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Les relations entre France et Scindia et le développement de l'armée moderne en Inde

L’histoire de l’Inde du XVIIIe siècle regorge d’aventuriers militaires européens qui ont acquis un immense pouvoir et une grande fortune au service des maharajas indiens. Parmi eux, Mahadji Scindia, alias Madhavrao Scindia, l'un des souverains les plus puissants de l'époque

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Écrit par Arunansh B Goswami
Publié le 24 février 2025, mis à jour le 25 février 2025

 

En faisant de l’empereur moghol son prisonnier et son pensionnaire, Mahadji Scindia avait réussi à établir sa suprématie sur une grande partie de l’Asie du Sud. Comme l’écrivait V. P. Menon, un haut fonctionnaire indien qui joua un rôle clé dans l’intégration des États princiers dirigés par les maharajas à l’Union indienne : « En 1792, Madhoji Scindia avait affirmé son ascendant sur les Rajputs et les Jats, et son pouvoir ainsi que sa splendeur dans le nord de l’Inde étaient absolus. »

 

Mahadji Scindia : Le stratège qui domina l’Hindoustan


Les relations indo-françaises remontent à plusieurs siècles et ont résisté à l’épreuve du temps. Saviez-vous qu’il y avait des soldats français dans l’armée de Scindia dont les revers et les épaulettes étaient brodés des mots Liberté et Constitution, inspirés de la Révolution française ? Ou encore que Scindia avait pour Général un Français, De Boigne, qui avait pour beau-père le premier ambassadeur français à Londres après le retour des Bourbons ?

L’histoire de l’Inde du XVIIIe siècle regorge d’aventuriers militaires européens qui ont acquis un immense pouvoir et une grande fortune au service des maharajas indiens. Parmi eux, Mahadji Scindia, alias Madhavrao Scindia, s'est imposé comme l'un des souverains les plus puissants de l'époque, exerçant pendant plusieurs décennies un contrôle total sur Delhi, la capitale impériale. Selon les mots d’Herbert Compton, il était le « seigneur suprême de l’Empire moghol ».

 

Les Français au service des Scindia : Une alliance militaire décisive


En faisant de l’empereur moghol son prisonnier et son pensionnaire, Mahadji Scindia avait réussi à établir sa suprématie sur une grande partie de l’Asie du Sud. Comme l’écrivait V. P. Menon, un haut fonctionnaire indien qui joua un rôle clé dans l’intégration des États princiers dirigés par les maharajas à l’Union indienne : « En 1792, Madhoji Scindia avait affirmé son ascendant sur les Rajputs et les Jats, et son pouvoir ainsi que sa splendeur dans le nord de l’Inde étaient absolus. »

Mahadji Scindia ainsi que ses successeurs employèrent plusieurs Français pour former leur armée selon les standards européens. Leur objectif était double : d’une part, établir leur suprématie sur les autres puissances indigènes qui s’en tenaient aux méthodes militaires traditionnelles, et d’autre part, contrer l’expansionnisme politique des colonisateurs britanniques en Inde. La Compagnie britannique des Indes orientales étendait son influence sur le sous-continent, et son principal adversaire en Asie du Sud était l’Empire marathe, au sein duquel les Scindia étaient les plus puissants. Face aux Marathes, la Compagnie livra trois guerres anglo-marathes.

 


Charles Metcalfe écrivit : « L’Inde ne compte que deux grandes puissances, les Britanniques et les Marathes, et tous les autres États reconnaissent l’influence de ces puissances. » Un voyageur français, Louis Rousselet, qui visita le royaume de Scindia, déclara : « Le Maharajah Scindia, roi de Gwalior, est aujourd’hui le plus puissant souverain indigène de l’Hindoustan et, avec le Guicowar, roi de Baroda, et Holkar d’Indore, il représente cette grande puissance marathe. »

 

Parmi les officiers français au service des maharajas Scindia figuraient le général Benoît de Boigne, le général Perron, qui était jacobin et démocrate, le major Augustine Bernier, le major Baours, Louis Bourguien (dont le vrai nom était Louis Bernard), le major Louis Derridon (Lady Fanny Parkes mentionne d’ailleurs dans « Wanderings of a Pilgrim in Search of the Picturesque » que cet officier vivait à Koil en 1838 « dans une maison ayant autrefois appartenu au général Perron »), le capitaine Drugeon, Chevalier Dudrenac, le colonel Duprant, le major Geslin, le capitaine Le Marchant, le colonel Pedron et le colonel Saleur.

