Édition internationale

Deyrolle et les grands explorateurs, un héritage d’expatriation scientifique

À une époque où l’horizon semble infini, peu après la reprise des grandes expéditions scientifiques post-napoléoniennes, Jean-Baptiste Deyrolle fonde l’institution éponyme. L’établissement s’impose rapidement comme la gardienne d’un savoir singulier recueilli aux confins du monde. Aujourd’hui encore, elle perpétue cet héritage en cultivant une curiosité et un regard émerveillé sur la nature et la science.

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La boutique-musée Deyrolle ©Clémence Rolland Casado
Écrit par Liz Fredon
Publié le 12 mars 2025, mis à jour le 20 mars 2025

 

Située au milieu des showrooms icônes du design français du 7ᵉ arrondissement de Paris, la boutique Deyrolle se démarque par une devanture venue tout droit du 19ᵉ siècle. Lorsque que l’on entre dans cet hypnotique cabinet de curiosité mêlant art et beauté naturelle, ce n’est pas pour une séance de shopping ordinaire. Chaque passage est rythmé par les mises en scènes changeantes et les collections exceptionnelles de l’institution.

Depuis 1831, la maison Deyrolle est la mémoire vivante des grandes explorations françaises, un sanctuaire où l’esprit d’aventure et de découverte se cristallise sous forme de planches illustrées et de collections naturalistes envoûtantes… Reportage avec lepetitjournal.com. 

 

Aux origines de Deyrolle : une quête encyclopédique et une histoire d’expatriation

Au 19ᵉ siècle, à la suite des grandes découvertes, la France se passionne pour l’exploration. Les expéditions scientifiques vers des terres inconnues se multiplient, embarquant à bord de leurs caravelles des armées de médecins, d’illustrateurs et de naturalistes. Chaque retour de mission apporte son lot de découvertes : papillons aux ailes en vitrail, plantes aux vertus mystérieuses, squelettes et peaux d’animaux fabuleux. Jean-Baptiste Deyrolle, passionné d’entomologie, saisit alors l’opportunité de donner une vitrine à ces trésors en leur dédiant un lieu d’étude et de conservation.

 

 

Vitrines entomologiques de papillons
Vitrines entomologiques de papillons, Deyrolle, 2025 © Liz Fredon

 

 

« M. Deyrolle crée Deyrolle pour préserver les découvertes rapportées par les grandes expéditions et les équipes scientifiques françaises, afin de conserver ces collections aussi longtemps que possible. », explique Francine Campa, PDG du groupe Deyrolle depuis 2015.

En plus de classer et d’archiver ces trésors, Deyrolle devient un passeur de savoir entre les savants et le grand public. La famille de Jean-Baptiste Deyrolle embrasse cet esprit de voyage : son fils, Achille Deyrolle, part en Afrique pour répertorier de nouvelles espèces d’insectes, tandis qu’une autre partie de la lignée s’installe au Brésil dans les années 1830 pour y fonder une colonie utopiste tournée vers un mode de vie proche de la nature. « C’était une famille très expatriée finalement », souligne Francine Campa avec amusement.

 

 

Planche pédagogique sur le thème des plantes vénéneuses
Planche pédagogique sur le thème des plantes vénéneuses, © Deyrolle

 

 

« Un dessin vaut mieux qu’un long discours pourvu qu’il soit rigoureusement exact » - Émile Deyrolle

 

Deyrolle, un antre pour le savoir et l’inspiration

L’institution est très vite un point d’ancrage pour les spécialistes et les curieux. Dès la fin du 19ᵉ siècle, elle élabore des planches pédagogiques, traduites en plusieurs langues et diffusées dans plus de 100 pays, du Brésil à la Chine. « Un dessin vaut mieux qu’un long discours pourvu qu’il soit rigoureusement exact » était la pédagogie d’Émile Deyrolle, petit-fils du fondateur, résumée en une phrase. Cette approche visuelle, à la fois esthétique et méticuleuse, ancre la maison dans une importante mission éducative. Les planches produites doivent être belles et plaire, afin de donner envie de les partager.

