Laurent Jalicous est un homme qui assume d’être « profondément cocardier », ce qui guide probablement sa mission à l’Alliance Française de Pondichéry, ainsi que son intérêt pour les échanges interculturels.
L’Alliance française de Pondichéry, fondée en 1889, se situe rue Suffren, au sud de l’ancienne ville coloniale. C’est une petite rue bordée de belles maisons anciennes, dont l’hôtel des Jardins de Suffren et la petite église Saint Antoine, dont la façade joyeusement bleu turquoise et marine est immanquable. Sur la rue protégée de la circulation ordinaire, les branches des bougainvilliers chargées de fleurs débordent en paquets de couleur fuchsia.
Tous les rickshaws de Pondichéry connaissent la "French Alliance" et vous déposeront devant sa façade jaune moutarde. Elle est ornée d’un immense dessin au format carte postale de Paris, sur laquelle figurent, bien sûr, la Tour Eiffel, un fleuriste et un couple d’amoureux.
L'Alliance de Pondichéry est une demeure de style colonial. Pour y entrer, on passe sous un porche et on débouche dans l’univers serein et lumineux d’un jardin exotique arboré, autour duquel courent des coursives ombragées, bordées de bâtiments.
Laurent Jalicous, directeur de l’Alliance Française depuis septembre 2022, et Marion Sicard, chargée de communication dans le cadre d’un volontariat de solidarité internationale, accueillent Le Petit Journal.
D’emblée, nous échangeons sur le dernier événement en date, remarquable, qui a eu lieu mercredi 26 juin. L’opération Raju, du nom du dromadaire qui a participé avec le personnel et les étudiants à la joyeuse parade bleu blanc rouge, émaillée de chorégraphies sonorisées entraînantes, sur le front de mer, pour annoncer l’ouverture des inscriptions pour les cours du mois de juillet. On aura rarement vu un directeur d’Alliance montant un dromadaire sur la rue Goubert.
« Je suis une créature des Alliances françaises depuis 1998 », c’est ainsi que se décrit Laurent Jalicous.
Un baccalauréat scientifique en poche, celui-ci, appelé par l’amour de la littérature française, s’oriente vers une maîtrise de lettres et littérature françaises.
C’est au moment d’effectuer son service militaire comme volontaire dans la coopération que commencent ses aventures avec les Alliance Françaises à travers le monde.
Il est envoyé à Castries, capitale de l'Île de Sainte Lucie, petite île de 617 m2 dans la mer des Caraïbes, où il est animateur culturel pendant dix-huit mois.
À la fin de son contrat, l’ambassadeur de France lui propose, en attendant l’arrivée du nouveau directeur, d’en assurer la fonction en intérim, ce qu’il accepte.
De retour en France en 2001, Laurent Jalicous postule auprès du Ministère des affaires étrangères pour un poste de directeur à l’Alliance Française de Sapporo au Japon, il sera envoyé à l’Alliance de El Jadida, au Maroc pour un contrat de quatre ans. Il passe de la responsabilité de 300 élèves à 2000 !
Il va ensuite au Bangladesh, à Dhaka, pendant deux ans.
Choisir d’être nomade au long cours
Un contrat a une durée de quatre ans, qui peut être augmentée d’une cinquième année par dérogation.
« La vie d’expatrié, c’est une vie en CDD, une vie, où à chaque fin de contrat, on clôt un chapitre pour en ouvrir un nouveau. Le bon côté de ce choix, c’est de découvrir, comprendre, comment fonctionnent les gens, ailleurs. Le risque, à un moment, c’est de se tromper soi-même et de s’imaginer que l’on peut s’affranchir de son éducation, de son identité, en croyant devenir plus autochtone que les autochtones, en les imitant. »
En France aussi, Laurent est un voyageur, puisqu’il découvre chaque fois une nouvelle ville, une nouvelle région où résider en attendant un nouveau départ.
Il choisit de reprendre des études à Paris afin d’enrichir ses compétences dans l’animation des équipes. Il obtient un master pro en management culturel.
De retour sur le marché de l’emploi, il devient, à Strasbourg, administrateur de deux ensembles de musique baroque. Il y apprend à faire tenir conjointement le réel et l’artistique, manœuvre qui se répète à Pondichéry sous une forme différente.
Six ans plus tard, Laurent repart pour quatre ans comme directeur de l’Alliance aux Seychelles, à Victoria.