Mais l’officier français le plus éminent au service des Scindia fut le Savoyard général Benoît Le Borgne, comte de Boigne, qui rejoignit l’armée de Scindia en 1784. Herbert Compton écrivit dans son ouvrage « European Military Adventurers of Hindustan » à propos de De Boigne : « Il créa pour Madhoji Scindia… la première armée régulière complète employée par les princes indigènes du pays. L’exemple fut rapidement suivi par le Nizam d’Hyderabad et, dans une certaine mesure, par Tipu Sultan. »

 

Benoit de Boigne
Le comte de Boigne.  crédit photo : wikimedia

De Boigne naît à Chambéry, en Savoie, le 8 mars 1751. Il était le deuxième fils d’une famille nombreuse, et son père exerçait le métier de marchand de fourrures. Mahadji Scindia souhaitait que son armée soit formée selon les méthodes européennes afin d’être prête à affronter les Britanniques et mettre un terme à la menace coloniale anglaise en Inde.

Grâce à la confiance que Scindia plaçait en lui, De Boigne ne se contenta pas de former l’armée de Scindia selon les normes européennes ; il leva trois brigades et joua un rôle déterminant dans la défaite de plusieurs maharajas indiens, notamment ceux de Jaipur et de Jodhpur, les transformant en vassaux du Maharaja Scindia. Cette ascension lui permit également d’amasser une immense fortune personnelle.

 

Benoit de Boigne : Un Savoyard, Général des Marathes au XVIIIe siècle


Il s’éleva du grade modeste d’enseigne dans un régiment d’infanterie de Madras à celui de commandant en chef de l’armée de l’Hindoustan sous le Maharaja Scindia. Compton décrit l’augmentation phénoménale du pouvoir de Mahadji Scindia au fil du temps :

 

« L’Hindoustan était désormais entre les mains de Scindia. Par ses armes et sa diplomatie, il en était devenu le maître. Les riches districts moghols du Doab, cette région fertile entre le Gange et la Jumna, se rendirent bientôt, avec les forteresses d’Aligarh et d’Agra. À la chute de cette dernière, considérée comme une ville clé de l’Hindoustan, l’Hindou du Deccan était devenu le seigneur suprême de l’Empire moghol.»

En 1788, les deux bataillons de De Boigne jouèrent un rôle essentiel dans la conquête de l’ancienne capitale moghole, Agra, par Scindia. Aux côtés des emblèmes de Scindia, De Boigne portait le drapeau de la Savoie, tandis que le corps sous le commandement de Piron (Perron), un Français originaire d’Alsace, arborait toujours le drapeau français. De plus, les revers et les épaulettes des uniformes des Cipayes (Nom donné aux soldats indiens servant sous les ordres d’occidentaux à cette époque) étaient brodés des mots Liberté et Constitution.

 

Les Scindia et Paris

Les liens entre les Scindia et la France ne se limitent pas aux officiers français présents dans leur armée. Le Maharaja progressiste Madhavrao II Scindia (Madho Maharaja) avait également une relation particulière avec la ville de Paris. Il y passa les derniers jours de sa vie, et sa crémation eut lieu au Cimetière du Père-Lachaise, où reposent plusieurs figures célèbres comme Molière, Frédéric Chopin, Honoré de Balzac, Marcel Proust, Georges Seurat, Oscar Wilde, Sarah Bernhardt, Isadora Duncan, Gertrude Stein, Colette, Edith Piaf, Richard Wright, Yves Montand et Jim Morrison.

C’est en avril 1925 que Madho Maharaja embarqua pour l’Europe, confiant la gestion de l’État de Scindia, à l'époque plus vaste que certains pays européens, à la Senior Maharani Chinkoo Raje Scindia. Le Maharaja était en mauvaise santé et souffrait énormément. À son arrivée à Marseille, son état de santé l’empêcha de poursuivre immédiatement son voyage et, avec l’aide d’un médecin parisien, il ne fut transféré à Paris qu’après quelques jours de repos.

