Chaque fois que ses parents viennent lui rendre visite à New-York, Bertrand a comme l'impression de se regarder dans « un miroir déformant ». Il ne se sent pas à l'aise en leur présence, culpabilise et a la désagréable impression d'être un fils indigne? Alors qu'il croyait qu'en fuyant la France il résoudrait son problème, il réalise en fait qu'il doit avant tout se faire face à lui-même.
« Promis, juré, c'est la dernière fois que j'accepte qu'ils viennent passer leurs vacances d'été chez moi », rumine Bertrand en route pour l'aéroport. Pour la troisième année consécutive, ses parents, excités comme des puces, se sont invités dans son minuscule appartement situé en plein coeur de Brooklyn Heights. Malgré l'affection qu'il leur porte, Bertrand est déjà agacé par l'inévitable déferlement de questions sur sa vie privée que leur séjour va engendrer. « Et que dire de leur interminable liste de visites touristiques à faire à tout prix et qui me tourne à chaque fois en bourrique », ajoute-t-il en levant les yeux au ciel. Sa mère ira à Chinatown pour négocier ad vitam aeternam des faux sacs à main Vuitton, elle aura une tonne d'idées pour refaire la déco de "l'endroit glauque où son petit poussin croupit" et sera bien décidée à rencontrer Jane, sa nouvelle copine. Son père lui donnera des conseils malavisés qui débutent toujours par, « moi à ta place, je...», il insistera pour marcher sur le pont de Brooklyn dans les deux sens et pour aller danser le tango le long de l'Hudson River, « juste derrière le Metropolitan Opera, comme le recommande le numéro Spécial New York du Figaro Magazine ». Pendant dix jours, à trois coincé dans son studio, Bertrand va se sentir jugé, soupesé, décortiqué puis finalement rincé. « Ah ben tiens, les voilà mes invités surprise ! » Papa et maman, en passe de franchir la douane, lui font coucou à travers la baie vitrée. Bertrand leur sourit et songe déjà à leur départ.
« Je suis le roi des fils indignes »
« Je suis le roi des fils indignes ». Affalé en face de moi, Bertrand vient de passer notre séance de coaching à s'autoflageller. J'avais espéré que la chaleur moite de la fin du mois d'aout adoucirait ses propos. Oh que non. Si ses parents, rentrés en France il y a quinzaine de jours, lui ont donné l'impression de s'être bien amusés, il s'est senti mal à l'aise à leurs côtés pratiquement de bout en bout. Fatigué de ce sentiment qu'il juge malsain et dont il se sent coupable, il est décidé à en parler à un professionnel pour s'en débarrasser une bonne fois pour toutes, « à chaque fois que je vois mes parents, je me retrouve confronté à mon enfance et à ma culture, j'ai l'impression que tout ce que j'ai bâti à la force du poignet, ici dans mon nouveau chez moi à New York, peut s'écrouler à tout moment ».
Comme je suis d'une nature curieuse et puisque je suis convaincu que la solution de son dilemme est en lui, j'écoute attentivement ce que Bertrand me dit, et surtout ce qu'il ne me dit pas. Après avoir glané ces informations entre les lignes, je le challenge en lui posant des questions qui ne font pas souvent plaisir mais qui font toujours réfléchir, le but étant de créer de l'espace frais dans son cerveau embrumé par l'incertitude. "Enfant, mes parents se disputaient autant qu'ils ignoraient ma présence alors maintenant quand je suis avec eux, c'est comme si je me regardais dans un miroir déformant. Je redeviens ce petit garçon triste, moche et fils unique qui cachait ses émotions de peur d'être blessé". Quoi d'autre ? "C'est dur à admettre, mais mon père et ma mère symbolisent tout ce qui m'exaspère en France: l'étroitesse d'esprit, le manque d'ambition professionnelle, la suspicion continuelle, les commérages de quartiers, les économies à trois francs six sous, les jugements hâtifs sur les gens que l'on ne connaît pas et la peur quasi maladive de voir leur fils rêver d'un monde meilleur". Ce déballage verbal lui était nécessaire, Bertrand se sent plus léger d'avoir été non seulement écouté, mais entendu. C'est le moment idéal pour lui demander de ne plus associer son dilemme à ses parents, et de se recentrer sur lui.
Découvrir les raisons de son malaise...
« Aux yeux de mes proches, mon aventure à l'étranger est totalement glamour et représente la parfaite success story américaine. Pour répondre à leurs attentes, j'ai joué le jeu du businessman parti de rien et qui cartonne à Wall Street alors qu'en réalité l'argent, même si c'est bien d'en avoir, ne compte pas vraiment pour moi. Mon départ aux États-Unis est avant tout la fuite d'un jeune homme pas à sa place dans son pays natal car en colère contre l'immobilisme de ses compatriotes. À bien y réfléchir, j'ai voulu réussir non pas pour moi, mais pour prouver à mes parents, que je pouvais le faire à ma façon, loin d'eux, en électron libre. Et comme pour y arriver, armé d'un esprit de revanche, j'ai travaillé tel un forcené, je me suis oublié au passage. Voilà pourquoi revoir mon père et ma mère me stresse car cela fait ressortir le côté moins romantique, donc aigri, de mon aventure. Je ne suis pas le Monsieur Parfait que tout le monde croyait. Ouah, ça fait drôle de se l'admettre ! » Le visage de Bertrand s'illumine. Il vient de découvrir les vraies raisons de son malaise avec ses parents. Fini de se planquer derrière de fausses excuses, même si celles-ci sont douloureuses. Son dilemme est avant tout entre lui et lui. Il n'y a qu'en allant à la découverte de soi qu'il le réglera.
Quel travail personnel reste-t-il à Bertrand pour avancer vers la solution de son dilemme ? Ne plus cacher ses émotions et, en premier lieu, oser être vulnérable devant ses parents. « J'ai besoin de leur parler du travail sur moi que j'ai fait avec toi. ils sont en droit de savoir ce que je pensais d'eux avant. Je veux aussi leur dire que je les aime, malgré tout et malgré moi ». C'est bien, et ensuite ? « Je veux m'accepter comme je suis. Jouer la victime, l'enfant malheureux et blessé, ne me ressemble plus ». Tu as raison. Quoi d'autre ? Mon insistance l'amuse. Je ne le lâcherai que lorsque son horizon s'éclaircira pour de bon, « je veux réussir professionnellement pour moi et avec moi, et pas pour impressionner les autres. Je veux être épanoui dans mon métier, c'est ma grande découverte de l'année ! », s'exclame-t-il en riant. Je lui réponds par un sourire, persuadé qu'après quelques séances pour tout remettre à plat, Bertrand l'enfant ne sera plus en travers de Bertrand l'adulte. Être honnête avec lui-même en se regardant tel qu'il est était l'outil qui lui manquait. Maintenant qu'il a compris cela, avec ou sans le miroir de ses parents, il ne peut qu'avancer sereinement vers une vie qui lui ressemble vraiment.
Nicolas Serres Cousiné, (www.lepetitjournal.com) le life coach des expats français à travers le monde, mercredi 19 juillet 2017.
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