En Espagne, 60 000 femmes se prostituent, dont plus des deux tiers sous contrainte. La prostitution, ni légale ni illégale, reste une zone grise où seules les plaintes sanctionnent les réseaux.


Un commerce qui ne dit pas son nom
Derrière les façades des clubs de la Costa del Sol, sous les néons criards des routes secondaires, la prostitution y prospère comme dans le reste de l’Espagne. Un demi-million de femmes y vendent leur corps, dans un pays où l’industrie du sexe pèse plus de 3,7 milliards d’euros par an. Pourtant, le débat est retombé. Un silence pesant s’est installé. Il y a quelques années encore, l’Espagne semblait prête à en finir avec cette zone grise juridique qui autorise l’acte, mais pas le proxénétisme. Aujourd’hui ? Rien n’a changé, et surtout, personne n’en parle.
Une hypocrisie bien rodée
L’Espagne était longtemps considérée comme "le bordel de l’Europe". Pas de loi abolitionniste, pas de réelle répression, pas de prise en charge massive des victimes. Juste un statu quo qui arrange tout le monde, sauf celles qui en sont prisonnières. L’immense majorité des prostituées sont des migrantes, venues d’Amérique latine, d’Europe de l’Est ou d’Afrique, attirées par des promesses de travail, avant de se retrouver piégées par les réseaux mafieux. La "liberté de se prostituer" qu’invoquent certains n’existe que dans les discours des dominants. Et puis, pourquoi changer un système qui fonctionne si bien ? Tout le monde ferme les yeux, l’argent coule à flots, et la vie continue.
La France et l’Espagne, deux visions irréconciliables ?
D’un côté, la France qui pénalise les clients depuis 2016, au nom de l’abolitionnisme. De l’autre, l’Espagne qui tergiverse, débat, mais ne tranche toujours pas. En 2022, Pedro Sánchez promettait de pénaliser le proxénétisme sous toutes ses formes. Deux ans plus tard, rien n’a bougé. Les maisons closes, interdites en France, continuent d’exister en Espagne sous l’appellation hypocrite de "clubs de nuit". La prostitution y est toujours une zone grise, tolérée à condition qu’elle soit "indépendante", une fiction qui masque mal la réalité des réseaux d’exploitation.
Un sujet devenu invisible
Le pire, c’est l’oubli. Il fut un temps où les médias espagnols s’emparaient du sujet, où les associations réclamaient des lois, où l’opinion publique s’indignait. Aujourd’hui, silence radio. L’extrême droite monte, l’inflation frappe, les urgences politiques s’accumulent. Et les femmes prostituées ? Oubliées. Tant qu’elles ne dérangent pas, tant qu’elles restent derrière les vitres fumées des clubs, tout va bien.
Les chiffres qui ne choquent personne
Selon le ministère de l’Intérieur, plus de 45 000 femmes sont victimes de prostitution forcée en Espagne. Au total, environ 60 000 femmes se prostitueraient dans le pays, d’après la ministre de l’Égalité. Plus des deux tiers seraient donc contraintes. Mais rassurez-vous, en Espagne, on a inventé un concept formidable : la prostitution "alégale", ni légale, ni illégale, juste un entre-deux confortable qui évite de prendre des décisions. Les proxénètes ? Sanctionnés seulement si une plainte est déposée. Les clients ? Poursuivis uniquement si la transaction a lieu sur la voie publique. Bref, tant que tout reste discret, ça passe.
Ce choix en demi-teinte ne satisfait personne. Ni les réglementaristes, qui rêvent d’une reconnaissance officielle des travailleuses du sexe. Ni les prohibitionnistes, qui veulent tout interdire. Ni les abolitionnistes, qui veulent faire disparaître la prostitution sans criminaliser les femmes. Un véritable consensus de désaccord, où chaque camp s’acharne à pointer du doigt l’autre, pendant que des milliers de femmes continuent de subir en silence.
Et aujourd’hui ?
Faudra-t-il encore dix ans pour rouvrir le débat ? Combien de femmes doivent disparaître, être exploitées, subir la violence ? L’Espagne, pourtant championne des grandes causes féministes, osera-t-elle affronter celle-ci ? Pour l’instant, elle préfère détourner les yeux. Le bordel tourne, l’argent coule à flots, et les consciences dorment paisiblement.