Édition internationale

Mélanie Vogel : “Amorcer le passage de la culture du viol à celle du consentement”

Suite à l’enquête “L’électrochoc mondial du procès Mazan… Et après ?”, Lepetitjournal.com interroge la sénatrice écologiste Mélanie Vogel sur la réponse politique post scandale médiatique. La sénatrice des Français établis hors de France dénonce un manque de volonté politique vis-à-vis de la lutte contre les violences patriarcales.

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Pancarte "Culture du viol, censure de la parole". Crédit photo : Léa Degay
Écrit par Liz Fredon
Publié le 14 février 2025, mis à jour le 18 février 2025

 

La couverture médiatique mondiale du procès Mazan a mis la France sous les projecteurs. Cette pression internationale peut-elle influencer les décisions politiques ou accélérer certains changements ?

On peut l’espérer.

La levée du huis clos demandée par Gisèle Pélicot a effectivement permis une couverture médiatique inédite et donc un traitement dans le débat public de la question de la culture du viol, de son caractère systémique et massif. Mais pour que ce soit le cas, il faut que la réponse des politiques soit à la hauteur. Le procès des viols de Mazan a certes défrayé la chronique, mais il a aussi été l’occasion de voir que la culture du viol était toujours bien ancrée, jusqu’au dernier jour du procès, où un avocat a proféré des propos sexistes à l’encontre de militantes féministes devant le tribunal. 

 

Enquête : l’électrochoc mondial du procès Mazan...Et après ?

 

C’était le malheureux procès de la norme.

Aujourd’hui, après la séquence d’hommages et de remerciements à Gisèle Pélicot, aucun changement concret n’a encore été opéré. Et pour cause. On a dépeint le procès de Mazan comme un événement exceptionnel — il l’était certes par le traitement médiatique qu’il a reçu, mais aussi par le nombre d’accusés impliqués — mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce qu’il révélait n’avait rien de hors-norme. Au contraire, c’était le malheureux procès de la norme. Celle qui veut qu’un homme puisse, pendant 10 ans, poster sur internet un appel au viol de sa femme, en voyant à quelques kilomètres à la ronde des dizaines d’hommes y répondre, et strictement aucun le dénoncer à la police.

Ce qui se passe là se passe tous les jours, et je crois que c’est ce que nous devons en retenir. 

Ces dernières années, le mouvement Metoo et le Procès de Mazan continuent à montrer la même chose : pas tous les hommes mais beaucoup trop. Pas des monstres mais des hommes du quotidien, des proches, des célébrités, des personnalités politiques. Tous les milieux sont concernés. 

 

Le mouvement #MeToo et ce procès montrent que ces violences ne sont pas le fait de monstres isolés, mais d’hommes ordinaires, issus de tous les milieux.

 

 

Si l’on ne peut activement prouver la menace, la contrainte, la violence ou la surprise, c’est qu’il n’y a pas de viol. Avec l’introduction du consentement, on passe à la logique inverse.

Mazan a mis en lumière certaines lacunes dans la législation française sur les violences sexuelles. Selon vous, quelles réformes législatives devraient être mises en place ?

Il y a beaucoup à faire dans la loi pour faire reculer les violences sexistes en France, même si tout ne passe pas par des changements législatifs.

Une réforme urgente me parait s’imposer, celle de l’introduction de la notion de consentement dans la définition du viol et des agressions sexuelles. C’est ce que nous impose déjà de faire la Convention d'Istanbul, et c’est le sens d’une proposition de loi que j’ai déposée dès novembre 2023. Expliciter dans le code pénal que l’absence de consentement suffit à qualifier un viol ou une agression sexuelle, c’est offrir aux juges un outil supplémentaire pour condamner les agresseurs dans de nombreux cas, notamment ceux de sidération des victimes, mais c’est plus que cela. C’est amorcer depuis le Parlement, grâce au débat public qui a déjà commencé, un changement culturel dans la société, celui du passage de la culture du viol à la culture du consentement.

Aujourd’hui en effet, le code pénal induit en quelque sorte une présomption de consentement et de disponibilité du corps des femmes. Si l’on ne peut activement prouver la menace, la contrainte, la violence ou la surprise, c’est qu’il n’y a pas de viol. Avec l’introduction du consentement, on passe à la logique inverse. Il est aussi crucial que la loi soit mieux appliquée. Cela passe par le renforcement de la formation des professionnels de la justice et des forces de l'ordre sur les mécanismes des violences sexuelles, par l’application efficace de loi sur l’éducation à la vie affective, sexuelle et relationnelle ainsi que par la mise à disposition des budgets nécessaires.

 

 

 

Pourquoi la France a-t-elle certaines réticences à inscrire la notion de consentement explicite dans la définition légale du viol, contrairement à d’autres pays européens ?

En effet, la France n’a pas été à la hauteur lorsqu’elle a eu l’occasion de faire avancer la définition du viol. Le 8 mars 2022, la Commission européenne avait présenté un projet de directive sur les violences faites aux femmes qui, entre autres, instaurait pour la première fois une définition du viol commune aux vingt-sept pays de l’Union. C’était une avancée majeure. Ce texte reprenait les principes de la convention d’Istanbul, ratifiée en 2017 par l’UE, et notamment cette notion de non-consentement, grâce au principe simple : « Seul un oui veut dire oui ». 

C’est la voix de la France qui a empêché cette avancée dans toute l’Union européenne. C’est une honte. D’autant que quelques jours plus tard, Emmanuel Macron se dédisait, exprimant soudainement une position favorable à cette réforme, dont il a privé toutes les européennes, sans même tenir sa promesse à ce stade. Pourquoi ? Pour une raison aussi simple qu’affligeante :  il n’y a jamais eu au sein du gouvernement, depuis l’élection d’Emmanuel Macron, de volonté politique forte et affirmée de combattre la violence patriarcale au-delà des petites phrases et des grandes déclarations. 

