2021, la communauté française en Algérie comptait 32.812 ressortissants, tandis qu’en 2020, la communauté algérienne en France, avec plus de 600.000 ressortissants titulaires d’un permis de séjour, reste la plus importante diaspora d’origine maghrébine. En 2023, d’après l’INSEE, ce sont 891.700 immigrés vivant en France qui sont nés en Algérie.
« Pour que le geste symbolique devienne stratégique, il doit être accompagné d’un cadre bilatéral refondé sur une diplomatie contractuelle, dans laquelle les attentes, les engagements et les modalités de désaccord sont anticipés et institutionnalisés », exprime Moulay Hicham Mouatadid.
Le 6 avril 2025, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, s’est rendu en Algérie. Sur invitation du Président algérien, Abdelmadjid Tebboune, il poursuit la dynamique des échanges avec Alger et lance une nouvelle phase dans la relation bilatérale pour répondre à l'ambition définie par les deux chefs d’États dans la déclaration d'Alger de 2022. « Pour que le geste symbolique devienne stratégique, il doit être accompagné d’un cadre bilatéral refondé sur une diplomatie contractuelle, dans laquelle les attentes, les engagements et les modalités de désaccord sont anticipés et institutionnalisés », exprime Moulay Hicham Mouatadid.

Quels secteurs de coopération pourraient favoriser un rapprochement durable entre la Paris et Alger ?
« Trois domaines sont particulièrement propices à jeter les bases d’un rapprochement pérenne : la coopération économique productive, la formation scientifique et technique, et la sécurité régionale », partage l’expert. D’après lui, ce sont des champs à faible contenu idéologique qui « permettent d’aligner les intérêts stratégiques sans exiger de consensus historique ».
« L’Algérie jouit d’un capital géopolitique dans la région que la France ne peut ignorer », relève l'expert Moulay Hicham Mouatadid.
Comme le souligne Moulay Hicham Mouatadid, « l’économie notamment, avec ses 6.000 entreprises françaises en Algérie, peut jouer un rôle de vecteur d’institutionnalisation, en réinsérant les relations franco-algériennes dans une logique de résultats, de contrats et d’interdépendance pragmatique ». Une coopération économique peut participer à structurer la relation bilatérale et la rendre moins vulnérable aux tensions historiques. Il ajoute : « la sécurité régionale, notamment via un dialogue stratégique sur le Sahel, constitue une opportunité inédite. L’Algérie jouit d’un capital géopolitique dans la région que la France ne peut ignorer. La création d’un mécanisme bilatéral de veille stratégique sur les mouvements jihadistes, les flux migratoires et les crises climatiques pourrait cimenter un espace de coopération fondé sur l’intérêt commun, loin des crispations mémorielles ». Selon lui, un tel projet serait un « réalisme éclairé, conciliant souverainetés et objectifs ».
Les expulsions de douze agents diplomatiques des deux pays et les rappels des ambassadeurs marquent un nouveau pic dans l'histoire de la relation bilatérale franco-algérienne. Une fois de plus, l'entente entre les deux nations est mise à l'épreuve. Les plaies du passé finiront-elles par disparaître un jour ?
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