Tous les livres de Guillaume Sire ont fait l´objet de commentaires fort élogieux. Certains romans comme "Avant la longue flamme rouge" ou "Les Contreforts" ont reçu des prix littéraires. Son dernier roman, paru lors de cette rentrée, fut sélectionné pour le prix Littéraire du "Monde". "Les grandes patries étranges" est une fresque baroque qui nous entraîne de la Première à la Seconde Guerre mondiale et nous raconte une histoire d´amour impossible entre un homme que tout blesse et une femme que rien n´atteint.
Guillaume Sire
Chercheur à Toulouse -ville où il est né le 27 juin 1985 -, Guillaume Sire, outre l´enseignement et les sciences de l´information et de la communication, domaine où il a soutenu un doctorat en 2013, a une autre grande passion : la littérature, bien sûr. Il tient d´ailleurs un blog où il écrit régulièrement intitulé Ce qu´il reste des brumes. Tous ses romans sont portés par un souffle romanesque épique et baroque. Ses personnages sont courageux et débordants de panache, comme nous l´a rappelé Raphaëlle Leyris dans sa recension publiée début septembre au Monde dans le cadre de la présentation des livres sélectionnés pour le prix littéraire que le prestigieux quotidien parisien décerne annuellement depuis 2013 et qui a couronné cette année L´Agrafe de Maryline Desbiolles (Sabine Wespieser éditeur). Le nouveau roman de Guillaume Sire, Les grandes parties étranges (éditions Calmann- Levy), fut donc un des onze livres sélectionnés et à juste titre étant donné qu´il compte, sans l´ombre d´un doute, parmi les meilleurs romans français de cette rentrée littéraire.
Les grandes parties étranges : une fresque baroque
Le roman Les grandes parties étranges raconte l´histoire de Joseph Portedor (nom suggestif) et de la folle passion qui l´anime pendant toute sa vie. Au début, Joseph emménage avec sa mère Thérèse sur l´île de Tounis, à Toulouse, après que son père, Emmanuel Portedor, fut tombé au champ d´honneur lors de la Première Guerre Mondiale. On se rend compte assez tôt que le garçon est d´une sensibilité extrême. D´une pression de la main, il peut deviner une grossesse, un cœur qui s´épuise, la composition d´un objet, son histoire. On se passe le mot et pendant quelque temps il consulte le samedi dans un bordel, appelé «La Chapelle», où sa mère fait le ménage, un bordel tenu par une femme surnommée «La Cardinale», une maquerelle espagnole à qui nul n´avait jamais connu d´autre nom. La Cardinale embauche Thérèse pour un salaire trois fois supérieur à celui qu´elle toucherait partout ailleurs pour le même genre de travail. Thérèse l´en remercie, mais la maquerelle lui répond : « Dans un bordel, on ne remercie pas ». La Cardinale est donc un personnage haut en couleur comme tant d´autres personnages du roman dont le père André, un curé pas comme les autres. Ancien joueur de rugby, le père André avait fait la guerre deux ans, puis avait été réformé après un coup de baïonnette à la carotide. C´était lui qui avait proposé à La Cardinale les services de Thérèse comme femme de ménage. Le curé et la maquerelle ne s´étaient rencontrés ni à l´église, ni au bordel, mais lors de réunions à la chandelle, dans des caves au milieu des livres et des armes, en compagnie d´ouvriers, de professeurs et d´artistes.
Pour en revenir à Joseph, sa vie va changer radicalement le jour où il connaît sa voisine du dessous Anima Halbron, qui a trois ans de plus que lui, et qui est une juive attristée par la mort de son frère Gabriel, emporté par la maladie. Elle a des oreilles de lutin et une langue venimeuse. Son père, Igor, un pianiste, lui a appris à jouer Schumann. Le piano est d´ailleurs pour toute la famille un objet de pure vénération. Au moment de hisser le quart-de-queue dans la cage d´escalier, Igor hurle sur les déménageurs : « Un piano, c´est un peuple, ça se cogne pas aux murs, un peuple ! ». Joseph est sidéré par la figure d´Anima : « Une silhouette s´esquissa sur le bois rouge. Les angles sur la gorge de Joseph fondirent. La fille était là : sa peau blanche, son duvet sur le bord des lèvres. Son sourire lui dessinait des couteaux sous les mâchoires. Des pupilles ovales accentuaient l´aspect oriental de son visage et donnaient à son regard une signature virile, presque une forme de vieillesse, contrebalancée par le cuivre des cheveux, la pointe elfique des oreilles, la porcelaine des joues ». Joseph sent dans son cerveau une secousse, puis des crépitements : « Tout à coup, il voulait être avec cette fille. Il voulait la serrer dans ses bras. Rien d´autre. Il voulait la suivre partout. Fondre en elle. Devenir sa peau. Devenir son ventre. Une vague brûlante le submergea, et il perdit connaissance ». Quand il revient à lui, sa mère lui conseille de se méfier de cette fille pour le simple fait qu´elle est juive. L´antisémitisme, on le sait, est malheureusement ancré dans les esprits…Pourtant, Joseph n´en a cure, il veut la suivre partout, il fera tout ce qu´elle voudra, il la protégera coûte que coûte, quoi qu´il arrive. Les années passent, la Seconde Guerre mondiale éclate, la vie è eux deux va basculer…
C´est la première fois que l´auteur situe l´action d´un roman à Toulouse, la ville où il a grandi. Dans une interview récente, Guillaume Sire s´est exprimé sur la genèse de ses romans : « Chaque fois que j´écris un roman, il se passe dans un lieu et une époque différents. Mon but n´est pas forcément de faire des romans historiques, mais d´épuiser un espace-temps en me disant dans l´écriture que je n´y retournerai jamais ». Ce roman, c´était aussi l´occasion pour lui d´écrire une histoire d´amour -ce qu´il n´avait jamais fait-, mais d´un amour dépouillé de tous les masques qu´on lui a donnés au dix-neuvième siècle quand on croyait que l´amour allait sauver le monde et qu´on désespérait ensuite de le voir manquer à ce dessein. Au vingtième siècle, on n´avait plus l´espoir magique en l´amour, mais on le prononçait quand même tel qu´il était, sans oripeaux.
Les grandes parties étranges est donc une énorme fresque baroque et, comme on nous l´annonce dans la quatrième de couverture, l´histoire d´un amour impossible entre un homme que tout blesse et une femme que rien n´atteint.
Guillaume Sire, Les grandes parties étranges, éditions Calmann-Lévy, Paris, août 2024.