Retour à la case départ. Après l’annulation par la Cour supérieure de justice des restrictions imposées par le ministre de la Santé, le gouvernement a décrété vendredi l’état d’alerte à Madrid. Radiographie d’une bataille juridico-politique qui dure depuis trop longtemps.
Le bras de fer entre la Communauté de Madrid et le gouvernement central continue. Ou plutôt la bataille du pot de terre contre le pot de fer. Toujours est-il que ces dernières semaines ont été pleines de confusion et de rebondissements pour les Madrilènes qui ne savaient plus à quel saint se vouer.
Madrid, un tiers des diagnostiqués
Avec à elle seule un tiers des diagnostiqués de Covid-19 et des décès de toute l’Espagne, la capitale détenait il y a encore quelques semaines le triste record de taux d’incidence. Ce dernier multipliait par deux celui de la moyenne en Espagne, qui était déjà le plus haut d’Europe. Quant aux centres hospitaliers de Madrid, le taux d’occupation des lits par des patients atteints de Covid-19 avait doublé les premières semaines de septembre.
Après plusieurs jours d’incertitude et de nombreux débats au sein du gouvernement régional (issu d’une coalition entre PP et Ciudadanos), la Communauté de Madrid décide le 21 septembre de restreindre la mobilité dans 37 zones -élargies quelques jours plus tard à 45- où le virus était le plus actif, avec une incidence cumulée au cours des 14 derniers jours de plus de 1.000 cas pour 100.000 habitants. L’objectif est de freiner la propagation du virus tout en évitant de fermer la capitale, ce qui reviendrait à congeler son économie.
Fermer Madrid
Mais pour le ministre de la Santé Salvador Illa, ça n’est pas suffisant. Augurant "des semaines très dures et compliquées" pour Madrid, il assure qu'il est nécessaire que les limitations de mouvements soient appliquées dans toute la capitale, autrement dit confiner la ville. Lors d’un Conseil interterritorial de la santé, Illa fait voter un plan –accordé avec Madrid, qui fait volte-face et le rejète, de même que la Catalogne, l'Andalousie, la Galice, Murcie et Ceuta- pour restreindre la mobilité dans les grandes villes qui comptent plus de 500 cas pour 100.000 habitants.
Les juges donnent raison à Madrid
C’est ainsi que le ministre de la Santé décrète le confinement des neufs municipalités qui ont une incidence de 500 cas pour 100.000 habitants, toutes situées dans la Communauté de Madrid. Le gouvernement régional recourt alors à la Cour supérieure de justice de Madrid (TSJM), estimant que ces restrictions ne sont pas "juridiquement valables". Coup de théâtre jeudi dernier. Les juges du TSJM annulent les mesures imposées par le ministre de la Santé car il s’agissait d’un décret ministériel, et que cela posait "des limites aux droits fondamentaux des citoyens". Autrement dit, ce n’est pas le fond que les juges critiquent, mais la forme : un instrument juridique autre qu’un simple décret ministériel aurait été nécessaire.
Le gouvernement central ramasse immédiatement le gant et décrète, lors d’un conseil des ministres extraordinaire, l’état d’alarme pour Madrid et les villes de banlieue concernées. Motif : empêcher la propagation du virus avec la sortie massive de Madrilènes à la veille du Puente del Pilar (pont du Pilar).
Madrid, plus forte baisse d’Europe ?
