Lors d’un entretien avec lepetitjournal.com, Olivier Cadic, sénateur des Français établis hors de France, évoque l’actualité internationale, la crise au Liban et les enjeux des ingérences étrangères. Il attend notamment que “le Liban élise enfin son président, se dote d’un nouveau gouvernement, d’un système transparent et d’une justice indépendante”. Au cours de cet entretien, le Sénateur nous parle aussi des initiatives en faveur des Français de l’étranger, comme la dématérialisation des procédures d'état civil et le développement du service France Consulaire.
Que pensez-vous du gouvernement nommé en septembre 2024 par Michel Barnier ?
Le nouveau gouvernement fait la part belle aux sénateurs. C’est une satisfaction. Reconnu pour son importance dans le bon fonctionnement de nos institutions et respecté pour le sérieux de son travail, le Sénat est conforté par les choix du Premier ministre Michel Barnier, qui a lui-même siégé au palais du Luxembourg. Je m’en réjouis.
Quel est votre avis sur la nomination de Sophie Primas en tant que ministre déléguée au Commerce Extérieur et aux Français de l’étranger ?
Sophie Primas est ma collègue depuis mon entrée au Sénat en 2014. Elle a occupé la fonction éminente de présidente de la commission des affaires économiques. Les questions liées au commerce extérieur lui sont connues. Elle est la quatrième ministre à s’occuper des Français de l’étranger en moins de trois ans. La configuration inédite de l’Assemblée nationale ne permet pas d’envisager de grande réforme structurelle.
Sophie Primas dispose de qualités naturelles de bon sens, d’écoute, d’empathie et d’humilité. Elle saura s’appuyer sur l’expérience et la maîtrise des dossiers de la directrice des Français de l’étranger et le soutien des parlementaires et des élus consulaires, soucieux de défendre l’intérêt général, pour prendre des décisions éclairées.
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Lors de la 41ème session de l’AFE, Sophie Primas a dévoilé ses priorités concernant les Français de l’étranger.
- Parmi elles, il y a notamment la dématérialisation des documents d'état civil et de la procédure de renouvellement des passeports sans comparution (en test au Portugal et Canada). Que vont apporter ces projets dans la vie des Français de l'étranger ?
Simplifier les procédures, éviter des déplacements inutiles, sont des demandes formulées par nos compatriotes et portées par leurs représentants au Parlement et à l’AFE depuis longtemps. Le registre d’état civil électronique permet depuis 2021 la délivrance dématérialisée des copies intégrales et des extraits d’actes de l’état civil. Les développements doivent s’achever à la fin de l’année prochaine, pour permettre la dématérialisation complète de l’état civil dans nos postes. Avec la perspective d’une Identité Numérique pour chacun de nos compatriotes à l’étranger, les démarches administratives pourront être accomplies en toute sécurité́, où qu’ils se trouvent.
Concernant l’expérimentation du renouvellement des passeports sans comparution au Canada et au Portugal, je suis satisfait mais regrette que le ministère de l’intérieur français soit lent et très conservateur sur ces questions. Nous sommes très en retard par rapport à nos voisins dans ce domaine. À titre personnel, je réclame depuis 2014 que la prise d’empreintes biométriques puisse se faire par les consuls honoraires comme pour les Allemands.
41e SESSION AFE – INTERVENTION de @sophieprimas, ministre déléguée chargée du Commerce extérieur et des Français de l’étranger.
— Olivier Cadic (@OlivierCadic) October 14, 2024
4 PROJETS PRIORITAIRES DE MODERNISATION de la ministre ⬇️1/3 pic.twitter.com/EBa6ebK5zO
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- Il y a aussi une ambition d’étendre le Service France Consulaire. Pouvez-vous nous rappeler quelle est l’utilité de ce service pour les Français de l’étranger ?
Élu conseiller à l’AFE du Royaume-Uni en 2006, il m’est vite apparu que les difficultés du standard du consulat général de Londres ne pourraient se régler localement. Alain Catta, alors directeur des FDE, avait été séduit par le vœu proposé à l’AFE d’une réponse téléphonique mutualisée entre les consulats pour professionnaliser ce service et éviter les appels infructueux.
Plusieurs directeurs des Français de l’étranger ont craint ensuite que ce service fasse reculer les effectifs de leur administration et freiné ce développement. Grâce à l’impulsion du président de la République pour améliorer le service aux Français de l’étranger, France Consulaire, la plateforme de réponse téléphonique pour les Français de l’étranger est née en 2021. Elle se met en place progressivement en s’appuyant sur un centre d’appel privé qui a démontré son efficacité et permis aux agents du ministère de se concentrer sur les seuls appels qui nécessitent leur expertise. Avec un taux de satisfaction des usagers de plus de 90%, ce service est plébiscité. La couverture mondiale est prévue pour fin 2025. Ce résultat est lié au volontarisme de Pauline Carmona. Dès son arrivée, la directrice des FDE a levé tous les freins qui entravent le développement du service. En 2026, le temps où un consulat était injoignable au téléphone sera définitivement révolu.
