Cette crise sanitaire mondiale a bouleversé le quotidien et les projets des Français qu’ils vivent en France ou ailleurs. C’est d’autant plus vrai quand on vit à l’étranger et loin de ses proches. Que ce soit pour des raisons personnelles ou financières, de nombreux expatriés envisagent aujourd’hui de rentrer en France. Nous avons recueilli leurs témoignages.
Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, tout comme son secrétaire d’Etat Jean-Baptiste Lemoyne, l’ont martelé à plusieurs reprises : les expatriés français doivent, tant que possible, rester dans leur pays d’accueil. Mais est-ce pour autant un choix plausible pour les nombreux Français de l’étranger qui se retrouvent aujourd’hui dans une situation plus que délicate ? Interrogés sur Twitter, vous avez été plus de 18% à souhaiter rentrer en France une fois la période de confinement terminée. Des chiffres similaires ont été récoltés par la députée de la 11e circonscription des Français de l’étranger, Anne Genetet. Mais pourquoi ces Français du bout du monde souhaitent revenir en France ?
Plus de revenus !
La première raison qui vient à l’esprit pour un retour en France, reste bien entendu les questions financières. De nombreux Français de l’étranger s’inquiètent en effet de ne pouvoir continuer à vivre dans des pays où la monnaie est dévaluée, leur business en (risque de) faillite ou encore là où le chômage fait des ravages. Comme nous l’a indiqué Jean-Olivier : « La pandémie actuelle a en effet bouleversé la vie et projets de nombreuses personnes avec des gens se retrouvant au chômage, obligées de rentrer en France ou dans leur pays, voire encore à reprogrammer ou annuler un projet de départ en expatriation pour une mission à l'étranger. J'ai pu constater au début de l'épidémie, de nombreuses personnes fuyant la Chine, profitant de vols mis en place par l'Etat pour les rapatrier et maintenant restent bloquées en France dû au confinement sans possibilité de retour immédiat. »
Stéphanie nous raconte : « Actuellement installée à Madrid, j’avais des entretiens pour travailler sur des événements sportifs en Espagne. J’avais donc pour projet de rester installée là-bas. Du fait du Coronavirus, j’envisage de rentrer en France dès cet été, du fait de l’annulation de tous les événements et donc l’impossibilité pour moi de trouver un travail et poursuivre mon projet de vie/ professionnel. »
Des projets d’expatriation qui tombent à l’eau
Comme les quelque 3 millions d’expatriés, de nombreux Français avaient pour projet de tenter leur chance à l’étranger : en cherchant un travail, rejoignant une formation ou en tentant l’aventure d’un PVT ou VIE/VIA. Mais c’était bien avant cette crise sanitaire inédite, les frontières closes et les projets entrepreneuriaux compromis. Alexandra, qui devait bientôt rejoindre la Birmanie, partage son histoire : « Cette crise sanitaire a impacté notre projet du fait qu'il concerne le tourisme! Il va de soi qu'il va falloir tout mettre en oeuvre pour que notre activité soit pérenne et que l'on puisse garantir à notre clientèle le respect des normes sanitaires et d'hygiène qui s’imposent. Nous y travaillerons avec notre franchiseur qui connait bien le secteur de l'Asie du Sud-Est et qui a déjà vécu l'épidémie du SRAS en 2002/2003. Notre projet a beaucoup de paramètres qui étaient calés sur la scolarité de nos enfants. Nous ne souhaitions pas qu'ils arrivent en plein milieu d'année scolaire à l'école française de Yangon. Le changement de vie peut être déroutant pour des pré-ados, nous souhaitons les préserver! Nous sommes donc obligés de décaler notre implantation de 6 ou 12 mois en fonction des règles de ré-ouverture des pays et frontières ainsi que des vols commerciaux! »
Seb a dû également mettre entre parenthèses ses projets en Colombie, pourtant réfléchis de longue date : « Après mon année sabbatique à parcourir le monde, je suis retourné à Madrid avec le plan de mettre un peu de sous de côté pour repartir. Un peu plus d'un an plus tard, ma copine et moi avions réunis la somme nécessaire pour pouvoir partir, et nous avons trouvés (via un post Facebook!) un rôle de gérants pour un hostel magnifique dans le sud de la Colombie. Nous sommes allés nous former sur place début janvier, puis retournés à Madrid faire le déménagement (en gros, vendre tous les meubles et repartir avec nos 2 valises et notre chaton), mais, patatra, le COVID-19 a fait son irruption. A cause de la fermeture des frontières de la Colombie, je n'ai pas pu embarquer dans mon vol le 17 mars. Nous voilà donc coincés, sans meubles dans notre appartement à Madrid… Nous avons prévu de repartir dès que les frontières de la Colombie se rouvrent, mais en attendant nous voilà bloqués en Europe pour quelques mois. Désormais sans boulot et sans revenus, retour prévus chez les parents le temps que la situation se calme un peu. »