 

Deyrolle en quelques chiffres :
40 000 visiteurs :
Chaque année, la boutique-musée de la rue du Bac à Paris accueille des milliers de curieux et de passionnés​
800 variétés de tomates : Conservées au château de la Bourdaisière, dans le cadre de la préservation de la biodiversité​
1 million d’ouvrages : Deyrolle a vendu près d’un million de livres, diffusant son savoir au-delà des frontières​
Près de 1 000 thèmes : Les planches pédagogiques couvrent un millier de sujets allant de la faune et la flore aux grandes avancées industrielles​

 

 

Tableau Le Bateau-papillon de Salvador Dali,
Tableau Le Bateau-papillon de Salvador Dali, habitué de la maison Deyrolle

 

 

Au début du 20ᵉ siècle, l’institution devient un repaire d’artistes et d’intellectuels français ou expatriés à Paris. Apollinaire, Hemingway et Picasso y trouvent une source d’inspiration inépuisable. « Deyrolle était un haut lieu d’inspiration artistique parisien », raconte Francine Campa. Les murs de la boutique-musée deviennent le théâtre d’un tourbillon de création artistique, entre poésie, peinture et… cinéma. En 2009, la boutique-musée accueille le tournage du film de Woody Allen, Midnight in Paris. « Il y a une scène qui se passe chez Deyrolle où Gertrude Stein parle à Hemingway et lui dit qu'ils sont chez Deyrolle. », évoque la PDG.

 

« Tout le monde connaissait Deyrolle. C'était une évidence et vraiment un lieu d'inspiration. » - Francine Campa

 

 

Marion Cotillard chez Deyrolle pendant le tournage du film Midnight in Paris de Woody Allen
Marion Cotillard chez Deyrolle pendant le tournage du film Midnight in Paris de Woody Allen. © Midnight in Paris, Woody Allen (2009)

 

Pour cultiver cet héritage, Deyrolle élabore des collaborations avec des artistes contemporains engagés pour la protection de la biodiversité. Récemment, Johnny Depp a réalisé « Paciderm », une œuvre représentant un éléphant majestueux et contrasté, qui sera présentée au public et disponible à la vente — en édition limitée — dès le 27 mars 2025 à la boutique-musée du 46 rue du Bac.

 

« Comme tant d’autres avant moi, j’ai été attiré par le monde de Deyrolle, un lieu qui célèbre les merveilles étranges, belles et souvent négligées de la nature. » - Johnny Depp

 

 

Oeuvre d'art "Paciderm" de Johnny Depp, représentant un éléphant
Œuvre d'art « Paciderm » Johnny Depp

 

 

Une expatriation d’idées et d’émotions

Aujourd’hui, l’institution n’explore plus les continents à la recherche d’espèces inconnues, mais demeure un symbole de transmission. Elle continue d’ouvrir des fenêtres sur le monde, de susciter l’émerveillement et de sensibiliser aux enjeux environnementaux.

 

« La maison Deyrolle était pleine d’expatriés », observe la PDG du groupe, « et comme les expatriés aujourd’hui, elle s’est toujours adaptée au monde qui change. Curiosité et agilité, voilà ce qui définit à la fois Deyrolle et l’expatriation. » - Francine Campa

 

Pour Francine Campa, le lien entre Deyrolle et les expatriés est d’« avoir envie de comprendre le monde qui nous entoure, tout en s'extrayant de notre culture et de notre cocon initial. » D’après elle, découvrir le monde est un état d'esprit et nécessite une capacité d'adaptation.

Ainsi, Deyrolle représente une France qui voyage, qui s’adapte, qui resplendit. De Paris au reste du monde, elle reste ce lieu intemporel où l’exploration ne cesse jamais.

« Les expatriés sont le reflet du rayonnement de la France. Être lu par vos lecteurs, c’est emmener un petit bout de cette institution qui a marqué le monde, dans le cœur de chacun. Nous voulons leur dire que, lorsqu’ils reviendront à Paris, nous serons toujours là, au 46 rue du Bac, pour les accueillir. », conclut Francine Campa.