Édition internationale

Benoît Chaigneau: les origines de la fabrication de sa sauce poisson "Nuoc Mam"

Dans la seconde partie de cette interview, Benoît Chaigneau revient sur son apprentissage des pratiques culinaires vietnamiennes et plus particulièrement de la sauce poisson, dont il souhaite devenir le leader mondial.

Benoît Chaigneau et sa sauce poisson Nuoc MamBenoît Chaigneau et sa sauce poisson Nuoc Mam
Écrit par Paul Cottenceau
Publié le 26 février 2025

 

Suite au premier épisode, sur le parcours de Benoît Chaigneau et son amour inconditionnel pour le Vietnam, retrouverez ici la seconde partie de l’interview de Benoît Chaigneau par le Petit Journal, dans laquelle il évoque son initiation culinaire au Vietnam ainsi que le début de ses propres créations gastronomiques, notamment le nuoc mam (sauce poisson).


 
LPJ : Au cours de votre séjour prolongé au Vietnam à cause de la crise  du COVID, vous commencez à apprendre plus en profondeur les pratiques culinaires vietnamiennes. Pouvez-vous nous raconter plus en détails ce parcours initiatique ?
 
Benoît Chaigneau : Je suis allé découvrir les usages de la gastronomie vietnamienne directement à la source. Je m'arrêtais dans des petits villages que je croisais sur mon chemin et dès que je voyais quelqu’un cuisiner, je lui posais des questions sur sa préparation et ses usages. La communication n’a pas toujours été simple mais j’ai toujours réussi à me faire comprendre (le sourire aide). Je demandais aux habitants de ces villages de me montrer les produits qu’ils utilisaient, de quelles manières ils les utilisaient, où est-ce que ces produits poussaient, à quelle occasion ils devaient être consommés…

Une immense majorité de ces gens s’est montrée très accueillante et j’ai très souvent été invité à dîner ou déjeuner. Ajouter une assiette autour d’une table n’est jamais un problème ici et quand ce sont des gens qui viennent de la région d’origine des produits qui vous font découvrir leurs mets, ces derniers ont une saveur encore plus particulière. Au cours de ce voyage, j’ai été encore une fois témoin du sens du partage sans égal des vietnamiens.

Cette longue expérience a également été pour moi une occasion d’élargir ma culture botanique. Dès que je découvrais un produit, je cherchais à connaître son origine, sa composition, ses propriétés. Cela a presque été un voyage d’étude durant lequel je renseignais dans un cahier toutes les informations que j’obtenais sur les différents ingrédients et produits que je rencontrais (odeur, goût, usage, description organoleptique…). C’est en marchant dans un village du centre du Vietnam, dans la région de Quang Nam, que j’ai découvert ce qu’était la sauce poisson, le Nuoc Mam. J’ai demandé à une dame de ce village de m’apprendre à préparer cette sauce que j’avais trouvé délicieuse. Elle a d’abord refusé mais j’ai campé devant chez elle pendant trois jours et elle a fini par accepter de m'enseigner son savoir, intriguée par ma volonté d’apprendre.


 
LPJ : En quoi consiste exactement cette sauce et quel est votre lien avec elle ? Tentez-vous de créer la vôtre par la suite ?
 
BC : Cette sauce trouve en réalité sa source dans la région méditerranéenne il y a 2500 ans, du temps de l’empire romain et s’appelait à l’époque le garum. Elle était composée de chairs ou de viscères de poisson, voire d'huîtres, ayant fermenté longtemps dans une forte quantité de sel. À l'époque romaine, le garum entrait dans la composition de nombreux plats. On en retrouve de nombreuses traces dans tout le bassin méditerranéen, du Sud-Est de la France jusqu’à la Mésopotamie. On pense que cette préparation serait arrivée en Asie via la route de la soie terrestre, il y a environ 1300 ans. Ensuite, les différentes populations locales l’ont revisité à leur manière, créant une sauce de poisson fermenté (généralement de l’anchois) qui remplace le sel.  

Aujourd’hui, on trouve cet assaisonnement absolument partout dans la culture culinaire vietnamienne. Il accompagne tous types de plats, de la viande à la salade et est consommé par environ deux milliards d’individus quotidiennement dans le monde et le Vietnam en produit en moyenne 280 millions de litres chaque année. En plus d’être bon au goût, ce produit a également des facultés intéressantes: la sauce contient 30 à 40% de protéines, et est riche en omega 3, 6 et 9 ainsi qu’en minéraux.

