Jamais un procès pour viol n’avait autant captivé l’attention du monde entier. L’affaire Pélicot a exposé les failles du système judiciaire français dans un ras de marée de unes et d’articles de médias internationaux. Face à cette onde de choc, la France peut-elle encore esquiver la remise en question de ses lois et de ses pratiques ?


Retrouvez le billet radio de notre journaliste Liz Fredon sur la Radio des Français dans le monde :
Lorsque le monde a redécouvert l’horreur à visage humain, il a tremblé. Cette horreur, si ordinaire, si profondément ancrée dans la nature humaine, a réveillé une peur primale : celle de se voir dans le reflet du monstre. Ce n’est pas seulement la répulsion face à ce dont l’être humain est capable, mais aussi l’effroi d’une civilisation qui se sait faillible. Car si la société devait être ce rempart contre la barbarie, alors elle a échoué à protéger Gisèle Pelicot.
L’adage latin Homo homini lupus est, « l’homme est un loup pour l’homme », résonne ici d’une manière plus cruelle encore : l’homme est un loup pour la femme. Combien de bêtes sauvages se cachent derrière les masques rassurants des « bons pères de famille », attendant, dans l’ombre, que le berger détourne les yeux pour frapper ?
Lors du procès des viols de Mazan, souvent qualifié de « procès de la domination masculine », ce n’est pas seulement la France, mais le monde entier qui s’est plongé dans ce récit glaçant. Dès lors, une question fondamentale s’impose : cette exposition médiatique inédite peut-elle contraindre la France à enfin affronter ses propres contradictions et à amorcer des réformes structurelles ? Grâce à l'ampleur du traitement médiatique et aux réactions qu'il suscite, l’affaire pourrait devenir un tournant dans la manière dont la France aborde ces questions, sous la pression de l’opinion publique mondiale.

Avec plus de 80 médias étrangers présents, le monde a posé son regard sur la France et son système judiciaire vacillant
Gisèle Pélicot, la femme qui réduit les hommes au silence au-delà des frontières
Mazan, une couverture médiatique historique
L'affaire a provoqué un séisme médiatique sans précédent, bien au-delà des frontières françaises. « C'est le procès qui a été visiblement le plus couvert de l'histoire contemporaine en termes de présence médiatique internationale. Il y a eu plus de médias étrangers accrédités que pour les procès du Bataclan et de Charlie Hebdo » affirme Lisa Serero, experte en violences sexistes et sexuelles. Autrice de Nos survivantes aux Éditions Leduc société, elle y aborde le rôle des proches de victimes de violences sexuelles.
Avec plus de 80 médias étrangers présents, le monde a posé son regard sur la France et son système judiciaire vacillant. Grâce au refus de Gisèle Pelicot du huis clos, les images insoutenables de ce procès ont circulé librement, mettant à nu des réalités longtemps passées sous silence. Comme le souligne l’ancienne journaliste Lisa Serero, « Gisèle Pelicot a permis de montrer que la honte devait changer de camp et se trouver enfin du côté des agresseurs ».
Cette transparence, qui a choqué (voire traumatisé) spectateurs et journalistes, a permis de documenter les réalités du viol et de la soumission chimique, deux thématiques souvent minimisées en France.
Des journaux comme Der Spiegel ont souligné un fait médusant : « Ce que l’on constate également sur place, c’est que les hommes ne s’intéressent guère à cette affaire ». En Espagne, El Pais décrit l'affaire comme un miroir impitoyable pour la société. Être associée à cette affaire est une honte pour la France, mais c’est aussi un miroir pour les autres pays. D’après le média, lorsque l’on regarde le monstre, c’est soi-même que l’on voit.

En Belgique, nous avons adopté une loi qui impose un consentement explicite et formulé
Un miroir impitoyable pour la société française
La couverture internationale pousse la France à se confronter à ses contradictions. Pays considéré comme un bastion du féminisme, avec des figures emblématiques comme Olympe de Gouges ou Simone de Beauvoir, la France se retrouve mise en accusation pour son inaction structurelle face aux violences sexuelles. La journaliste brésilienne Priscila Yazbek de CNN Brasil souligne cette hypocrisie apparente : malgré des avancées symboliques comme l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution, le procès de Mazan met en lumière un pays où le machisme reste profondément enraciné.
