Des membres de la génération Windrush, qui ont été considérés comme des migrants illégaux à tort, ont décidé d’attaquer le ministère de l’Intérieur britannique en justice. En cause, des procédures d’indemnisation trop longues et opaques.
Qui est la génération Windrush ?
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Royaume-Uni sort victorieux mais pas indemne. De nombreuses villes ont été partiellement détruites par les bombardements et le pays manque de main-d'œuvre pour se reconstruire. C’est à ce moment que celle qu’on appelle aujourd’hui la Génération Windrush débarque sur l’archipel.
En 1948, le navire Empire Windrush quitte les Antilles britanniques pour le Royaume-Uni. À son bord, de nombreux caribéens, ayant la nationalité anglaise grâce au Commonwealth, viennent y tenter leur chance. Ils souhaitent travailler pour reconstruire leur pays d’adoption et aspirent à une meilleure qualité de vie. Le terme Windrush Generation devient alors un des symboles du multiculturalisme britannique et de sa politique migratoire. Il s’appliquera aux immigrants jusqu’en 1971, date à laquelle la détention d’un permis de travail ou des parents nés sur le sol britannique deviennent un pré-requis pour séjourner légalement sur le territoire.
Une vision cependant partielle et idéalisée de l’histoire de la génération Windrush. Et pour cause, une partie des descendants des premiers immigrés n’ont toujours pas de papiers britanniques officiels prouvant qu’ils résident légalement sur le territoire.
Cette irrégularité de séjour concerne des centaines de milliers de personnes et se trouve au cœur d’une controverse qui a éclaté en 2018. À l’époque, la ministre de l’Intérieur britannique Amber Rudd souhaite introduire une mesure afin de vérifier le statut légal de toutes les personnes souhaitant avoir accès au NHS, voire même résider au Royaume-Uni. Des notes confidentielles avaient alors fuité, révélant que la politique migratoire visait en premier lieu la génération Windrush, en forte situation d’irrégularité. La Première Ministre de l’époque, Theresa May, avait finalement présenté des excuses publiques aux principaux représentants du Commonwealth.
Le scandale a refait surface en 2020 avec la publication d’un rapport indépendant dénonçant de graves erreurs de la part du ministère de l’intérieur. L’enquête accuse le gouvernement d’avoir, des années durant, menacé d’expulsion sans raison valable des centaines de ressortissants d’origine caribéenne. À ces derniers s’ajoutent des milliers de résidents du Royaume-Uni qui auraient été classés à tort comme des immigrants illégaux.
Suite à ces incidents, le gouvernement a lancé un programme afin de régulariser la situation et d’indemniser les familles de la génération Windrush. Les réparations sont supposées couvrir l’ensemble des pertes générées par l’impossibilité de démontrer leur statut légal d'immigration.
Cependant, un nouveau rapport publié en juillet 2021 révèle que les procédures de dédommagement sont trop longues, et que la structure chargée de traiter les demandes manque de personnel. L’enquête pointe, en somme, que le ministère à sous-estimé le travail nécessaire pour mener à bien son programme, ainsi que son manque de cohérence administrative. Dans un cercle vicieux opaque, le gouvernement demande à la génération Windrush de lui fournir des preuves de la légalité de sa situation, preuves qu’elle n’est pas en mesure de lui fournir, puisqu’elle ne possède pas ou peu de papiers officiels.
21 demandeurs sont morts avant d’avoir perçu l’indemnisation du gouvernement
The Guardian a rencontré des victimes qui ont engagé des poursuites judiciaires contre le ministère de l’Intérieur. Elles mettent en cause les retards prolongés dans l’octroi d’une indemnisation et demandent des éclaircissements sur la manière dont les procédures peuvent être accélérées. Sur les milliers de dossiers déposés depuis la mise en place du système, au moins 21 demandeurs sont morts avant d'avoir perçu l'indemnisation monétaire et morale qui leur était due.
Parmi les plaignants, Henry Vaughan, 67 ans. L’homme, qui a déposé son dossier il y a 10 mois, est en situation de grandes difficultés financières et vit dans un logement vétuste. Arrivé de Jamaïque en 1961 à l’âge de 7 ans pour rejoindre sa mère qui travaillait dans un hôpital londonien, il n’a pas jamais pu prouver qu’il se trouvait légalement sur le territoire britannique. Chez lui, le stress accumulé a déclenché de graves problèmes de santé, au point qu’il se considère aujourd’hui comme incapable de reconstruire sa vie après des années de problèmes causés par la décision erronée du gouvernement de le classer comme un immigrant illégal.
À l’heure actuelle, le temps de traitement moyen d’un dossier est de 434 jours à l’issue desquels une compensation financière est versée aux victimes. L’équipe juridique qui s’occupe du dossier déplore la longueur de tels délais face à la situation très précaire de certains demandeurs. Elle a par ailleurs découvert qu’il existe une procédure permettant d’accélérer le traitement des cas les plus urgents. Mais cette dernière est très floue et il n’existe pas d’informations publiques sur la manière dont on peut y accéder. Les plaignants demandent donc à ce qu’elle soit clarifiée pour que les personnes dans le besoin, notamment les personnes âgées et les handicapés, puissent facilement y accéder.
