Édition internationale

Etats généraux de l’information : quelle information pour le monde de demain ?

Défis partagés par la France et l’Italie, droit à l’information… Retour sur la rencontre du 6 mars au Palais Farnèse à Rome, à l’occasion de la deuxième édition des Etats généraux de l’information.

des personnes assistent à une conférence au palazzo farnese à romedes personnes assistent à une conférence au palazzo farnese à rome
Écrit par Pauline Regina
Publié le 10 mars 2025

La deuxième édition des Etats généraux de l’information vus depuis Rome s’est tenue dans la soirée du jeudi 6 mars 2025, au Palais Farnèse, siège de l’Ambassade française à Rome. Deux heures de prises de paroles et de débats ont permis de dresser un portrait du champ informationnel contemporain et des défis qui l’animent. L'événement, ouvert par les prises de paroles de l’ambassadeur de France en Italie, Martin Briens, et de Bruno Patino, président de Arte et du comité directionnel des états généraux de l’information, a permis un dialogue entre différents acteurs du champ médiatique italien, journalistes et étudiants. Le débat, modéré par Alessandra Ravetta, directrice de Prima comunicazione, a vu dialoguer Alberto Barachini, sous-secrétaire d’Etat à la présidence du conseil des ministres chargé de l’information et de l’édition, Giacomo Lasorella, président de l’AGCOM, Stefano de Alessandri, administrateur délégué de l’Ansa, Francesco Giorgino, directeur du département des études de la RAI, Enrico Mentana, directeur de TG La7 et Open on line, et Gina Nieri, directrice de la division des affaires institutionnelles, juridiques et stratégiques de Mediaset.

Des défis exacerbés en l’espace d’un an

La rencontre fait suite à une première édition qui s’est tenue un an plus tôt au sein de l’Espace Europa David Sassoli à Rome. A l’initiative de l’ambassadeur Martin Briens et sous l’égide de Christophe Deloire (disparu en juin dernier), alors secrétaire général de Reporter sans frontières, l’événement avait consisté en une journée de débats sur les thèmes de l’information et de la désinformation. Toujours d’actualité, ces questions se trouvent depuis exacerbées, notamment par la montée de l’intelligence artificielle et la récente accession au pouvoir de Donald Trump, cette dernière accentuant considérablement les inquiétudes liées à l'essor de la désinformation.

Un rapport au cœur des débats

Au cœur de la rencontre, un rapport. Élaboré neuf mois durant, à l’initiative du président Emmanuel Macron, publié à l’automne 2024 et rendu par le comité de pilotage des états généraux de l’information, le texte s’intitule “Protéger et développer le droit à l’information : une urgence pour la démocratie”. Enquête sur le droit à l’information et l’avenir des médias, comportant notamment des propositions concrètes, le rapport a été présenté par Bruno Patino. Parmi ses conclusions, quatre grandes menaces sont identifiées : la marginalisation de l’information, sa décrédibilisation (en particulier au vue de l’essor des fake news et deep fakes), sa polarisation dans l’univers social et sa paupérisation (avec une précarité croissante des journalistes et des médias d’information). Face à ces enjeux de taille, le rapport préconise une politique générale de sauvegarde de l’espace public et informationnel, pensée au prisme de trois libertés fondamentales, venant compléter la liberté d’expression : la liberté d’informer, la liberté d’être informé et d’accéder à la l’information et la liberté d’entreprendre. Un projet de loi est aujourd'hui en cours d’élaboration et devrait être voté avant la fin de l’année par le Parlement français. Bruno Patino insiste sur les consensus nécessaires à bâtir, et ce, à trois niveaux : “politique, de manière transpartisane, professionnel et sociétal”. Le président de la chaîne Arte précise la nécessité de trouver un terrain de consensus au sein des médias français, sans quoi l’information ne peut être protégée, et d’inclure les citoyens dans le dispositif. Concrètement, ces constats et orientations se déclinent en séries de propositions concernant, par exemple, la mise en place de dispositifs d’aide à l’information et d’éducation au discernement, une politique de régulation de la désinformation, une attention particulière aux considérations économiques et algorithmiques.

Des défis à relever pour sauvegarder libertés et démocratie

Dans la continuation directe des conclusions rendues par ce rapport, les échanges ayant rythmé l’événement se sont concentrés, en particulier, sur les points suivants : les défis posés pour la garantie d’une information équitable, la nécessité d’un réseau européen pour garantir la gouvernance des médias d’information contre les ingérences étrangères, la nécessité d’une législation sur la protection des sources et la lutte contre les méthodes d’intimidation, la question du rôle et de la régulation des plateformes et les défis posés par l’IA, en particulier à la suite des conclusions du sommet des 10 et 11 février qui s’est tenu Paris. Au cœur des débats, plusieurs intervenants ont fait part de doutes, de craintes, si ce n’est de pessimisme. En effet, l’époque est caractérisée par des défis fondamentalement nouveaux. 

Aujourd’hui, l’économie des médias est complètement bouleversée, soulignent plusieurs intervenants, en partie parce que l’information est démesurément plus coûteuse que la désinformation. Alors que les plateformes ne disposent pas d’éthique concernant la diffusion des informations et les présentent de manière décontextualisée dans un flux de contenus, la grande majorité de la jeunesse ne s’informe qu’à travers ces canaux, désertant les médias traditionnels d’information, remarquent notamment les journalistes italiens Enrico Mentana et Giacomo Lasorella. Autre paradoxe majeur, soulevé par Giacomo Lasorella : “alors que le XXe siècle considérait l’inflation informationnelle comme un signe de démocratie, aujourd’hui la croissance du flux informationnel ne génère plus de sentiment démocratique, au contraire”. Enfin, les craintes concernant la gouvernance étasunienne, mises en lumière par Gina Nieri, sont partagées par les intervenants.

Face à l’ensemble de ces préoccupations et défis, plusieurs formes de consensus ont émergé de la rencontre : la mise en péril de l’information par l’absence ou l’insuffisance de la régulation, la menace réelle constituée par le contexte géopolitique mondial, ainsi que l’essor de l’IA et des plateformes, la nécessité d’une éducation à l’information, ou encore la nécessité de penser l’économie de l’information notamment sur le plan publicitaire et dans le rapport aux plateformes.

Une piste de réponse semble se dégager : la nécessité d’une forme de régulation européenne à même de “construire un champ informationnel libre et déontologique, en phase avec les valeurs démocratiques de la construction européenne”, résume Alberto Barachini. L’événement a, enfin, permis de souligner les grandes similitudes entre les champs médiatiques italiens et français et les défis communs auxquels les deux pays se trouvent confrontés.

 

Pauline Regina
Publié le 10 mars 2025, mis à jour le 10 mars 2025

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