“Lorsqu'une langue s'éteint, les traditions qui lui étaient associées disparaissent également, souvent remplacées par les habitudes culturelles du groupe dominant” a écrit la Linguistic Society of America. D'après l’UNESCO, une langue disparaît toutes les deux semaines dans le monde… Explications et exemples.
Plus de la moitié des 7.164 langues du monde sont en voie de disparition et 846 sont en danger sévère d’extinction, d’après l’UNESCO. Les raisons de la disparition des langues sont diverses et complexes, mais, elles peuvent généralement être attribuées à des éléments militaires, démographiques, géographiques, économiques, politiques ou même culturels. Ces éléments s'entrelacent souvent, rendant difficile l'identification de celui qui prédomine.
60% des langues menacées dans le monde sont localisées dans seulement neuf pays, parmi lesquels l’Indonésie, la Papouasie-Nouvelle Guinée ou encore les Etats Unis figurent dans le top 3. En Europe, où l’on a recensé 123 langues — le continent le moins menacé —, 9 langues sont qualifiées de «moribondes», 26 sont «proches de l’extinction» et 38 sont considérées «en danger».
Avec l’avènement du numérique, les langues tendent à disparaître de plus en plus rapidement. A titre d’exemple, 80% de la population parle 80 langues et les 20% restant parlent les milliers d’autres langues. Même s’il y a des langues nationales qui s’éteignent, nombreuses sont des dialectes. C’est le cas par exemple de l’arabe chypriote maronite.
L’arabe chypriote, une langue parlée par 300 personnes
Uniquement parlée par quelques centaines de personnes - des chrétiens maronites, minorité religieuse issue du Liban -, l’arabe chypriote n’est parlé que dans une petite région du nord de Chypre, sous supervision turque. A cause de son conflit avec la Turquie, le pays est divisé en deux. Le sud, peuplé par les Chypriotes grecs, est reconnu internationalement comme la République de Chypre, tandis que le nord est occupé par les forces turques et est devenu en 1983 la "République turque de Chypre du Nord", reconnue uniquement par la Turquie.
Le conflit entre Chypre et la Turquie remonte principalement à 1974. Chypre, ancienne colonie britannique, est indépendante depuis 1960, mais les tensions ethniques entre la majorité chypriote grecque et la minorité chypriote turque sont fortes. En 1974, un coup d'État pro-grec, soutenu par la dictature militaire en Grèce, vise à unir Chypre à la Grèce. En réponse, la Turquie envahit le nord de l'île pour protéger les Chypriotes turcs. Depuis, l'île est divisée en deux. Cela fait 50 ans.
Les Chrétiens maronites du nord de l’île se sont donc retrouvés piégés et beaucoup ont été séparés de leurs familles, coincés de l’autre côté de la “ligne verte”, empêchant ou du moins, réduisant la transmission de l’arabe chypriote. Si rien n’est fait pour préserver cette langue, mélange d’arabe parlé et de grec, il suffira d’une cinquantaine d’années pour qu’elle disparaisse d’après de nombreux linguistes, qui se pressent pour au moins la documenter avant qu’il ne soit trop tard. Moins de 1000 personnes parlent l’arabe chypriote couramment et aucun locuteur natif n’a moins de 40 ans.
Le Yagan, une langue disparue depuis le 16 février 2022
Avec la disparition de 25 langues chaque année, le travail des linguistes - et de documentation plus généralement - est important. Il permet de préserver l’alphabet, les mots, l’histoire et même les traditions d’une population et de sa langue. Le Yagan, langue d'un peuple amérindien qui vivait à l'extrême sud du pays, est un très bon exemple. Elle s'est éteinte avec la mort de sa dernière locutrice native, Cristina Calderón, en 2022.
Avant son décès, avec l’aide de l’une de ses petites-filles, la nonagénaire a élaboré un dictionnaire yagan-espagnol. Ensemble, elles ont également publié un livre d’histoires, de chansons et de légendes du peuple yagan “Hai Kur Mamášu Čis”.
Vers une réinvention de la langue kazakhe
Plus rarement, des langues renaissent ou se popularisent à nouveau. C’est le cas notamment du kazakh qui offre à son peuple une seconde naissance et dont ce dernier mène un combat de tous les instants pour préserver sa langue. Sous l’occupation soviétique, la langue kazakhe est reléguée au second rang, juste après le russe. Petit à petit, la langue a été de moins en moins apprise par les Kazakhs. Aujourd’hui, on considère qu’environ 65% de la population du Kazakhstan est capable de parler et de comprendre le kazakh. Une augmentation par rapport aux 25% de moins à la fin de l’occupation soviétique.
En 2017, la langue kazakhe a été officiellement convertie, non sans controverse, à une version en alphabet latin. La population a jusqu'en 2025 pour s'habituer à ces changements. Néanmoins, la plupart des textes sont encore écrits en alphabet kazakh cyrillique : il s’agit des mêmes lettres que le cyrillique russe avec toutefois quelques lettres supplémentaires propres au kazakh.
Depuis la fin des années 90 seulement, les Kazakhs se réinstallent dans le pays qui porte leur nom, faisant du kazakh, une langue qui n’est plus menacée comme elle l’était auparavant. Outre la désormais obligation de l’apprentissage de la langue kazakhe à l’école, le plus gros combat est mené à travers la culture. Des films, livres, et œuvres artistiques en kazakh sont produits pour encourager l'intérêt des jeunes générations. Et la diaspora n’y est pas pour rien : des écoles kazakhes, des associations culturelles et des festivals sont organisés partout dans le monde pour maintenir les traditions linguistiques et culturelles. Par exemple, depuis 2019 s’organise chaque année à Paris, le festival du film kazakh.
Combien de langues ou dialectes auront disparu dans 100 ans ? D'après une étude de l’UNESCO, entamée en 1997 et publiée en 2002, jusqu’à 5.500 langues actuelles pourraient disparaître d'ici un siècle, rejoignant ainsi le sort des langues mortes comme le latin et le grec ancien. Cela signifierait que 90 % des langues disparaîtraient au cours de ce siècle, un véritable «massacre» selon l'UNESCO. Si la réalité annoncée est alarmante, elle pourrait être contrecarrée par des initiatives fortes à l’instar du peuple kazakh. Et si dans 100 ans, l’homme choisissait de contempler un monde où la diversité linguistique est célébrée plutôt que les vestiges de langues disparues ?