Vous prenez régulièrement la parole sur l'absence de liberté et d'indépendance du Liban et suivez de près la situation de nos ressortissants dans le pays. Comment jugez-vous l’évolution de la situation au Liban et qu’avez-vous à dire aux Français présents au Liban ? Comment les accompagner dans un contexte de conflit ?
À l’invitation de Nadia Chaaya, conseillère à l’AFE pour le Moyen-Orient et l’Asie centrale, je me suis rendu à Beyrouth afin de célébrer le 14 juillet aux côtés des Français du Liban, mais également pour évaluer le plan de sécurité du consulat, dans le cadre de ma mission de contrôle de l’action du gouvernement. J’ai pu apprécier le sérieux de la préparation opérée par notre consulat en bonne intelligence avec nos forces armées. Je me suis rendu ensuite à Chypre pour évaluer le degré de préparation des différents acteurs si nous étions amenés à devoir évacuer des milliers de personnes du Liban, comme nous l’avions fait en 2006.
La crise politique qui prive le Liban de son président et d’un gouvernement depuis deux ans, consciencieusement entretenue par le Hezbollah pour lui permettre de contrôler le pays, débouche sur une crise militaire initiée par cette milice libanaise, proxy de l’Iran. Depuis le 8 octobre 2023, le Hezbollah entraîne les Libanais dans une guerre contre leur gré. Désormais, chaque jour, le sud et l’est du Liban sont bombardés. Plus d’un million de Libanais ont quitté leur domicile. Le pays s’enfonce un peu plus encore dans le chaos.
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Avec la Diaspora des Libanais Overseas, présidée par Rodrigue Raad, et en collaboration avec Nadia Chaaya, nous avons organisé à Paris des réunions de soutien à nos compatriotes du pays du Cèdre et favorisé une levée de fonds en faveur de la Croix rouge libanaise, le 15 octobre 2024, comme nous l’avait suggéré Pierre Anhoury, expert technique international, conseiller auprès du ministre de la Santé du Liban.
Pour autant, je m'inquiète que l’aide internationale puisse nourrir un système qui profite à des forces qui honnissent nos valeurs comme le Hezbollah ou certains Libanais corrompus qui font fortune en plongeant leurs compatriotes dans la misère. Tout doit être entrepris pour que le Liban élise enfin son président, se dote d’un nouveau gouvernement, d’un système transparent et d’une justice indépendante. C’est ce qu’attendent les Libanais.
Vous avez débattu et défendu la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs les enjeux d’un tel texte ?
Des états totalitaires ou autoritaires s’en prennent quotidiennement aux démocraties et relativisent l’intérêt de respecter les droits de l’Homme. La Chine promeut un modèle alternatif où la liberté serait reléguée au second plan au profit du développement, et discrédite les démocraties. À titre d’exemple, au début de la crise du Covid en mars 2020, l’ambassade de Chine à Paris, a répandu une fake news indiquant que le personnel des EHPAD en France avait abandonné les personnes âgées sans nourriture, ni soins.
J’ai alors réclamé la mise en place d’une “force de réaction cyber”, seule capable de réagir et de lutter offensivement contre les ennemis de nos valeurs républicaines, qui menacent la cohésion sociale. Quinze mois plus tard, l’agence nationale Viginum voyait le jour en France pour détecter les attaques informationnelles. Elle traque désormais les ingérences étrangères sur internet et se révèle précieuse pour affronter les modes opératoires de plus en plus sophistiqués comme ceux observés à la veille des Jeux Olympiques par exemple.
Dans cette bataille des opinions, les démocraties ne doivent pas se montrer naïves. En matière d’Ingérences étrangères, si la Russie est la tempête, le changement climatique est la Chine. Nous sommes confrontés à une guerre hybride menée par ceux qui cherchent à détruire les démocraties de l’intérieur.
Vous avez effectué un déplacement en Lituanie en septembre 2024, à l'heure où la saison de la Lituanie a lieu. Quelles sont les problématiques mais aussi les initiatives qui vous ont marquée ?
Je me suis rendu en Lituanie à l’invitation d’Anthony Poullain, pour célébrer les 25 ans de la Chambre de commerce franco-lituanienne (CCIFL) qu’il préside. Cette visite m’a permis d’aller soutenir nos entreprises situées à Vilnius, Kaunas ou sur le port de Klaïpeda. Cette visite s'insère dans un déplacement qui a débuté en Estonie pour lancer officiellement la nouvelle chambre de commerce France-Estonie, constituait mon objectif prioritaire pour ce pays, et apporter mon soutien à l’action de sa présidente Violaine Champetier de Ribes.
