Guillaume Jest est l'auteur d'une pièce de théâtre dont Lepetitjournal vous propose de suivre les étapes du montage jusqu'à la première du spectacle prévue début 2017. Auteur, Guillaume l'est par passion. Une manière de donner libre expression à sa curiosité des gens et du monde et d'engager le dialogue.
Guillaume Jest a eu, dès 2001, l'opportunité de partir en Asie, où il est resté presque sans discontinuité, avec seulement un intermède de deux années à Londres, vivant successivement en Chine, en Indonésie et depuis 2011 à Singapour. Avec l'Asie, il a noué un lien spécial qui remonte bien au-delà de sa première affectation à Shanghai. Fils d'un ethnologue qui s'est notamment beaucoup intéressé à une population tibétaine vivant au Népal, il avait eu l'occasion de passer plusieurs mois au Népal, en 1978, quand il avait 14 ans. Pour lui, cette expérience a été d'une intensité exceptionnelle ; plus forte que celle qu'il a pu vivre, depuis, au gré de ses expatriations. Il en a gardé l'habitude de lire beaucoup, avant chaque voyage, pour stimuler sa curiosité et mieux comprendre les gens.
Pourquoi se lancer dans le projet d'écriture d'une pièce de théâtre ?
Guillaume Jest - Ce projet me permet de partager mon goût pour l'écriture. Depuis plusieurs années, je recueille mes idées et mes observations sur un carnet de notes. En 2008, j'ai commencé à écrire des nouvelles que je partageais avec mes amis.
Il y a trois ans, j'ai fait publier une longue nouvelle aux Editions du Panthéon, Le Coq au Vin. C'est la rédaction de cette nouvelle qui a été le point de départ de l'écriture d'une pièce de théâtre, avec le soutien de Quentin Bernard.
Pendant trois ans, Quentin et moi nous sommes retrouvés pour écrire la pièce. Au fur et à mesure que nous avancions, les personnages prenaient une forme, un visage, développaient un caractère, et peu à peu, ils nous échappaient. Quand le premier travail d'écriture a été terminé, la pièce a fait l'objet d'une « lecture à la table », où elle est lue par des comédiens avec le ton et le rythme nécessaire. Soudain le texte prenait corps, il prenait du relief. Les personnages finissaient de s'émanciper. C'est très surprenant et même déstabilisant, de voir soudain ce que l'on a écrit lu et commenté par des acteurs. On a le sentiment de donner vie à une idée.
Cette pièce sera-t-elle jouée ?
- Après cette étape, Quentin et moi avons décidé de continuer l'aventure en nous lançant dans la production théâtrale. Une pièce n'est terminée que si elle est jouée, si nous avions abandonné notre entreprise, nous serions passé à côté de la satisfaction d'avoir achevé notre travail. Début 2016, Quentin a ainsi commencé à réunir une troupe de professionnels, passionnés, enthousiastes qui apportent leur savoir-faire et leur expérience (mise en scène, scénographie, costumes, acteurs) pour donner de l'ampleur a la pièce et la faire apprécier du public.
En travaillant avec Quentin, j'ai réalisé que le théâtre permettait de synthétiser ses idées, ses sentiments, et de les partager avec d'autres personnes : les comédiens de la troupe dans un premier temps, puis avec le public. Les spectateurs pourront trouver dans la pièce des idées qui les remettent en question.
Mais l'écriture n'est-elle pas d'abord un exercice solitaire ?
- L'écriture d'une pièce de théâtre, contrairement à la perception courante, est tout sauf un travail solitaire. Je pense que la qualité de ce qu'on écrit va en augmentant quand on se préoccupe de ce que pense l'auditoire. Le théâtre, c'est un sport d'équipe. Cela s'apparente à un match de rugby. Tout le monde compte. Ce qui est passionnant, par comparaison avec le roman, c'est que la pièce de théâtre se déroule dans un cadre contraignant. Des spectateurs sont réunis dans un lieu pour assister à une pièce de théâtre. Il y a une intimité entre le texte, les comédiens et le public. A la fin de la représentation, chacun a assisté au même spectacle et y a vu quelque chose de différent. C'est tout l'intérêt du travail réalisé avec Quentin Bernard que d'avoir valorisé cette notion de dialogue entre l'écriture et celui qui lit. J'écrivais mes textes. Lui réagissait en me disant : « moi, voilà ce que je vois ». Cela me permettait de prendre du recul et d'adapter mon travail sans renoncer. Adapter sans renoncer est un élément très important. Qu'il s'agisse du théâtre ou de la vie professionnelle, le problème est souvent le même. On a plein d'idées, on en oublie ce qui va intéresser ou ce que va comprendre la personne à qui on s'adresse. Pour que ce que l'on dit soit pertinent et intelligible, il faut faire un travail d'élagage.
Le travail d'écriture se poursuit-il avec les comédiens ?
- La deuxième phase, celle du travail avec les comédiens, est aussi passionnante que la première. En l'occurrence, il s'agit de comédiens amateurs mais je suis très impressionné par la manière dont ils sont engagés dans le théâtre, malgré souvent la contrainte d'une autre activité. Il faut, pour faire ce qu'ils font, beaucoup de passion, de courage, d'humilité et d'honnêteté. Quand ils jouent la pièce, les comédiens voient des choses que je ne voie pas. Les idées qui me semblent les plus irrecevables doivent être écoutées et comprises.
Comment les choses se passent-elles, pour un auteur, pendant la phase des auditions?
- Le moment des auditions a été très important pour moi. Je suis frappé par le fait que le théâtre est un endroit où on ne peut pas mentir. Les acteurs qui jouent un rôle sont obligés d'exprimer ce qu'ils sont pour être justes. C'est très émouvant de voir dans le cadre des auditions, des personnes que je ne connais pas et qui ne me connaissent pas, se mettre à nu. C'est quelque chose que je ne vois jamais dans la vie professionnelle.
Il faut savoir lâcher prise de la même manière que le patron doit savoir déléguer. J'ai le projet tellement à c?ur que je tiens à participer. Pendant les auditions, je m'abstiens de parler. Parfois j'ai envie de le faire. Mais il faut accepter que les gens sachent mieux que moi. C'est un très bon exercice pour apprendre à abandonner sans renoncer.
Propos recueillis par Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) mardi 31 mai 2016