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Expatrié, quelle erreur !

Écrit par Nicolas Serres-Cousiné
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 16 juin 2016

 

Samedi 1er août. Les rayons du soleil plongent à travers les larges baies vitrées de JFK, le principal aéroport de New York. Des retardataires hirsutes courent dans les couloirs à en perdre haleine. Des hommes bedonnants, déjà en short et en claquettes, boivent une bière en riant tandis que leurs femmes, engoncées dans des survêtements bariolés, font des achats de dernière minute en duty-free. Plus loin, des voyageurs anonymes se font masser la nuque dans une boutique de soins et de relaxation, d'autres écoutent de la musique sur leurs iPods ou tapotent sur leurs Macbook pro des mails qui ont l'air importants. Seule fausse note à ce microcosme réglé comme du papier à musique, Manu, assis par terre qui, le visage enfoui entre ses mains, se demande, « mais comment en suis-je arrivé là ? » Après deux années passées à New York, il rentre à Paris, rapatrié par sa compagnie. Un échec qu'il a encore du mal à assumer même si, au final, il ne s'est jamais senti aussi seul et misérable qu'aux États-Unis, un pays dont la mentalité qu'il juge avant tout égoïste, hypocrite et cruelle, est à l'opposé de ses principes de vie.

Ah, mais qu'il y a cru à ce départ aux Amériques ! À trente-quatre ans, Manu n'avait plus goût à grand-chose et avait perdu confiance en lui. Il avait beau être sorti de Science-Po avec les honneurs, habiter à Saint-Germain-des-Près, s'être fiancé avec Alice ou bénéficier du support inconditionnel de Catherine sa patronne, rien ni personne ne parvenait à lui apporter la sérénité qui lui manquait tant. Quand une place de chef de service s'était libéré dans les bureaux New-Yorkais, il s'était de suite porté volontaire. « Partir loin de la France avec ma Alice, voilà la solution à mon malaise ! », s'était-il exclamé le coeur battant. Catherine, peu encline à voir le poulain sur qui elle avait tant misé tomber en dépression, s'était même empressée d'ajouter, « très bonne idée, voir un monde nouveau vous fera un bien fou ». Elle aurait mieux fait de se taire. En deux ans de vie New-Yorkaise, et en dépit d'une incontestable réussite professionnelle, Manu est devenu de plus en plus terne, de plus en plus gris, de plus en plus triste. Catherine a été prompte à corriger le tir, « quelle bêtise de vous avoir envoyé là-bas, notre pays vous manque trop, revenez travailler à mes côtés ! » Alice, quant à elle, souhaitant accélérer leur retour, a pris les devants en rentrant précipitamment à Paris. Aujourd'hui, Manu, qui fait le pied de grue près de la porte d'embarquement numéro 7, attend l'heure de décollage de son avion avec autant d'espoir que de regrets.

Leurs premiers mois à Manhattan se sont pourtant bien passés. Alice, aussi enthousiaste à l'idée d'apprendre l'anglais que de découvrir The Big Apple, s'occupait avec diligence de leur vie sociale pendant que Manu, à fond dans son travail, clamait haut et fort qu'il allait de mieux en mieux. Tout se déroulait à la perfection jusqu'à ce jeudi du mois de février où, lors d'un repas d'affaires avec ses collègues américains, Manu s'était rendu compte qu'il vivait avec un masque. « Ce gars qu'ils admirent, ce n'est pas moi. Je joue depuis le début le rôle d'un guignol grande gueule, ambitieux, machiavélique et fêtard, bref mon idée de ce que doit être un New-Yorkais pur et dur, et ça me détruit, je n'en peux plus. Au secours ! » À trop vouloir faire comme les autres, à trop espérer qu'un changement de travail, de culture ou d'endroit allait être la solution à son mal-être, Manu s'est non seulement perdu, mais trahi. Il s'est contenté de rapports amicaux futiles. Il a rigolé à des blagues pas drôles. Il a supporté sans broncher l'emploi immodéré du superlatif, « wow, this is the most amazing sandwich in the all world ! » Il a enduré le manque de finesse intellectuelle de ses pairs, l'éternelle insatisfaction des yuppies de l'Upper East Side, les balades prétendument super-amazing sur la High-Line et les cocktails ultra-coincés d'une communauté française qui ne lui ressemble pas. En bon petit soldat, Manu n'a jamais fait de lui sa priorité (« qu'est-ce que j'aime ? Qu'est-ce qui me plaît ? »), satisfait, rassuré même, de vivre à travers le regard épaté des autres. « Je suis le roi des abrutis ! », cette soudaine réalisation l'a alors plongé dans un marasme dont les causes étaient si profondes qu'il ne pouvait s'en sortir seul. Faire appel à une aide extérieure pour se défaire de ce poids lui écrasant les épaules fut une décision courageuse.


« Si vous êtes si mal, pourquoi ne pas rentrer en France dès maintenant ? » Cette question si simple fut la première d'une longue série, Manu avait besoin de parler de lui, rien que de lui. « Téléphoner à Catherine et déposer les armes, à peine un an après avoir débarqué à New York, quelle honte ! » Se sentir honteux d'une situation que l'on ne contrôle pas témoignait d'un conflit interne entre son vouloir et son devoir. Il n'avait pas fallu longtemps à Manu pour admettre qu'il avait toujours été en lutte avec ce qu'il devait faire, dans son cas, « je me suis engagé auprès de ma compagnie, je dois aller au bout de ma mission », et ce qu'il voulait vraiment, c'est-à-dire reconnaitre son erreur, s'avouer que la vie d'expatrié à New York, aussi glamour qu'elle puisse être, est incompatible avec la vie qu'il désire et dès lors, rentrer en France au plus vite. Ce n'est qu'après un long travail introspectif pour se re-équilibrer et ainsi oser être lui, qualités et défauts compris, qu'il a réalisé qu'il était parti outre-Atlantique pour les mauvaises raisons, non pas parce qu'il le voulait, mais parce qu'il le devait, « j'ai dû m'enfuir d'un monde qui s'écroulait autour de moi, alors qu'en fin de compte, c'était moi qui m'écroulais autour de ce monde. Je n'ai pas voulu le voir. J'ai payé le prix cher, mais la leçon est retenue. S'enfuir nous rattrape toujours un jour ou l'autre ».


« Allo, chéri ? » Alice est à l'autre bout du fil et Manu, sur le point d'embarquer, a enfin le sourire. Elle a pensé à l'appeler pour lui souhaiter bon voyage et surtout, lui dire d'envisager son atterrissage dans quelques heures à CDG comme une re-invention, « un accouchement sur asphalte, même ! » Elle a bien raison. Les soucis New-Yorkais de Manu sont du passé puisqu'il a fait la paix avec qui il est véritablement. Son avenir est en France, retravailler avec Catherine le motive et la perspective de se marier avec celle qui l'a toujours soutenue le rend plus que joyeux. Être expat est un choix. S'il est une obligation, attention au retour de bâton.

Nicolas Serres Cousiné, le life coach des expats français à travers le monde (www.lepetitjournal.com) jeudi 16 juin 2016

En savoir plus: Le site de Nicolas Serres Cousiné  www.monlifecoach.com

Avertissement: Les chroniques de Nicolas Serres-Cousiné sur lepetitjournal.com s'inspirent de sa pratique professionnelle. Chaque chronique est un mélange romancé de plusieurs témoignages sur le même thème. Ils ont été modifiés de manière à préserver l'anonymat de leurs auteurs.

Nicolas Serres-Cousiné
Publié le 15 juin 2016, mis à jour le 16 juin 2016
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