Puis survient le Covid et les nomades sont stoppés dans leurs élans.
En septembre 2022, Laurent Jalicous obtient pour la première fois, auprès du Ministère des Affaires Étrangères, la destination qu’il souhaite. Il est nommé directeur de l’Alliance Française de Pondichéry en Inde.
Qui sont les apprenants qui s’inscrivent à l'Alliance française ?
« Le public ciblé, ce sont les jeunes Indiens qui ont de l’appétence pour la France et pourront passer outre l’image d’Épinal : Tour Eiffel, langue de l’amour et béret basque, même si, bien sûr, c’est la porte d’entrée du désir d’apprendre ». Pour preuve l’entrée réelle de la maison.
Les inscriptions se font par trimestre, ce qui représente 1600 inscriptions sur l’année 2023 pour 927 élèves.
Le principe des cours de français langue étrangère (FLE) est d’assimiler un français de communication. Il s’agit d’habiter rapidement la langue, elle doit être fonctionnelle pour pouvoir demander son chemin et comprendre la réponse, par exemple.
Un apprenant pourra ensuite monter en compétences, affiner ses connaissances et franchir un à un les six niveaux de diplôme.
Ici, on ne parle pas d’élèves mais d’apprenants. Ils ont entre 20 et 28 ans, ce sont pour la plupart des jeunes actifs. Les cours ont donc lieu tôt le matin et tard le soir.
Certains viennent à l’Alliance pour avoir une ligne supplémentaire sur leur CV et pour être plus compétitifs sur le marché de l’emploi, saturé en Inde.
D’autres cherchent à poursuivre des études en France ou espèrent y trouver du travail.
Enfin, certains sont dans une démarche identitaire, liée à l’histoire de leurs ancêtres avec la colonisation française, particulière à Pondichéry, et souhaitent parler français pour faire valoir des droits.
Les missions de l’Alliance sont :
Promouvoir la langue, la culture et la pensée française et étendre la zone d’influence de la France.
L’Alliance est un bout de France et comme « on ne vient pas manger une choucroute dans une pizzeria », les usagers viennent chercher des médiations spécifiquement françaises, il faut donc les en nourrir.
Les enseignants sont des animateurs qui cherchent à susciter les interactions entre les apprenants et eux-mêmes. Si le français est la passerelle commune à tous, trois langues vernaculaires sont utilisées à l’Alliance : le tamoul, l’anglais et le français.
Les apprenants démontrent une vraie envie de communiquer. Alors qu’ils ont appris depuis jeunes à vouer une admiration sans faille à leurs professeurs et à se taire, il leur est proposé d’oser s’exprimer, de donner leur avis, d’inventer et de se mettre en scène. Ils s’emparent de ce credo avec enthousiasme et créativité, il faut juste réussir à les limiter dans leurs ardeurs.
« Nous avons toutes les infrastructures, tout un écosystème, qui ont pour but de motiver et d’aider, pour l’apprentissage du français. »
Plusieurs institutions d’apprentissage de la langue française privées existent à Pondichéry, c’est un marché concurrentiel sain. Les mêmes tarifs y sont pratiqués, mais seule l’Alliance est reconnue comme centre agréé TEF-DFP et centre d’examens DELF-DALF.
Un programme de réduction du coût des cours est mis en place selon le nombre de trimestres d’inscription choisis. L’Alliance Française de Pondichéry est la moins chère de l’Inde.
L’argent collecté par les inscriptions permet, entre autres, d’engager des investissements : par exemple, la bibliothèque vient d’être climatisée. Deux avantages à cela : c’est plus confortable en période très chaude pour les apprenants et les adhérents qui empruntent des livres et ceux-ci sont ainsi protégés de l’humidité.
Cependant l’Alliance de Pondichéry est résolument tournée vers l’écologie et l’encourage (Juin 2024, exposition CNRS en partenariat avec l’Ifremer : L’Océan, colosse aux pieds d’argile): elle ne possède pas de véhicule, par exemple. De plus, la saison chaude allant d’avril à juillet, le rythme des événements s’adapte aussi au climat.
Le mode d’information à Pondichéry, c’est la force du hasard et le bouche à oreille.
Marion Sicard est responsable de la communication. Elle utilise comme vecteurs de communication écrits le français, l’anglais et quelquefois le tamoul.
