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Un historique des emprunts culinaires réciproques entre la France et le Vietnam

Le 23 mars dernier, se tenait au Sofitel de Saigon une table ronde intitulée « Regards croisés sur les cuisines française et vietnamienne ». Après une démonstration et la dégustation d'un gratin dauphinois revisité, le public a assisté à une conversation animée portant sur les échanges gastronomiques entre les deux pays.

Banh Mi au Vietnam : trace de l'héritage françaisBanh Mi au Vietnam : trace de l'héritage français
Crédit : Bach Hoa Xanh
Écrit par Maud Joulié Moly
Publié le 15 juin 2023, mis à jour le 27 novembre 2023

La salle était comble, témoignant de l'intérêt persistant des Vietnamiens envers son Histoire partagée avec la France.

La première invitée, Tran Le Bao Chan, docteure de littérature à l'Université de Pédagogie d'Ho Chi Minh-Ville, ouvre la discussion en rappelant le contexte de la rencontre entre les cuisines française et vietnamienne.

Rencontre, apports et emprunts d'une cuisine à l'autre

Elle raconte qu’à la fin du XIXème siècle, les colons sont souvent seulement de passage en Indochine. Ils importent alors les ingrédients de leur terre natale, comme le beurre, et font venir leurs propres cuisiniers. Ce n’est qu’au début du XXème que les Français commencent à y vivre sur le long terme. Rejoints par leur famille, ils équipent leurs nouvelles demeures du matériel de cuisine occidental et emploient de plus en plus la population locale pour s'occuper de la maintenance. Il est attendu de ces domestiques qu'ils apprennent ces techniques venues de l’étranger pour les reproduire : pâtisserie, tartines, gratin, cuisson à base de papier aluminium... C'est le point de départ de la diffusion des savoirs-faire français au Vietnam, et de l'adaptation des recettes au goût local.

En 1954 (date de l'indépendance), les colons repartent avec de nouvelles inspirations, telles que les nouilles de riz, et la cuisine fusion continue de perdurer au Vietnam : le bœuf sauce vin est un plat recherché pendant la seconde partie du XXème siècle.
Emprunt du français dans le vocabulaire culinaire vietnamien

L'héritage de la présence française demeure très présent, dans le langage notamment. Citons le ragoût, le rôti, l'oeuf au plat « op la », l'omelette « op let », la « soup », le pain de mie au pâté banh mi « paté », les carottes « carot », le chou fleur, les haricots verts, le garde-manger « gac-mang-rê », le flan au caramel « banh flan vi caramen »...

Plat vietnamien Pho
Crédit : Inspired Taste

Adaptations locales

Tout comme la prononciation est modifiée lorsqu'un plat est transmis d'une culture à l'autre, sa composition est aussi adaptée aux goûts locaux : le banh mi, sandwich à base de pain français, se retrouve au Vietnam sous la forme d'une baguette non salée, plus courte et avec un intérieur moins dense et plus poreux pour permettre davantage de garniture.

Autre exemple : le bouillon dans les soupes vietnamiennes occupe ainsi une place beaucoup plus importante qu'en France. Il est aussi consommé intégralement, tout comme les os. Ces différences s'expliquent, d'après Didier Corlou, maître cuisinier et chef des restaurants Sices Verticale et Co Mai, par les longs embargos qui ont considérablement appauvri le pays. « Aujourd'hui, ajoute-t-il, cette manière de manger est qualifiée de diététique, mais ce n'était pas l'idée initiale ! »

Démonstration de cuisine

 

Faire découvrir la cuisine française au Vietnam et inversement

Il y a 100 ans, la cuisine française était constituée de beaucoup de beurre, de crème et d'épices. Avec la mondialisation et l'intensification des importations, les plats français sont devenus plus légers, moins gras, revisités au prisme de nouvelles saveurs et usages, comme la cuisson à l'huile d’olive. Mais elle pâtit encore de ces anciens clichés. De même, dans l'imaginaire vietnamien, la cuisine française est luxueuse, exigeante et difficilement accessible contrairement à la cuisine chinoise, coréenne ou japonaise. Thao Na, cheffe au restaurant Lavelle Library, l'attribue aux représentations véhiculées par le cinéma et les séries. S’ils sont curieux, les Vietnamiens considèrent donc trop souvent que la gastronomie française n’est “pas pour eux”.

D’autre part, les Français sembleraient plus ouverts aux innovations culinaires que les Vietnamiens, qui préfèreront généralement que le cuisinier respecte la recette originale à la lettre plutôt que de se laisser aller à une improvisation. « En dernier recours, il suffit d’ajouter au nom du plat l'expression « façon … » pour éviter les remarques négatives des clients ! » s'amusent les quatre experts.

On l'aura compris, difficile parfois de faire connaître les plats français et vietnamiens à l'étranger. Et si la solution était... la « cuisine fusion » ?

Fusion des deux cuisines

Tout l'enjeu est de trouver un équilibre pour mêler les savoirs-faire sans trahir l'une ou l'autre des cuisines.

Il s'agit par exemple de garder au maximum la valeur nutritionnelle des produits locaux, leur nature, leur saveur et leur couleur, de respecter le travail des agriculteurs… et de faire attention à prendre en compte l'environnement dans lequel ils s'inscrivent, lié à la culture du pays : les pâturages au Vietnam sont par exemple choses inexistantes, ce qui rend impossible l'élevage de vaches, et donc la production de lait, fromages, crèmes, beurre... Au contraire, il y a 20 ans, les ingrédients vietnamiens étaient inconnus en France. Ils commencent à peine à se faire une place sur les étals : papaye verte, patate douce, sauce nuoc-mam (pensez à ajouter un jus de kumkwat ou d'orange pour compenser l'odeur forte qui peut déranger les Français !).

Le but, comme le précise Alain Nguyen, chef et diplômé de l'école Ferrandi, est l’enrichissement mutuel : si le Vietnam peut s'approprier les techniques françaises, la France peut s'inspirer de la tradition vietnamienne de toujours utiliser des produits frais et de privilégier la légèreté, bénéfique pour la santé qui plus est.

Conférence sur la cuisine française et vietnamienne

 

Manières de se nourrir

La cuisine fusion implique aussi de s’interroger sur la manière de manger. Cela n'aura échappé à personne : en France et au Vietnam, on mange différemment.

Quelques points évoqués par les quatre intervenants : la façon de s'asseoir (sur des tabourets), le service des plats (dans un ordre indéfini), le temps passé à table (ce n'est pas le lieu pour discuter)...

Petites chaises au Vietnam
Crédit : Vietnam Discovery Travel

Les femmes au cœur de l'innovation

Enfin, la conférence resterait incomplète si l'on évitait le sujet des femmes en cuisine. Si peu de places leur sont encore réservées dans les hautes sphères, ce sont elles qui tiennent le feu des maisons ; ce sont les mères, grandes sœurs et grand-mères qui, grâce à des plats simples - riz, potage, viande, festins de célébrations - ont transmis leur passion aux quatre invités de cette soirée riche en enseignements…

Mais surtout, ce sont elles qui ont été au centre des échanges de connaissances et de techniques : au marché, par le contact avec les soldats, en travaillant pour des familles de colons, elles ont été les initiatrices, sans le savoir, de la cuisine fusion.

Pour retrouver les prochains événements organisés par l’Institut français, rendez-vous ici.

 

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