Souvenez-vous : le sujet épineux des pêcheurs demeurait un point de non-retour crucial dans la tenue des négociations du Brexit. De la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, en passant par la signature in extremis du deal en décembre 2020, jusqu’à aujourd’hui encore, jamais les eaux territoriales françaises et britanniques n’auront été si agitées.
Le conflit autour de la pêche : symbole de tensions exacerbées
Au commencement des négociations post-Brexit, Theresa May avait voulu s’affranchir des régulations préexistantes, dans le but de procurer un accès unilatéral des pêcheurs britanniques aux eaux de Sa Majesté. Pas question pour les pêcheurs français de se faire dérober leur accès historique, en place depuis des siècles et pour lequel ils n’avaient jusque lors qu’à s’adresser directement à la Normandie et à la Manche. L’Union Européenne avait donc ardemment fait valoir le droit de ses pêcheurs jusqu’à l’obtention d’un accès maintenu régulé via l’île de Jersey par Downing Street.
L’accord et les problèmes liés à son application
L’accord s’est matérialisé par de longues pages, tout en technicité, censées statuer du sort des pêcheurs européens et britanniques. Dès lors, les pêcheurs français du Nord étaient supposés conserver un accès pérenne aux eaux britanniques, sous la régulation désormais des autorités britanniques de l’île de Jersey : de quoi garantir la bonne entente entre les deux Etats. Problème étant : les licences de pêche assujetties à cet accord ne seraient distribuées qu’au compte-goutte auprès des chalutiers de l’hexagone. Car, condition sine qua non à l’obtention de cet accès aux eaux en question, les pêcheurs doivent démontrer qu’ils y opéraient déjà en amont du Brexit. Or c’est un élément qui, matériellement, avance le camp français, reste très difficilement prouvable auprès des autorités concernées, pour les navires non soumis au système de surveillance maritime par satellite.
Le non-respect de l’accord selon la ministre française
Le Royaume-Uni est accusé de ralentir voire de freiner concrètement l’obtention des licences désormais nécessaires à la poursuite de l’activité maritime française dans les eaux anglo-normandes. Se sont succédées rapidement les protestations des pêcheurs et désormais la contestation ministérielle, s’accompagnant d’un tour de force dans la mise en cause de l’application du Brexit deal. Le 5 mai, la Ministre de la Mer, Annick Girardin, en est venue à promettre une cessation de l’alimentation électrique de l’Île de Jersey (dépendant d’EDF à hauteur de près de 95%), si les pêcheurs français ne retrouvaient pas leurs droits initiaux.
Une menace, donc, de l’exécutif français qui avait promis d’être intraitable sur ce point de discorde : pas de coupure de courant, si et seulement si l’application du deal venait à évoluer dans le sens convenu. Mais, par delà la fermeté affichée par leur gouvernement, les pêcheurs français se retrouvent confrontés à la difficulté de taille évoquée précédemment. Les pêcheurs clament qu’ils n’étaient en aucun cas informés des modalités d’obtention des licences, et par dessus tout qu’ils ne disposent pas des moyens nécessaires pour justifier de l’antériorité de leurs activités dans cette zone.
Le ministre des Affaires étrangères de Jersey juge la menace française « disproportionnée »
Ian Gorst, Ministre des Affaires étrangères de Jersey, avance qu’il est question d’une méprise concernant les tenants et aboutissants de l’accord. Il explique qu’il n’y a aucune volonté britannique de ne pas délivrer les licences autorisant les pêcheurs à récolter des prises dans les eaux britanniques, et qu’elles seront délivrées dès lors que les preuves d’installation préalable seront apportées. En signe de protestation, les pêcheurs français avaient bloqué l’acheminement des prises britanniques le mois dernier, jugeant sournois un tel retournement de situation.
Là encore, Ian Gorst n’admet aucun retournement de situation, défendant que l’apport de cette preuve par les pêcheurs qu’ils y étaient déjà établis a toujours fait partie intégrante, selon lui, des clauses de l’accord. Il ne s’agirait donc en rien d’un élément nouveau du problème, ce qui justifie d’autant moins une potentielle coupure de courant sur l’île. Il rappelle enfin que ce n’est ni la France, ni le Jersey qui se sont entendus sur cet accord, mais bien l’Union Européenne et le gouvernement de Boris Johnson, dédouanant ainsi les pêcheurs qui souffrent de ces tensions.
Pêcheurs anglais et français : tous victimes
Les pêcheurs britanniques ont clairement le sentiment d’avoir été trahis, voire ‘troqués’ par cet accord de dernière minute, tandis que les pêcheurs français désespèrent de se voir refuser certaines licences, face à ce qui est perçu comme un refus britannique délibéré de respecter l’accord prévu. Le tout, sur fond de dommages collatéraux lié à un accord, constitué lui-même en son sein, de désaccords gouvernementaux.