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"Guerre et pluie", un roman de Velibor Colic

Dans son dernier roman "Guerre et pluie" l´écrivain bosniaque naturalisé français Velibor Colic évoque, en concomitance avec une étrange maladie dont il pâtit, son enrôlement, à l´âge de vingt-huit ans, dans l´armée croate-bosniaque lors de l´agression de la Bosnie par l´armée fédérale ex-yougoslave. Récit à la fois halluciné et drolatique, l´auteur décrit un univers où aucune loi n´existe et dont il a déserté au bout de quelques mois. Un livre où résonne effroyablement l´écho de la guerre en Ukraine.

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©Velibor Colic

Velibor Colic

Velibor Colic, qui fêtera en juin son soixantième anniversaire, est né dans une petite ville de Bosnie. Après avoir suivi des études de littérature à Belgrade et à Zagreb, il a travaillé dans une radio régionale où il s´occupait des rubriques de rock et de jazz. Lors de la guerre, il a perdu sa maison et ses manuscrits. Enrôlé dans l´armée croate-bosniaque lors de l´agression de la Bosnie par l´armée fédérale ex-yougoslave, il a déserté en mai 1992, mais ensuite il fut fait prisonnier. Parvenant néanmoins à s´échapper, il a pu rejoindre la France au mois d´août 1992.   

Accueilli par le Parlement des écrivains à Strasbourg, il s´est par la suite installé en Bretagne où il a animé des ateliers d´écriture dans les collèges de la région. Après avoir publié quelques livres dans sa langue maternelle, le serbo-croate, il a commencé en 2008 à écrire directement en français. Sarajevo omnibus, Manuel d´exil ou Le livre des départs comptent parmi ses principaux romans.  En ce moment, il vit à Bruxelles.


Guerre et pluie, un roman ambitieux

Guerre et pluie, paru en février chez Gallimard, est un des livres peut-être les plus ambitieux et sans doute un des plus réussis de l´auteur.  Le roman est divisé en trois parties : La maladie (Bruxelles, 2021/2023) ; Le soldat (Bosnie-Herzégovine, hiver-printemps 1992) et Le déserteur (France, été- automne 1992).  

Dans la première partie, on suit les soucis du narrateur aux prises avec un groupe de maladies rares de la peau d´origine auto-immune : Pemphigus vulgaris. Ces maladies sont caractérisées par la formation de vésicules flasques et par des érosions des muqueuses, affectant principalement la région buccale, s´étendant parfois à l´épiderme. Sa souffrance est l´occasion pour l´auteur de dresser une comparaison, non exempte d´humour, entre la maladie et la guerre : « La maladie ressemble à la guerre, c´est une violence brutale et injuste. Au moment où elle nous arrive, curieusement, le monde qui nous entoure devient plus clair. Le mal nous décentralise et nous place au bon endroit dans le monde. La maladie est une leçon parfaite. Personne ne peut l´éviter. Elle arrive tôt ou tard, pour tout le monde. Plusieurs études montrent que la mortalité des vivants s´élève à 100% ».    

Dans la deuxième partie, l´auteur se livre à une description de la guerre, doublée en quelque sorte d´une méditation sur ce qui entoure la guerre elle-même : la violence, l´alcoolisme, l´épouvante où sombrent les hommes. À mesure que la guerre progresse, le narrateur a le sentiment de devenir un chien et il commence à sentir de nouvelles odeurs, des odeurs de putréfaction, la Camarde rôde et guette les soldats partout où ils se trouvent : « Un tout nouveau monde s´ouvre à moi. La puanteur. Contrairement aux apparences, maintenant je le sais, la mort n´a pas le temps. La mort se précipite pour tout dévorer. Et cette guerre n´est qu´une conséquence de sa digestion. Sa merde ».  

Une des façons d´éluder la tristesse, la solitude ou l´effroi est peut-être l´alcool. Au moins peut-on avoir l´impression que l´on rêve, que la guerre n´est rien d´autre qu´un éternel cauchemar : « La guerre est une beuverie macabre (…) Toute cette colère et ce bruit, ces bombes, cette boue, ce sang, cette puanteur et ces uniformes. Impossible de supporter tout cela en restant sobre. La lucidité est invivable. La peur aussi. Plus que la mort. L´anéantissement est toujours abstrait pour l´homme. Une nuit, je rêve qu´une explosion m´a fait sauter les poings. Dans mon rêve, je me tiens impuissant devant le camion militaire censé nous éloigner de la guerre. D´autres soldats peuvent escalader les petites échelles et sauter dans le camion sans aucun problème. Je suis là, terrifié. L´invalide perdu ».

Au petit matin du 27 juillet 1992, il déserte, c´est la troisième et dernière partie du roman. Il parcourt des villes détruites, il voit partout des carcasses d´animaux - « la guerre est aussi une grande poubelle », dit-il-, mais il y a également la beauté du monde qui, celle-là, est malgré tout intacte. La laideur et la putréfaction ne sont pourtant jamais absentes. Il sait aussi que les livres de guerre ne parlent que d´héroïsme et de lâcheté, de mort et de vie, de généraux et de batailles, mais très rarement de la tristesse des choses laissées derrière, des petits riens du quotidien qui tous ensemble font le bonheur des gens.  Il est pris et enfermé avec trois mille autres hommes dans un stade. La peur se lit sur tous les yeux. Il parvient quand même à s´enfuir puisque, de son aveu même, le courage consiste simplement à abandonner la peur.

En août, il arrive en France et une nouvelle vie l´attend. La littérature est sans doute une folie, mais elle peut contribuer à exorciser les démons alors que la guerre est une folie d´où l´espoir est souvent absent puisque, comme on peut lire quelque part dans le roman, la défaite n´est pas seulement sur le champ de bataille, la défaite est la disparition complète et totale de l´humanité. Et peut-être encore plus chez les vainqueurs que chez les vaincus…

Velibor Colic, Guerre et pluie, éditions Gallimard, Paris, février 2024.  

 

Publié le 23 mai 2024, mis à jour le 23 mai 2024

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