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Le saviez-vous : l'Inde est à l'origine du tissu provençal

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@villa-rosemaine
Écrit par Isabelle Bonsignour
Publié le 23 décembre 2020, mis à jour le 19 décembre 2023

De tous temps, Marseille a tenu une position commerciale en France et en Europe. A partir du XVIème siècle, son port constitue un des points d'arrivée des marchandises en provenance d’Orient et d’Asie, mais aussi un centre de distribution de ces marchandises en Europe. C’est ainsi que le coton sous toutes ses formes (ballots à filer et toiles brutes et imprimées) fait son apparition en France et en Europe et les cotonnades imprimées aux couleurs éclatantes que l’on appelle alors les indiennes deviennent un objet de convoitise. Suite à une pénurie des arrivages de cotonnades, la ville de Marseille se lance alors dans la production locale de ces tissus imprimés.

 

Isabelle Corréard, de l’association Duppata, nous raconte comment les Marseillais acquièrent les compétences pour produire les cotonnades indiennes qui sont à l'origine du tissu provençal.


Les cotonnades indiennes et le tissu provençal

L’histoire de l’impression textile commence en Inde. Les artisans indiens ont mis en effet des milliers d’années à inventer des techniques ingénieuses permettant de fixer des teintes éclatantes sur le coton, utilisant des formules chimiques complexes que la science moderne n’est toujours pas parvenue à élucider complètement. Un des centres anciens des techniques d’impression sur tissu est Machilipatnam, ville portuaire et centre de production textile situé sur la côte sud-est de l’Inde dans l’Etat de l'Andhra-Pradesh.

Mon tailleur m’a dit que les gens de qualité portaient le matin une robe de chambre en indienne (…) 

Mr Jourdain dans Le bourgeois Gentilhomme de Molière

 

De nos jours, le terme "indienne" évoque plutôt des cotonnades bon marché ou des motifs floraux recherchés, mais, du XVIème siècle au début du XIXème siècle, l’indienne est un tissu de luxe aux couleurs et aux motifs inédits. Ces indiennes sont exportées par terre et par mer vers l’Asie et l’Afrique depuis au moins le Moyen Âge, puis ensuite vers l’Europe qui ne représentait qu’un petit marché. Selon des spécialistes, depuis au moins le VIIIème siècle de notre ère, l’Afrique et l’Asie, notamment, l’Égypte, la Thaïlande, l’Iran, le Japon et l’Indonésie, recherchaient avec avidité les cotonnades indiennes et ont, de ce fait, influencé les répertoires de motifs des artisans indiens. 

 

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Indienne "Le Grand Corail", musée du textile de Wesserling, Alsace, France

 

L’impression des motifs des tissus provençaux est faite avec la même technique que les “indiennes” : on grave un motif sur une planche de bois et on applique la planche de bois dont la face gravée a été trempée dans de la teinture sur la toile préalablement préparée. Le tissu est ensuite lavé, séché et préparé pour la couleur et le motif suivant. Les dessins sont pour certains inspirés des motifs orientaux comme la palmette ou boteh en hindi que l’on appelle souvent impression cachemire en France et “qui font dire aux Français que les Indiens ont copié le dessin provençal,” confie Isabelle Corréard.

 

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Indienneur imprimant un tissu à la main



L’histoire de l’indiennage est intimement liée à celle du matelassage et de la broderie au boutis. Selon un spécialiste des tissus anciens, Serge Liagre, chaque fois que l’indienne est apparue dans une culture, elle a toujours été associée au travail de piqûre et de matelassage, que ce soit en Inde, en Perse, en Angleterre avec les quilts, ou en France avec la broderie de Marseille. En Provence, les cotonnades indiennes furent utilisées pour réaliser le boutis, un assemblage de deux toiles de coton maintenues entre elles par des broderies formant des motifs. Le jupon en boutis devint rapidement incontournable, ce vêtement, réservé à la noblesse, se démocratisa et toutes les jeunes Provençales, tant en ville qu'à la campagne, le mirent dans leur trousseau de mariage. 


 

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Jupon piqué en coton d'indienne du XVIIIème siècle au musée d'histoire de Marseille- Wikipedia @Rvalette

 

Une autre tradition prit racine, celle du pétassou en boutis destiné au nouveau-né. Cette pièce carrée avait pour fonction de protéger les vêtements de la personne qui portait le bébé. Le pétassou ressemble beaucoup aux couvertures indiennes pour nouveaux-nés brodées selon la technique du Kantha avec des restes de tissus de saris ou dhotis.


 

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Couverture de nouveau-né en "broderie Kantha"



A l’origine, Marseille est un des centres du commerce des cotonnades indiennes

Dès le XVIème siècle, les navires chargés des produits arrivant d’Orient et d’Asie accostent à Marseille et y déchargent leurs marchandises qui sont ensuite acheminées dans le pays et en Europe. Contrairement à Lorient qui est le port d'arrivée de la route maritime faisant le tour du continent africain, Marseille est le point d'arrivée de la route semi-terrestre en provenance d’Inde et de Chine : les cargaisons sont acheminées par la route jusqu’en Turquie et traversent ensuite la mer Méditerranée pour rejoindre la France. En chemin, les convois chargent des produits des régions traversées (Isffahan, Diyarbakir, Constantinople, Smyrne et Alep) comme les toiles imprimées de Diyarbakir en Turquie. 

 

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Cotonnade de Diyarbakir - @villa-rosemaine

 

Le coton est importé d’Inde et d’Asie sous sa forme brute de ballots à filer, mais aussi sous la forme de toiles brutes et de tissus imprimés. Ce sont ces derniers qui sont appelés à l'époque les cotonnades indiennes ou même les “indiennes”. “Le coton, auparavant inconnu, est très prisé en Provence pour sa légèreté et sa fraîcheur et les cotonnades indiennes aux couleurs vives sont appréciées,” affirme Isabelle Corréard. "Avant son importation, les vêtements étaient faits de lin, de chanvre ou de laine chez les pauvres et de soie chez les plus aisés," précise-t-elle.