Les regards extérieurs exacerbent cette pression : en Belgique et au Danemark, la législation intègre déjà la notion explicite de consentement. Mais en France, la résistance politique persiste. « En Belgique, nous avons adopté une loi qui impose un consentement explicite et formulé, il peut aussi être retiré au cours de l’acte sexuel », explique Le Soir. Ces pays considèrent désormais que l'absence de consentement explicite constitue en soi un viol, là où la France, par choix politique, s’est opposée à une telle définition au niveau européen. Politiken, au Danemark, rappelle que l'affaire Pelicot devrait pousser la France à inscrire cette notion dans sa législation, mais les blocages politiques freinent ces avancées.
« Ce procès est le théâtre d'un face-à-face historique entre les femmes et les hommes. Il doit aussi conduire à une action politique en France » plaide Politiken.
Un système judiciaire en question : la France sous pression
El Periodico s’indigne : « Comment se fait-il qu'il existait un site web où des hommes négociaient le viol de femmes sans que le moindre système de protection ait permis de tirer la sonnette d'alarme ? » Une question glaçante, qui en appelle d’autres.
Car au-delà de cette impensable réalité, les médias étrangers révèlent les lacunes du système judiciaire français l’affaire Pelicot. L'absence de protocole pour éviter à Gisèle Pelicot de croiser quotidiennement ses violeurs dans les couloirs du tribunal (El periodico), ou encore les stratégies d’avocats inventant des concepts comme le « viol inconscient » pour disculper leurs clients (Der Spiegel) illustrent cette défaillance. Lisa Serero rappelle que l’affaire Pelicot a révélé la réalité de la « victimisation secondaire », un concept peu discuté en France « Ce procès a mis en lumière la brutalité du parcours judiciaire des victimes. Gisèle Pelicot a dénoncé les propos violents de la défense, illustrant ce que vivent des milliers de victimes chaque année ».
Dans un monde post-#MeToo, là où d'autres pays prennent des mesures concrètes, l’Hexagone semble toujours paralysé par ses vieux réflexes patriarcaux.
Un impact politique limité malgré une pression croissante
Quatre mois de procès, une couverture médiatique mondiale, et pourtant… le silence. Pas une déclaration officielle du gouvernement. « Politiquement, je crois qu'il ne va rien se passer. On a vu que c'était énorme, mais le silence des politiques est assourdissant » regrette Virginie Cresci, autrice de Le prix des larmes, Le coût caché des violences sexuelles aux éditions Grasset, 2024, avec qui lepetitjournal.com a pu échanger. Les associations féministes dénoncent le manque de moyens alloués et la réticence des politiques à aborder le sujet autrement que sous un prisme émotionnel.
La commission sur les violences sexuelles, mise en place par la députée Sandrine Josso — elle-même victime d’un acte de soumission chimique perpétré par un sénateur —, a brutalement été interrompue par la dissolution de l’Assemblée Nationale. Alors que la société semble prête à évoluer et à exiger des réformes concrètes, elle se heurte à des blocages politiques persistants.
Faire des unes de journaux, c’est bien, mais ce n’est pas ça qui va changer les choses. Gisèle Pelicot le dit elle-même.