La première fois que j’ai goûté cette sauce, j’ai été frappé par la différence que j’ai ressenti en comparaison de la sauce poisson que l’on connaît en France et qui est de bien moins bon goût et de bien moins bonne qualité. Lorsque j’ai goûté ce produit extraordinaire dans ce petit village, j’ai eu l’impression de trouver le chaînon manquant qui faisait le lien entre les gastronomies que je connaissais, entre ma culture méditerranéenne et les cuisines que j’avais découvert en Asie.

J’ai donc appris petit-à-petit comment confectionner cette sauce, tout en mêlant à ce que j’apprenais le savoir que j’avais acquis de mon côté sur les ingrédients et les procédés culinaires dans l’idée de créer quelque chose de nouveau. Il se trouve que j’ai un jour ajouté une poignée d’épices de ma collection dans une bouteille de sauce poisson que j’avais fabriquée puis je l’ai déposée dans un placard, pour ne la retrouver que quelque mois après, presque par hasard. En ouvrant à nouveau cette bouteille je suis tombé sur une sauce complètement différente de celles que j’avais eu l’habitude de goûter, avec des saveurs beaucoup plus douces et fumées.

Pour confirmer la réussite inattendue de cette sauce, je l’ai fait goûter aux chefs vietnamiens et étrangers que je connaissais et tous m’ont dit qu’ils n’avaient jamais goûté un produit comme celui-ci. C’est à partir de ce moment-là que j’ai eu la volonté de me lancer dans la fabrication de sauce poisson au pays de la sauce poisson.

 

La sauce poisson préparée par Benoît Chaigneau
La sauce poisson préparée par Benoît Chaigneau


LPJ : Quel a été votre lien avec la France par la suite ? Comment a continué cette aventure pour vous ?

BC : Dès que j’ai pu rentrer en France, je l’ai évidemment fait pour retrouver ma famille. Mais dès lors il a été impossible pour moi de retrouver du travail dans les médias, sous plein de prétextes différents. J’ai donc laissé derrière moi cette partie-là de ma vie pour me concentrer sur la fabrication de sauce poisson, encouragé d’ailleurs par mes enfants.

Je suis donc revenu au Vietnam afin de créer mon entreprise qui s’appelle Chuben (ce qui signifie Oncle Ben) et j’ai commencé à fabriquer mon Nuoc Mam. Le procédé est assez long : 15 mois de fermentation et 6 à 8 mois d’infusion avec des épices. Au départ, je faisais ma propre sauce poisson depuis chez moi, de la confection jusqu’à la mise en bouteille en passant par le design des étiquettes. Je n’ai évidemment pas pu en vivre tout de suite et je travaillais à côté en tant que directeur de restaurant à Hoi An, tout en continuant à développer mon projet de sauce poisson.

De fil en aiguille j’ai pu trouver des clients parmi les chefs français, dont certains sont étoilés (dont Alain Ducasse ou encore le Chef de la Tour Eiffel) et qui ont également confirmé la qualité de ma sauce, ce qui m’a conforté dans l’idée que j’avais créé un produit de qualité, presque d’exception.

Après avoir lancé une campagne de crowdfunding, j’ai pu réunir assez d’argent pour développer mon entreprise. En parallèle, j’ai pu passer dans une émission de la télévision vietnamienne, ce qui m’a permis de bénéficier d’une communication assez importante au niveau national et d’élargir mon carnet de contacts pour trouver des investisseurs. Ainsi, le projet est aujourd’hui dans sa troisième phase.

 
LPJ : Quelles sont aujourd’hui vos activités au Vietnam et avez-vous des projets pour le futur ?
 
BC : Je suis actuellement en train d’ouvrir une boutique/restaurant à Hoi An nommé Mam House, ainsi qu’une usine afin d’assurer la production de sauce et de pouvoir l’exporter. Jusqu’alors mes seuls clients étaient des restaurateurs donc j’ai souhaité me diversifier en ouvrant cet établissement dans lequel sont organisées des dégustations afin de faire découvrir ma sauce poisson aux nombreux touristes, mais aussi aux locaux.

 

Le restaurant Mam House
Le restaurant Mam House


Je compte également distribuer la sauce Chuben sur l’ensemble du Vietnam, mais également en Thaïlande, à Singapour et en Corée du Sud où la demande est assez forte. Mon ambition finale est de devenir le leader mondial dans le domaine et d’être certifié comme la meilleure sauce poisson au monde. De nouveaux produits sont également en préparation, notamment la sauce poisson en spray ainsi que des Banh Mi sucrés ou encore des Banh Mi à la soupe Pho. Le but est de reprendre des éléments traditionnels de la cuisine vietnamienne en y ajoutant un petit twist.

Nous développons également notre activité sur les réseaux sociaux, notamment instagram : @chu_ben_original, @mam.house.hoian, @chuben.fishsauce et @chuben.banhmi où vous pouvez nous retrouver.

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