 

Qui ne dit mot ne consent pas.

Le rapport parlementaire du 21 janvier 2025 recommande d’intégrer explicitement la notion de « non-consentement » dans la définition pénale du viol, une avancée majeure selon les associations féministes. Pourtant, cette évolution suscite des débats, notamment sur le risque de faire peser encore davantage la charge de la preuve sur les victimes. Que pensez-vous de cette proposition et des questionnements qui l’accompagnent ?

En France, le viol est défini à l’article 222-23 du Code pénal comme tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital commis par violence, contrainte, menace ou surprise. Or, même dans le cas où aucun de ces critères n’intervient, il se peut que la victime n’ait pas apporté son consentement. Qui ne dit mot ne consent pas. 

La définition actuelle n’est donc pas assez large. Dans certaines situations, l’absence de consentement peut être établie, mais sans pouvoir démontrer activement la présence d’un des quatre facteurs, par manque de preuve tangible. Pénalement parlant, ce n’est donc pas un viol. Ainsi, inclure la notion de consentement permet d’étendre le champ des preuves admissibles, mais sans en faire l’unique prérequis. Il ne s’agit donc en rien de faire davantage peser sur la victime la responsabilité de ses paroles ou de ses actes, qui est malheureusement une réalité présente aujourd’hui, mais de lui donner un outil supplémentaire pour se défendre. 

On comprend l’importance de cette notion en voyant non seulement les faits, mais la manière dont les hommes se dédouanent. Ainsi, si l’on disposait d’une redéfinition du viol centrée sur l’absence de consentement libre et éclairé, il incomberait alors à l’auteur de toute relation sexuelle de s’assurer explicitement du consentement de l’autre. 

 

 

La dissolution de l’Assemblée nationale a interrompu la commission d'enquête parlementaire sur la soumission chimique. Cette commission pourrait-elle être relancée, ou bien sous une autre forme ?

Cette Mission d’enquête sur la Soumission chimique confiée à Sandrine Josso et Véronique Guillotin a été “relancée” le 8 octobre dernier par le gouvernement de Michel Barnier, ce que je salue. Maintenant, nous attendons des actes. Ce sujet est trop grave pour rester à l’état d’engagements sans suite. Cette mission doit reprendre rapidement et aboutir à des propositions concrètes pour renforcer la prévention, la détection et la prise en charge des victimes. Certaines solutions sont connues et pourraient être mises en place : rendre les tests de dépistage gratuits, complexifier l’accès à ces substances ou encore les rendre détectables grâce à des goûts marqués et des couleurs… Cette mission doit préciser ces mesures et faire qu’elles aboutissent.

Mais il faut aussi aller plus loin. Le Parlement a un pouvoir d’action et de contrôle qui ne doit pas être sous-estimé. Plusieurs initiatives législatives ont été proposées et doivent être menées à terme, ce qui ne nécessite plus que le soutien du gouvernement et des députés. Des propositions sont sur la table. Il est temps que les promesses soient tenues et que la majorité parlementaire s’engage réellement.

 

Pancarte "Victimes, on vous croit, violeurs, on vous voit" en manifestation contre les violences sexuelles
Pancarte "Victimes on vous croit, violeurs on vous voit". © Léa Degay

 

Une révolution culturelle est nécessaire.

La société française est-elle prête à accepter un changement dans la prise en charge des violences sexuelles, ou des résistances culturelles et/ou politiques freinent-elles encore les avancées ?

C’est notre responsabilité collective. Dès son élection, Emmanuel Macron avait dit faire des droits des femmes et de la lutte contre les VSS la grande cause de son quinquennat. On attend toujours. Aujourd’hui, pour espérer des avancées réelles en termes de prise en charge des victimes, mais aussi de réduction du nombre d’agressions, il y a deux aspects indissociables sur lesquels il faut agir. 

D’un côté, il faut arrêter de s’étonner du faible nombre de condamnations, de la mauvaise prise en charge et de la non-disparition des violences, si l’on ne met pas les moyens financiers nécessaires. Former les forces de l’ordre et les juges ; mener des actions de prévention ; protéger, accueillir et accompagner les victimes ; lutter contre la récidive, etc : rien de cela ne se fera sans financements. Les associations le disent, ce sont au moins 2,6 milliards d’euros qui doivent être consacrés à la lutte contre les violences sexuelles.

De l’autre côté et simultanément, c’est en effet une révolution culturelle qui est nécessaire, tant pour réduire ces violences que garantir l’égalité entre les hommes et les femmes. 

Changer la définition du viol, c’est aussi espérer changer de paradigme. La notion de consentement devrait être la base de notre approche des VSS, de la même manière qu’il l’est pour le reste de la vie quotidienne. Quand on s’introduit chez vous sans y être invité, quand on prend votre portefeuille posé sur la table, la société considère spontanément que vous n’étiez pas consentant, et qu’il s’agit donc d’une violation de domicile ou d’un vol. Il n’y a que pour le corps des femmes que l’on considère que sans indication contraire, il est disponible. 

Par ailleurs, la progression de l’extrême droite, en France et à travers le monde, menace gravement les droits des femmes. Il n’est plus temps d’attendre que ceux-ci arrivent au pouvoir, car l’expérience nous montre leur désengagement pour nos droits et dans la lutte contre les VSS. 

C’est donc aujourd’hui que nous devons agir pour former, pour protéger, et pour réformer le droit.