« On est toujours dans l'émotionnel et jamais dans du concret, » déplore Virginie Cresci, soulignant le manque de mesures efficaces face à une réalité accablante. « Il suffit juste de regarder les chiffres : 0,1 % des agresseurs sont condamnés en France. Comparons avec des pays comme la Suède ou l’Espagne, qui partagent une culture du viol similaire à la nôtre. Regardons ce qui a été fait, et constatons que nous, au niveau politique, il n'y a rien qui est fait. » Malgré l’exposition médiatique massive du procès Mazan, elle rappelle que la justice française reste largement défaillante, et que l’ampleur médiatique ne saurait suffire à impulser un changement profond. « Faire des unes de journaux, c’est bien, mais ce n’est pas ça qui va changer les choses. Gisèle Pelicot le dit elle-même. » La condamnation de son agresseur n’a été possible que grâce aux preuves vidéo accablantes, un élément rare dans les affaires de viol. « Et encore, il y en a qui arrivent à s’en sortir avec du sursis. Donc je pense pas que le combat soit gagné à ce niveau-là. »
aujourd’hui, 94 % des affaires de viol sont classées sans suite, faute de preuves, de témoins ou de moyens alloués aux enquêteurs.
Vers un changement sociétal sous contrainte médiatique ?
Si la réponse politique tarde à se matérialiser, le procès Mazan a fait vaciller les certitudes. Les débats autour de la soumission chimique, du consentement et du rôle des médias dans la culture du viol sont désormais omniprésents. Comme le décrit Lisa Serero : « On a enfin brisé le mythe du violeur inconnu dans une ruelle sombre. La majorité des agressions se produisent au domicile par des proches. » Le travail des journalistes et des associations permet d’amplifier cette prise de conscience et de rappeler l'urgence d'une réforme législative en profondeur.
Mais une médiatisation massive suffit-elle à déclencher un réel changement ? Suffira-t-elle à faire bouger les lignes et à inscrire durablement la question des violences sexuelles dans l’agenda politique national ? « Si la France veut devenir un exemple, il faut qu’il y ait un ‘après’. Sinon, ce procès ne sera qu’un moment d’émotion de plus, avant l’oubli » conclut Virginie Cresci.
En réponse aux critiques croissantes concernant la définition légale du viol en France, un rapport parlementaire publié le 21 janvier 2025 recommande d’intégrer explicitement la notion de « non-consentement » dans la définition pénale du viol, un pas attendu depuis longtemps par les associations féministes. Actuellement, le viol est défini par la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, laissant dans l’ombre la question centrale du consentement. Ce vide juridique, dénoncé de toutes parts, pourrait enfin être comblé, alignant la France sur des pays comme la Belgique et le Danemark.
Un changement de loi inciterait-il davantage de victimes à se manifester ? Je ne suis pas certaine.
Cependant, cette proposition soulève déjà des réticences. D’après Lisa Serero : « Les associations féministes et les spécialistes du droit sont profondément divisés sur la question, et même en politique, les avis divergent fortement. » Certains craignent qu’en plaçant le consentement au cœur du débat judiciaire, la charge de la preuve ne repose encore davantage sur les victimes, ouvrant la porte à une multiplication des interprétations et à des remises en question insidieuses. Ce débat met en lumière une question cruciale : une loi suffit-elle à transformer une société ancrée dans des schémas patriarcaux ? « La loi est un instrument parmi d’autres pour lutter contre les violences sexuelles, mais il ne faut pas en attendre trop », rappelle-t-on du côté des experts. En effet, « aujourd’hui, 94 % des affaires de viol sont classées sans suite, faute de preuves, de témoins ou de moyens alloués aux enquêteurs. » Dès lors, la priorité ne devrait-elle pas être d’améliorer l’accompagnement des victimes et le fonctionnement des institutions judiciaires ? « La véritable question est comment faire en sorte que les affaires arrivent jusqu’au procès, car lorsque c’est le cas, les accusés sont quasi systématiquement reconnus coupables. » Or, le problème de fond demeure : « Seulement 10 % des victimes de violences sexuelles portent plainte. Un changement de loi inciterait-il davantage de victimes à se manifester ? Je ne suis pas certaine. » Comme le soulignent les militantes féministes, sans une volonté politique forte et des moyens concrets, la réforme risque de rester lettre morte.
En définitive, la couverture internationale du procès Mazan met la France face à un dilemme. Se réveillera-t-elle pour répondre aux attentes de ses citoyennes et citoyens, ou laissera-t-elle cette affaire rejoindre la longue liste des occasions manquées ?
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