Le séjour s’est terminé par la Pologne, pour intervenir au forum de Karpacz, souvent baptisé le Davos des pays d’Europe centrale et orientale. Cela m’a permis de soutenir l’action de Joanna Jaroch-Pszeniczna, directrice et Tareck Ouaibi, président de la Chambre de commerce et d’Industrie France Pologne (CCIFP) lors de cet événement d’envergure international. L’extraordinaire activisme de nos chambres bilatérales est déterminant pour animer notre diplomatie économique et valoriser les opportunités pour nos entreprises, dans une zone où la menace militaire russe est très prégnante.
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Certaines initiatives individuelles m’ont particulièrement marqué. Celles d’Anthony Poullain, également président du Souvenir français en Lituanie, en faveur du devoir de mémoire ; Que ce soit au Fort IX à Kaunas, théâtre de massacres de masse durant la seconde guerre mondiale, où furent déportés les 878 Juifs du convoi n°73, parti en mai 1944 de Drancy ; ou bien à Nida, devant le monument qu’il a fait ériger à la mémoire des 12.000 prisonniers français. Beaucoup ont succombé en participant à la construction du Canal Guillaume 1er.
Je pense également à Benedicte Mezeix-Rytwinski, directrice et rédactrice en chef du média Lepetitjournal.com à Varsovie qui a animé la conférence “Power of women in Politics”, à Karpacz. Avec beaucoup de tact, elle permet à chacun de mesurer la différence de perception du rôle des femmes en politique entre la France et la Pologne.
Compte-rendu déplacement en LITUANIE (3/3) – Klaipéda & Nida (30-31 août 2024)
— Olivier Cadic (@OlivierCadic) September 18, 2024
Fin du déplacement en #Lituanie initié par @anthonypoullain à l’occasion du 25ème anniversaire de la Chambre de commerce et d’industrie France-Lituanie 🇫🇷 🇱🇹.
#Klaipeda :
➡️ @portofklaipeda1
➡️… pic.twitter.com/ChsWtBk7Gt
Vous vous caractérisez comme Sénateur entrepreneur. Justement que pensez-vous des réflexions autour d'un statut spécifique pour les entrepreneurs français à l'étranger ?
Je suis convaincu du rôle essentiel des entrepreneurs français à l’étranger. C’est pourquoi j'ai fait adopter en 2021 un amendement à la loi « Développement solidaire et lutte contre les inégalités mondiales » portée par Jean-Yves Le Drian pour reconnaître nos entrepreneurs à l’étranger et leur apporter un soutien via l’AFD.
Mon objectif était de faciliter le financement de marchés obtenus par des entrepreneurs français à l’étranger au travers de Proparco, car je crois que nos entrepreneurs ont plus besoin de commandes que de subventions ou de distinctions. Dans le dernier rapport du gouvernement sur la situation des Français établis hors de France, il n’y a aucun paragraphe pour mettre en valeur l’importance du réseau des 2.000 Conseillers du Commerce Extérieur (CCEF) établis à l’étranger ou de nos 120 Chambres bilatérales établies dans 90 pays qui représentent plus de 35.000 entreprises. Toute initiative susceptible de valoriser nos entreprises et entrepreneurs français à l’étranger reçoit mon soutien. Ce sont les petits ruisseaux des entrepreneurs français à l’étranger font les grandes rivières de l’exportation française.
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Avez-vous un message particulier pour nos lecteurs lepetitjournal.com ?
C’est en français que Lepetitjournal.com contribue à vous informer. Nos compatriotes nés à l’étranger ne parlent pas toujours la langue de Molière. D’après les dernières estimations, ce serait le cas pour la moitié d’entre eux aux États-Unis ou en Australie, aux deux tiers en Amérique latine, à plus de 80% en Algérie ou en Israël.
Chaque année, nous versons sans sourciller plus de 400 millions d’euros à l’AEFE (440 prévus en 2025), qui organise un réseau d’écoles qui ne concerne que 20% des enfants français à l’étranger. Seuls 4% des enfants français bénéficient de plus de 115 millions d’euros de bourses. Depuis mon arrivée au Sénat, en 2014, je plaide pour que notre pays se fixe pour objectif que tous les Français sachent parler notre langue et je dépose un amendement chaque année pour déplacer un peu de budget en ce sens.
Le président de la République a promis, en 2022, un Pass Éducation langue française (PELF) pour répondre à cette attente. Un million d’euros avait été alloué au budget 2024 du programme 151 afin d’évaluer le besoin et le mettre en place avec le CNED. Au lieu de cela, l’argent a été dilapidé pour offrir une poignée d’heures de cours de français à quelques enfants. Le PELF n’a plus de budget pour 2025. Aidez-moi à convaincre le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères que notre pays doit se donner les moyens d’apprendre sa langue à tous ses enfants.