Le Maharaja fut déplacé d’un hôtel du centre-ville vers le Château de Madrid, situé en périphérie du Bois de Boulogne. C’est là qu’il subit une intervention chirurgicale pratiquée par un chirurgien français. Sa convalescence se déroulait bien, jusqu’à ce qu’il refuse soudainement de faire soigner sa blessure régulièrement, moment à partir duquel son état empira.

 

rue de MAdrid
Auteur de cet article près du château de Madrid où le maharaja Madho Rao Scindia a passé les derniers jours de sa vie. Crédit d’image : Arunansh B. Goswami.

 

Malgré les supplications de ses proches et de ses officiers, il persista dans son refus, ce qui aggrava progressivement son état. Une nouvelle opération devint alors inévitable. Le Dr Lord Dawson of Penn, médecin britannique de renom, fut appelé en urgence depuis Londres. Après de longues tentatives de persuasion, il parvint à obtenir la coopération du Maharajah..

Pour ce faire, il fut grandement aidé par Son Altesse le Maharaja Sayajirao Gaekwad III de Baroda, dont la présence à Paris à ce moment-là s’avéra précieuse. Lorsque le Gaekwad était à son chevet, le Maharaja acceptait généralement de se faire soigner et de prendre ses médicaments.

Le Gaekwad passait des heures au chevet du Maharaja. La seconde opération, très délicate, fut habilement réalisée par un grand chirurgien français, et après quelques jours d’angoisse, le Maharaja sembla à nouveau sur la voie du rétablissement.

Ses deux enfants, Jiwajirao Scindia et Kamala Raje Scindia, ainsi que leur mère, la junior Maharani Gajra Raje Scindia, étaient arrivés quelques jours auparavant, et le danger semblait écarté. Son Altesse était indéniablement dans un état moins critique qu’auparavant, et l’espoir de sa guérison était grandissant.

Cependant, le Maharaja souhaita être traité par un hakim (un médecin traditionnel). Après seulement deux jours de ce nouveau traitement, la plaie s’infecta et sa température augmenta. Même le hakim dut reconnaître que ses onguents étaient inefficaces. À la dernière minute, on tenta désespérément de revenir à des méthodes de soins plus contemporaines, mais il était trop tard.

Le 5 juin 1925, le fondateur du Gwalior moderne, Maharaja Madho Rao Scindia, s’éteignit. Sa crémation eut lieu au crématorium du Cimetière du Père-Lachaise, construit dans un style néo-byzantin. Lors de ma récente visite de ce cimetière, j’ai pu voir l’endroit où son corps fut placé pour les rites funéraires.

Deux membres de sa famille embrassèrent le cercueil en guise d’adieu avant qu’il ne soit officiellement incinéré dans la nécropole parisienne.

L’influence française demeure encore visible au Jai Vilas Palace de Gwalior, le somptueux palais de la famille Scindia. Parmi ses nombreux témoignages de l’histoire, on retrouve notamment la table de style Napoléonien ou bien la somptueuse salle de réception de décoration française.

Lorsque j’ai rencontré à Paris le descendant de Benoît de Boigne, Monsieur Pierre Édouard, comte de Boigne, il a exprimé son admiration non seulement pour le service de son ancêtre auprès des Scindia, mais aussi pour la bienveillance dont fit preuve feu le Maharaja Madhavrao Scindia, père du ministre de l’Union Jyotiraditya M. Scindia.

 

famille  Boigne
Auteur de cet article offrant la photo encadrée de la statue du Maharaja Mahadji Scindia qui employait le général français Benoit de Boigne aux descendants du défunt général. Crédit d’image : Arunansh B. Goswami.

 

Lors du mariage de son fils, le Maharaja Madhavrao Scindia accueillit chaleureusement le comte de Boigne en Inde et permit à certains de ses invités les plus prestigieux de découvrir la vie de Benoît de Boigne ainsi que l’histoire des relations entre les Scindia et la France. Cette amitié entre les deux familles perdure depuis lors.


(L’auteur de cet article est avocat à la Cour suprême de Delhi ; les opinions exprimées sont personnelles.)

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