

Les deux dernières années ont été vendus chez Sotheby’s deux portraits inédits de Roxelane, réalisés en Italie au XVIe siècle. En effet, tant de peintures censées représenter la célèbre sultane ont été confectionnées, qu’on en découvre parfois de nouvelles, venues de collections privées.
Roxelane n’a jamais posé pour aucun peintre
Mais que l’on ne s’y trompe pas : aucun portrait de Roxelane n’a été fait d’après nature car elle n’a jamais posé pour aucun peintre ! Même si certains tableaux s’inspirent des descriptions de la sultane données par des ambassadeurs ou espions vénitiens, tous sont le fruit de l’imagination des artistes, la plupart des Italiens de la Renaissance. C’est pourquoi ils présentent des différences notables, aussi bien dans les traits que la couleur des cheveux. Roxelane était-elle blonde, brune ou rousse ? Bien que l’on s’accorde généralement à dire que la souveraine était rousse, ses deux portraits les plus célèbres, portant l’expression "Rossa Solymanni uxor", la représentent comme une brune aux yeux noirs !

Les deux portraits les plus connus de Roxelane
Une femme devenue un mythe de son vivant
Quels sont donc les éléments qui ont élevé Roxelane au rang de véritable mythe ? Sans doute sa personnalité énigmatique et controversée, symbolisée par la multitude des prénoms employés pour la désigner : "Alexandra, Hürrem, Rossa, Roxelane"… L’appellation de Roxelane par laquelle la désignent les Européens viendrait des surnoms donnés par les ambassadeurs, "la rossa", signifiant soit "la Russe", soit "la rousse" soit "la Ruthène"…


En réalité, on ne dispose que de très peu d’éléments fiables sur sa biographie, qui semble avoir été réécrite, voire falsifiée au cours des siècles. La tradition affirme qu’elle se nommait Alexandra Lisovska et qu’elle était la fille d’un prêtre de Rohatyn, aujourd’hui en Ukraine. Elle aurait été enlevée par des trafiquants d’esclaves et vendue au Khan de Crimée, qui l’aurait offerte à Soliman pour son harem. Rebaptisée "Hürrem", soit "la rieuse", elle parvint à évincer la sultane régnante Mahidevran, mère du prince héritier Mustafa et devint, vers 1521, la favorite exclusive du sultan Soliman, qui l’immortalisa dans d’ardents poèmes d’amour :
Ma femme aux beaux cheveux, aux sourcils arqués, aux yeux resplendissants et guerriers, je suis malade de toi !
Si je meurs, ton cou sera mon meurtrier, parce que tu es rentrée dans mon sang comme une torture, secours-moi, oh, ma belle chérie qui n’est pas musulmane…
Roxelane, le visage féminin du pouvoir
C’est ensuite sa fulgurante ascension au sein du palais qui fascina les contemporains puisqu’elle régna en maîtresse sur le cœur du plus célèbre souverain de l’Empire ottoman et réussit à éliminer tous ses opposants. Elle parvint, en effet, à se faire affranchir puis épouser officiellement. Pourtant, la succession ottomane étant patrilinéaire, l’identité de la mère importait peu, et, en dehors de quelques mariages dynastiques, les sultans préféraient généralement, pour préserver l’autocratie, le concubinage avec des esclaves, plutôt que le mariage avec des princesses potentiellement soutenues par une puissante famille. La nouvelle de ce mariage stupéfia toutes les cours étrangères.


La rumeur lui prête aussi de diaboliques intrigues. C’est elle qui aurait convaincu Soliman de faire assassiner son ami, le vizir Ibrahim Pacha, et surtout son fils aîné, le prince héritier Mustafa, injustement accusé de complot, ainsi que le fils de ce dernier, pour préparer l’accession au trône de ses propres enfants. De Hammer, dans son Histoire de l’Empire ottoman, précise qu’elle joua le rôle d’éminence grise, en devenant la conseillère du sultan jusqu’à sa mort en 1558, date après laquelle cette fonction fut assumée par sa fille Mihrimah. On peut noter qu’au fur et à mesure que la renommée de la sultane s’accroit, ses représentations cherchent de plus en plus à la transformer en allégorie du pouvoir. L’un des portraits vendus chez Sotheby’s la montre avec une coiffe démesurée qui semble constituer le pendant des gigantesques turbans de Soliman ou de la fameuse couronne à quatre étages qu’il se fit confectionner pour rivaliser avec les cours européennes. L’autre la peint dans une pose assez virile, la main à la ceinture, qui n’est pas sans évoquer le tableau du célèbre amiral Barbaros Hayrettin Pacha. A ce titre, elle incarne la face féminine de l’absolutisme.


Roxelane, source d’inspiration pour les écrivains et les artistes
Sa personnalité hors du commun en fit une source d’inspiration pour une multitude d’écrivains et d’artistes, bien au-delà de son époque. Par exemple, au XXe siècle, l’écrivain turcophile Claude Farrère lui consacra une tragédie en vers. Quant à ses multiples portraits, qui ornèrent les murs des palais européens, ils témoignent de la fascination exercée par le fabuleux destin de "l’esclave devenue sultane", qui réussit l’exploit de conserver son emprise sur le sultan pendant trente-sept ans, en dépit des trois-cents rivales potentielles -voire plus- guettant leur heure dans l’ombre du harem...