Après les célébrations du Nouvel An lunaire, un éditorial de Pascal Praud sur CNEWS saluant l’intégration de la diaspora vietnamienne en France a suscité des réactions contrastées. Bien que certains partagent l'opinion de l'éditorialiste, l’opposition a exprimé son point de vue dans une tribune signée par plus de 300 personnes, dont plusieurs figures influentes de la communauté.
Après les célébrations du Têt organisées par la diaspora vietnamienne en France, un éditorial et un article ont suscité de nombreuses réactions au sein de la communauté. Le 31 janvier dernier, Pascal Praud, animateur sur la chaîne CNEWS, s’est félicité que le Nouvel An lunaire « se soit déroulé sans voiture brûlée [...] et sans kalachnikov ». Il a ensuite vanté l’immigration vietnamienne en France, affirmant notamment que « le Vietnam n’utilise pas la rente mémorielle, le Vietnam se développe ».
L’éditorialiste a également insinué que, contrairement à d’autres communautés, la diaspora vietnamienne en France se distinguait par une intégration exemplaire : « C’est une minorité visible en France, ils vivent souvent en communauté, ils ne sont pas catholiques, ils pratiquent le culte des ancêtres et le bouddhisme. Les enfants sont éduqués, ils s’intègrent, ils respectent à la fois les lois de la République et leur culture d’origine. »
Ces déclarations ont suscité des réactions contrastées au sein de la communauté, poussant l’opposition à préciser sa position dans un droit de réponse. Selon Linh-Lan Dao, journaliste et engagée dans la lutte contre le racisme anti-asiatique, « la droite et l’extrême droite nous utilise, nous, diaspora vietnamienne, pour mieux taper sur les autres, et ça, c’est inacceptable ». Autrice du livre "Vous les Asiates...", une enquête sur le racisme anti-asiatique en France (Denoël), elle s’est confiée au Petit Journal.
« Triangulation raciale »
Linh-Lan Dao estime que cet éditorial s'inscrit pleinement dans la ligne éditoriale de la chaîne, visant à promouvoir des idées d'extrême droite en renforçant la notion de « submersion migratoire ». Dans une tribune publiée dans Le Nouvel Obs, elle analyse le mécanisme sociologique employé par CNEWS, qu'elle qualifie de « triangulation raciale ».
« La rhétorique de l’extrême droite cherche à hiérarchiser les communautés minoritaires entre elles. En adoptant une posture dominante de maîtres d’école, ils distribuent des bons et des mauvais points aux différentes populations immigrées en France », explique la journaliste.
Bien que son analyse ne fasse pas l’unanimité au sein de la communauté, son texte a recueilli plus de 300 signatures, dont celles de membres d’associations franco-vietnamiennes comme Nguyên Đặc Minh, militant associatif et membre de l’Union générale des Vietnamiens de France (UGVF), Angélina Nguyen Tramond, présidente du Mouvement des Citoyens Français d’origine Vietnamienne (MCFV), Can Vu Ngoc, président d’honneur du MCFV, ou encore Valéry Vuong, vice-président du Conseil représentatif des associations asiatiques de France (Craaf). Des artistes ont également soutenu cette initiative, à l’image de Marine Bachelot Nguyen, autrice et metteuse en scène, que Le Petit Journal avait interviewée lors de son passage à Hanoï.
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« Discréditer une communauté grâce à une autre »
« L’éditorial de CNEWS emploie la technique du dog whistle, c’est l’art de tenir un double discours : ici, il s’agit d’une déclaration qui semble acceptable en surface, mais qui, en sous-texte, vise à attaquer d’autres communautés. C’est ce qu’on appelle la triangulation raciale. La droite et l’extrême droite usent souvent de cette tactique en mettant en avant une communauté pour en discréditer une autre. Elles disent : ‘Regardez, eux ne posent pas de problème, ils s’assimilent’, ce qui sous-entend que les autres ne feraient pas d’efforts », analyse Linh-Lan Dao, elle-même descendante de Vietnamiens.
Elle dénonce également l’idée d’une « réussite généralisée » des personnes d’origine asiatique en France : « On essaie souvent de nous faire croire que tout se passe très bien pour les Asiatiques, et plus précisément les Vietnamiens. Bien sûr, certains réussissent, mais il ne faut pas généraliser. Il existe 30.000 réalités différentes. Chacun est arrivé en France avec un capital économique et culturel distinct, à travers des vagues d’immigration successives et dans des contextes très variés. On ne peut pas tout uniformiser en ignorant les différences entre les individus. »
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Dans un entretien accordé au site StreetPress, Linh-Lan Dao estime que derrière le mythe de la « minorité modèle » se cache un autre mécanisme insidieux : l’invisibilisation des discriminations. « On laisse entendre que cette communauté n’a pas de problèmes, qu’elle s’intègre bien, et donc qu’elle n’a pas à revendiquer ses droits. Mais en réalité, les personnes d’origine asiatique en France subissent encore des discriminations. Est-ce que la société française intègre bien les minorités ? Je réponds que les comptes ne sont pas bons. Les personnes d’origine asiatique, toutes origines confondues, ont 15 % de chances en moins d’obtenir un logement par rapport à la population majoritaire. Certes, c’est moins que les populations maghrébines et noires, mais c’est déjà 15 % de trop. Le jour où ces discriminations auront disparu, alors je pourrai dire que les populations asiatiques sont réellement bien intégrées. »
« Nous avons été pris à témoin »
Signataire de la tribune publiée dans Le Nouvel Obs, Jérôme Thẩm Võ Mỹ, responsable des relations extérieures de l’Union Générale des Vietnamiens de France, est revenu sur un article du Figaro publié le dimanche suivant la chronique de Pascal Praud. Intitulé "La diaspora d’Asie du Sud-Est, modèle d’une intégration réussie et d’une immigration vertueuse", l’article fait également l’éloge de l’intégration de la communauté vietnamienne en France.
« J’ai signé cette tribune en tant qu’individu, mais pas au nom de mon association. Il s’agissait d’une prise de position personnelle. Notre organisation est apolitique et, en tant que telle, elle ne prend pas position sur ce type de débat », explique Jérôme Thẩm Võ Mỹ.
Comme chaque année, l’association a organisé le Nouvel An lunaire pour réunir la communauté. « Dans cet article du Figaro, ils ont aussi évoqué le Têt que nous avons organisé au Pavillon Baltard, en nous prenant à témoin. Le journaliste souligne que plus de 4.000 personnes ont participé à notre événement sans incident, sous-entendant qu’avec une autre communauté, cela aurait été le chaos », observe Jérôme Thẩm Võ Mỹ.
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Il confesse que son organisation s’exprime rarement sur les questions de racisme, et qu’elle reste ouverte au dialogue avec des partis de gauche comme de droite. Cependant, « nous avons été pris à témoin, comme si notre organisation du Nouvel An servait à illustrer une idée politique que nous rejetons. Face à cela, il me semblait indispensable de répondre », conclut-il.
L’association se veut être un « organisme d’entraide » au sein de la diaspora vietnamienne en France et organise divers événements culturels. Le 29 mars prochain, elle soutiendra notamment l’organisation d’un festival de hip-hop en invitant des rappeurs vietnamiens à Paris pour un show de 19h30 à minuit. Pour plus d’informations, suivez ce lien : https://www.icivietnam.com/
Pour en savoir plus sur l'Union Générale des Vietnamiens de France veuillez vous rendre sur UGVF
Cet article est co-signé par l'équipe de la rédaction du Petit Journal de Hanoï, en date du 19 février 2025.
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