À Pondichéry, le bouche à oreille et Whatsapp sont, selon Marion, de bons transmetteurs d’informations. À cela s’ajoutent tous les modes de transmission habituels par les réseaux sociaux, les photos prises lors des événements, les affichages sur les panneaux extérieurs et des flyers en couleurs sur lesquels sont inscrits les programmes du mois : recto en français, verso en anglais.
Les programmations d’expositions, les discussions, concerts, projections de films, représentations théâtrales, conférences se succèdent chaque mois. Le mois de mars a compté 23 manifestations !
Des journées sont réservées aux apprenants qui tous les samedis peuvent voir des films, faire des jeux et différentes activités, dont la récente fête des élèves.
Dans la mesure du possible, chaque mois l’Alliance propose un thème différent : le mois du chat, le mois de la science-fiction française, le mois des fiertés gays… Il doit toujours se passer quelque chose.
Nous essayons de créer des programmations qui étendent les zones d’influence de la France.
L’Alliance doit véhiculer les valeurs humanistes sans pour autant être militante. Elle doit être une Agora, un espace où tous les sujets peuvent être abordés et discutés. C’est un lieu de vie.
Laurent Jalicous a un objectif “qu’un jour quelqu’un se dise : plutôt que d’aller faire un tour à Providence mall (centre commercial climatisé de Pondichéry) je vais aller voir ce qui se passe à l’Alliance.”
La posture de directeur d’une Alliance Française en Inde demande du tact à plusieurs égards.
Pour manager l’équipe, il est nécessaire de tenir compte de plusieurs facteurs dont les religions, les âges, l’ancienneté dans la maison, les différentes valeurs et différentes appartenances sociales de chacun. C’est particulièrement complexe et délicat !
Il faut accepter de lâcher prise et parfois de ne pas être aimé de tous. Il n’existe pas une bonne manière de manager, il faut fédérer, communiquer, rappeler les missions, expliquer les démarches et soutenir les personnes qui sont force de propositions.
Le public francophone de Pondichéry est aussi un facteur important dont il faut tenir compte dans les choix culturels proposés. Ils ne sont pas toujours là où on les attend.
C’est un public éclectique, entre les Indiens francophones, les Franco-Indiens, les Ashramites, les Aurovilliens, les Français qui résident à temps partiel ou plein-temps : enseignants, chercheurs, expatriés, il faut faire preuve d’une grande créativité pour les amener jusqu’à l’Alliance.
A priori, ils ont soif de connaissances et de culture. Ainsi l’Alliance de Pondichéry a, en Inde, la réputation d’être "un peu intello".
Laurent Jalicous pense que son travail de bureau ne peut pas se dissocier de l’aspect de "sa représentation". Il considère qu’il a le devoir, du fait de sa fonction, de manifester son intérêt pour le pays d’accueil par sa présence. Il se rend donc régulièrement aux invitations culturelles locales auxquelles il est invité.
« C’est le principe de l’interculturalité, une réciprocité de curiosité et d'intérêt. »
Laurent est en outre présent à tous les événements présentés au théâtre de l’Alliance. Il est toujours vêtu de son « costume cravate », son uniforme, ce qui donne une certaine prestance à sa fonction, particulièrement lorsqu’il fait 34 degrés.
Les projets à venir, selon Laurent Jalicous :
« Satish Nallam est président de l’Alliance, il aime ce qu’il fait et nous formons un bon binôme pour mener à bien les projets. »
Ainsi nous avons pu transformer en trois semaines une pièce inutilisée en galerie d’exposition. Nous avons exposé plusieurs artistes locaux et aussi fait des expositions à thème comme l'exposition « Après Charlie, paroles de dessinateurs »
Satish a aussi récupéré l’immeuble "Alliance" (propriété de l’Alliance française) situé sur le front de mer et nous pouvons ainsi loger dans les appartements les artistes et intervenants de passages, ce qui économise les chambres d’hôtels et nous imaginons à l’occasion, en faire « une résidence d’artistes » .
Pierre Bordage, cet auteur de science-fiction, qui nous rend visite tous les ans, écrira peut-être un jour quelque chose ici ?
Un café va être prochainement aménagé pour les membres sur le toit terrasse et après la confiture de mangues, des manguiers de l’Alliance, le miel de ses abeilles, de nouveaux projets d’envergure verront le jour l’année prochaine.
Nous remercions Laurent Jalicous et Marion Sicard, pour leur travail à l’Alliance Française de Pondichéry et pour avoir si chaleureusement reçu Le Petit Journal Inde.