Seul hic. Les mesures de confinement sélectif mises en place par Madrid le 21 septembre semblaient commencer à porter leurs fruits. Madrid est même la région d'Europe qui a enregistré la plus forte baisse de l'incidence de Coronavirus, -26% en une semaine, selon les données publiées samedi dernier -un jour après l’état d’alarme- par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
En dessous des 500 cas
Le ministère de la Santé a d’ailleurs dû reconnaître samedi avoir pris en compte, pour l’état d’alerte, les données correspondant au dimanche 4 octobre. Or, le mercredi 7 octobre, la capitale et cinq autres municipalités confinées enregistraient déjà une incidence cumulée pour 100.000 habitants de moins de 500 cas : Madrid compte 465 cas pour 100.000 habitants contre 666 le 4 octobre ; Alcobendas est passé de 643 à 450 ; Alcorcón de 556 à 396 ; Móstoles de 514 à 331 ; Torrejón de Ardoz de 651 à 449 ; et Leganés de 619 à 441. Seules trois des neuf municipalités confinées sont toujours au-dessus des 500 cas, bien qu'elles aient amélioré leurs chiffres : Fuenlabrada avec une incidence cumulée de 608 ; Getafe avec 522 et Parla avec 679.
Madrilenophobie en hausse
Madrid est depuis plusieurs semaines au centre de toute l'attention politique et médiatique, une situation qui a conduit en plus à une progressive "madrilenophobie", les Madrilènes étant devenus les nouveaux pestiférés du XXIe siècle ! Le dernier exemple -ils sont malheureusement trop nombreux pour tous les citer- nous vient de la ville de Caceres qui avait préparé un dispositif spécial sur les routes pour empêcher l'arrivée des Madrilènes pendant le pont du Pilar. Pourtant, il existe d’autres villes d’Espagne qui ont des niveaux de contagion similaires ou supérieurs à ceux de la capitale espagnole.
Rester vigilant
Mais même si la Communauté de Madrid a bien réduit le nombre de cas accumulés pour 100.000 habitants, alors que d'autres capitales d'Europe comme Paris, Londres ou Berlin ont fortement augmenté, il n’y a pas de quoi sabrer le champagne. D’après les dernières données de l’ECDC (Centre Européen de prévention et de Contrôle des Maladies), à Madrid, l'incidence est encore de 753,9 cas pour 100.000 habitants au cours des 14 derniers jours, alors que dans les villes mentionnées ci-dessus, elle est de 360, 111 et 78, respectivement. Sans parler d’autres régions d’Espagne, qui ne sont pas mieux.
Et concrètement : quelle différence entre l'état d'alerte et le décret ministériel ?
Pratiquement aucune, sauf pour l'utilisation de cette formule exceptionnelle qu'est l'état d'alerte. En ce qui concerne les mesures restrictives, l'état d'alerte prévoit exactement les mêmes mesures que l'arrêté ministériel pris il y a une semaine.
Risque-t-on une amende si l’on ne respecte pas les restrictions ?
Désormais, oui, car l'état d'alerte ne nécessite aucune garantie judiciaire pour imposer une amende. Les sanctions vont de 600 à 600.000 euros.
Qui est concerné par l'état d'alerte ?
Il s’agit des mêmes municipalités qui étaient visées par l'arrêté ministériel, sauf Alcalá de Henares, qui est sorti de la liste. Ainsi, Madrid, Alcobendas, Alcorcón, Fuenlabrada, Getafe, Leganés, Móstoles, Parla et Torrejón de Ardoz sont touchées.
Jusqu'à quand durera l’état d’alerte ?
L'état d'alerte durera 15 jours à compter de vendredi 10 octobre. Au cas où le gouvernement déciderait de le prolonger, il devra être approuvé par la chambre des députés.
Il ne s’agit donc pas de confinement total comme en mars ?
Non, le confinement "light" continue. il n'y aura des restrictions de mobilité et des limitations de l'activité économique, en termes d'horaires et de capacité, que dans les neuf municipalités mentionnées. Par conséquent, les habitants de ces zones ne seront pas confinés à leur domicile. C’est un des points critiqués par la communauté de Madrid qui reprochent que les 45 districts avec le plus de cas de contagion puissent maintenant circuler librement à l’intérieur de la ville.
Quelle est la situation à l'aéroport et dans les gares ?
L'aéroport de Barajas et les gares ferroviaires comme Atocha ou les gares routières continueront à assurer le service. Les Madrilènes pourront sortir de la ville tant qu'ils auront une raison qui le justifie.