Karine a eu davantage de chance en trouvant un travail en Espagne même si elle s’inquiète pour l’avenir : « Je travaille et vis à Paris, mon ami est à Madrid. J'apprends à 20h30, samedi 14 mars, que le commerce dans lequel je travaille, ferme pour une durée indéterminée. Mon ami étant en télé travail, je trouve un avion en urgence pour le dimanche 15 mars. On ne s'imaginait pas seul, chacun de notre côté, et surtout moi, enfermée dans un 15m2. Bonne décision étant donné que la France annonce le durcissement du confinement lundi 16 mars et que beaucoup de vols étaient supprimés. J'ai ensuite un entretien d'embauche en visio, prévu avant le confinement. Je passe 2,3 entretiens et je suis prise. Joie totale, je vais pouvoir vivre ici. Et là, commence le casse tête des démarches administratives : NIE, Sécurité Sociale,... plus ou moins bloquées. J'ai démissionné, mon inquiétude sur la possibilité de commencer ce nouveau job grandit. Fort heureusement, mon employeur est une société internationale et me propose donc un contrat français. »
"Nous ferons tout pour rentrer en France à la moindre occasion"
Comment faire lorsque l’on veut rentrer en France mais qu’il est impossible de le faire ? Certains expatriés ont préféré anticiper un retour en France, plutôt que de se retrouver bloqués dans un pays où les conditions sont plus compliquées ou qu’ils avaient déjà prévu de quitter dans les prochains mois. Elisabeth nous a confié son inquiétude : « Nous parlons beaucoup du rapatriement des touristes français bloqués à l étranger en ce moment mais qu’est il prévu pour le rapatriement des expatries bloqués eux-aussi et qui ont besoin de rentrer en France ( fin de contrat de travail, besoins familiaux , reprise de leur travail en France en septembre prochain, etc..) ? Les consulats nous disent qu’ils ne sont pas là pour organiser les retours. Air France va-t-elle organiser des vols en mai ou juin pour le retour ? »
Le mari français de Jael, Brésilienne, a préféré rentrer en France plutôt que prévu. « Mon mari est retourné aujourd'hui, et moi je suis restée au Brésil, je pense rentrer le mois prochain, mais on ne sait pas comment va se passer.. y’aura-t-il toujours des vols? Dû à autant d'incertitudes, il a préféré rentrer tout de suite, pour ne pas être bloqué ici », nous explique-t-elle.
Etre bloqué à l’étranger, c’est exactement ce qui est arrivé à cette famille expatriée au Royaume-Uni depuis 6 ans : « Après le vote du Brexit, notre joie de travailler à l'étranger avait déjà été quelque peu ébranlée par le sentiment de se sentir "étranger" et non bienvenus au royaume uni. Après les élections ayant confirmé ce choix, nous avons pris la décision de rentrer en France en juillet prochain. Avec la gestion désastreuse du gouvernement aux premiers temps du Covid-19 et la théorie d’immunisation collective de Boris Johnson, nous avons pris peur! Nous étions décidés à fuir le pays au plus vite dès mars mais avons été pris de court par la fermeture annoncée des frontières puis aujourd'hui par l’absence de moyens de transport pour la France. Nous nous sentons prisonniers dans ce pays qui n’est plus en adéquation avec nos valeurs et la peur d une mise en danger de nos vies par un déconfinement trop rapide pour un but économique. Nous ferons tout pour rentrer en France à la moindre occasion. Nous repartons un peu aigris et avec beaucoup de rancoeur. C’est dommage.. »
Vers un exode des Français ?
L’Etat français s’inquiète aujourd’hui d’un possible retour en masse des Français de l’étranger. Certains chiffres évoquent même un retour de 600.000 expatriés en France dans les prochains mois. Interrogée il y a quelques jours, la députée Anne Genetet redoute un effondrement de notre réseau d’influence : « C’est une menace imminente. Notre réseau d’influence c’est l’ensemble de nos quelque 3 millions de Français à l’étranger actuellement, qu’ils dirigent une entreprise ou ont monté un petit commerce, qu’ils dirigent un hôtel restaurant, ou que leurs enfants soient les amis de petits Ivoiriens, Péruviens ou Espagnols dans nos écoles françaises. Tout cela compte.».
Les différentes mesures de soutien annoncées par le gouvernement pourront-elles endiguer cette vague et aider les expatriés les plus démunis ? Le plan d’urgence pour les Français de l’étranger devrait apporter quelques pistes de réflexion et, nous l’espérons, de l’espoir pour les expatriés rencontrant actuellement de nombreuses difficultés financières. Le président Emmanuel Macron l’avait en tout cas promis dans une interview récente : « La France protège tous ses enfants ». Le rayonnement de la France et la survie de ses institutions à l’étranger en dépendent.