 

Cependant, au milieu du XVIIième siècle, différents événements et notamment l'épidémie de peste entraînent une pénurie des cotonnades indiennes et des teintures en provenance des comptoirs français en Inde et en Asie. “On racontait à l'époque que la peste était transportée d’Asie en Europe dans les ballots de coton,” confie Isabelle Corréard. “C’est un gros souci pour les négociants marseillais qui voient leur chiffre d’affaires s'écrouler,” ajoute-t-elle.


Marseille se lance sans grand succès dans la production des indiennes

Les Marseillais décident de tenter de produire eux-mêmes les tissus imprimés qui se vendent si bien en Provence, mais aussi dans tout le pays et en Europe. La ville dispose des compétences artisanales de deux corps de métier qui sont capables de préparer les outils nécessaires à l’impression des motifs : 

  • les cartiers, qui fabriquent les cartes à jouer à partir de tampons et qui maîtrisent l'impression des motifs,
  • les graveurs sur bois, qui produisent les tampons de bois utilisés par les cartiers.


 

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Affiche publicitaire des établissements Camoin fabricant de cartes à jouer vers 1880 - Wikipédia @Rvalette

 

La production démarre au milieu du XVIIème siècle, mais les artisans ne parviennent pas à produire des cotonnades de la qualité des indiennes : les couleurs ne tiennent pas et se fanent très rapidement au soleil de la Provence. “Ils leur manquent les compétences des artisans orientaux en matière de préparation du tissu, d’utilisation des teintures et surtout du mordançage qui permet de fixer les couleurs,” explique Isabelle Corréard.


 

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Tampons utilisés pour l’impression des motifs block print dans le Rajasthan @Swapnil.Karambelkar

 

Grâce aux Arméniens, la qualité est enfin au rendez-vous

Dans le monde du XVIIème siècle, les Arméniens sont reconnus pour leurs compétences en matière de préparation des tissus, d’application des teintures et d’utilisation des techniques de lavage/séchage qu’ils ont apprises des artisans indiens.

 

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Colbert, alors contrôleur général des finances du royaume sous Louis XIV, donne le statut de port franc à Marseille et permet ainsi à la ville de pratiquer importations et exportations sans taxes. D’autre part, dans un objectif de développer la fabrication des soieries et des lainages qui sont une des spécialités de la France, il fait venir des artisans arméniens à Marseille et demande à la ville de les intégrer en échange de leurs compétences en matière d’impression sur tissu. Originellement, les Arméniens devaient former les Marseillais dans l’impression de la soie, mais les artisans marseillais se sont servis de ces techniques pour l’impression sur la toile de coton et la production locale de cotonnades indiennes atteint la qualité requise.

 

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Détail de la doublure d’un caraco - @villa-rosemaine

 

La France interdit la vente et l’utilisation des “indiennes”

Cependant, face à l’engouement pour les cotonnades indiennes, les fabricants de soierie et lainages font pression sur le royaume pour sauvegarder leurs parts de marché et obtiennent en 1686 l’interdiction de vendre et de porter des cotonnades indiennes en France. Cette interdiction restera en place jusqu’en 1759. Les négociants marseillais contournent alors la loi en écoulant la production d’indiennes en Europe. La contrebande s’installe. 

 

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Détail d’un foulard provençal avec motif cachemire - @villa-rosemaine

 

Mais, les Marseillais obtiennent une dérogation pour l'utilisation du coton sous la forme de tissus d’ameublement à la condition qu’ils soient blancs et fabriqués à Marseille. C’est le développement du “piqué marseillais”, assemblage de deux épaisseurs de coton et d’une épaisseur de ouate maintenues ensemble par des piqûres au point droit classique puis du “boutis provençal”, une technique de broderie en relief. “Certains spécialistes textiles considèrent alors que cette technique provient aussi de l’Inde,” raconte Isabelle Corréard.


 

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Vers 1790, Manufacture provençale, jupe piquée en indienne - @ villa-rosemaine

 

Marseille exporte en Europe les tissus en piqué marseillais et boutis provençal. 

Cependant, la production de cotonnades indiennes ne se limita pas à la région de Marseille. Après l’interdiction de fabrication de 1686, certains producteurs se déplacèrent en Suisse puis vers l’Alsace et enfin en région parisienne à Jouy en Josas (toile de Jouy) et la fabrication d’indiennes se répandit en France et en Suisse.

 

En France, plusieurs musées du textile présentent des collections d’indiennes dont celui de Mulhouse ou celui de la toile de Jouy à Jouy en Josas. Une liste exhaustive des musées dans lesquels on peut voir des cotonnades indiennes anciennes est disponible sur le site de collectionneurs de textiles anciens : villa-rosemaine. (La plupart des photos de cet article sont extraites du très beau catalogue de l'exposition Indiennes sublimes organisée par la villa-rosemaine.)

 

Objet de luxe au XVII et XVIIIème siècles, le tissu provençal est devenu plutôt aujourd’hui un objet souvenir rapporté par les touristes. “La version traditionnelle est encore produite par deux sociétés, Souleiado et Olivades, mais ce sont quand même des produits de luxe,” avoue Isabelle Corréard. 

 

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Pour en savoir plus sur les indiennes, écouter l'émission de France Culture, Histoire du textile : Épisode 3 : L'importation et la consommation des indiennes en France du XVII au XIXe (à partir de la 9ème minute).

 

 


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