Un dispositif sur fond de racisme qui semble inadapté au problème qu’il est censé solutionner
La controverse Windrush dépasse la seule question du statut légal de ses membres, et déterre des problématiques plus globales à la société anglaise. L’an passé, Alexandra Ankrah, responsable du programme d'indemnisation, a démissionné. Elle a décrit le programme comme étant systématiquement raciste et inadapté à sa finalité. Suite à ces déclarations, le parti travailliste avait demandé que le système soit retiré au ministère de l'Intérieur et confié à un organisme indépendant.
Ramya Jaidev, le porte-parole du groupe Windrush Lives, s'est étonné de voir que Tom Greig, le haut fonctionnaire chargé du dossier Windrush, soit transféré au programme de réinstallation des Afghans. Il a expliqué qu’il aura « fallu des mois à Tom Greig pour se familiariser avec les problèmes que les victimes rencontrent et avec le système d’indemnisation » et que le programme était dorénavant « de retour à la case départ avec un nouveau fonctionnaire ».
Ses critiques vont encore plus loin puisque, pour lui, « le ministère de l'Intérieur n'a jamais eu l'intention d'indemniser rapidement et équitablement les victimes de Windrush, il saisit toutes les occasions qu'il peut pour mettre cette responsabilité de côté, parce qu'il ne se soucie pas fondamentalement des Noirs qui constituent la cohorte de Windrush ».
Le gouvernement se défend et montre des progrès dans la gestion du programme
L’Etat se défend toutefois de laisser le programme à l’abandon. Il a déclaré être attentif aux retours qui lui sont faits et tente d’y apporter des améliorations. Le porte-parole du ministère a affirmé que plus de 13 800 personnes avaient obtenu des documents confirmant leur statut d’immigrant ou leur citoyenneté britannique. Il a également ajouté que le gouvernement avait versé, pour l’heure, plus de 29 millions de livres sterling pour 889 demandes.
"La ministre de l'Intérieur [Priti Patel] est résolue à réparer les torts subis par toutes les personnes touchées par le scandale Windrush. En juillet, elle a apporté de nouvelles améliorations pour simplifier la procédure de demande, a annoncé de nouvelles mesures de soutien pour les personnes demandant une indemnisation au nom de parents décédés, et a supprimé la date de fin du programme - tout cela afin de garantir que chaque victime puisse recevoir l'indemnisation qu'elle mérite le plus rapidement possible."
Malgré les bons chiffres annoncés par le gouvernement, le Rapport de la Commission des comptes publics publié en juillet, rapporte que sur les 2 367 demandes soumises, seules 412 ont fait l'objet d'une décision finale et ont reçu une indemnisation alors que le processus est ouvert depuis deux ans.
Les enfants Windrush ont peur d’être oubliés avec la crise afghane
Malgré un gouvernement qui se veut rassurant, de nombreux demandeurs attendent toujours la compensation qui leur a été promise et certains craignent d'être "oubliés" par le gouvernement dans le contexte de la crise afghane. Les concernés sont préoccupés par l’ignorance dont fait preuve le ministère de l’Intérieur face à leur situation critique, prétextant être déjà trop pris par d’autres problématiques, dont l’accueil des afghans.
Ramya Jaidev, porte-parole du groupe Windrush Lives, a comparé la situation des descendants Windrush à celle des afghans et a pointé du doigt ce qu’il considère comme une hypocrisie gouvernementale. À ce sujet, il a affirmé que « les déclarations du ministère de l’Intérieur, selon lesquelles il fait tout ce qu'il peut pour les réfugiés afghans, tout en insistant sur le fait qu'ils doivent attendre dans une file d'attente - qui n'existe pas - pour entrer au Royaume-Uni légalement, rappellent les déclarations publiques des ministres de l'Intérieur successifs selon lesquelles le gouvernement fait tout ce qu'il peut pour aider les victimes Windrush, tout en exigeant les certificats de naissance de leurs parents afin de leur accorder une indemnisation ».
Pour le représentant, les deux sujets sont aussi importants à traiter l’un que l’autre et pourraient l’être simultanément si le gouvernement s’en donnait les moyens. L'évêque Desmond Jaddoo a pour sa part considéré qu’il était « juste que le gouvernement britannique prenne ses responsabilités » mais qu’il ne devait « pas négliger ses devoirs envers la génération Windrush ».
Des crises aux traitements très différents
Bien qu’elles traitent toutes deux d’un sujet commun -la nationalité- ces deux crises ne subissent pas le même traitement. Patrick Vernon, un militant de la campagne Windrush, a par exemple mis en exergue le fait qu’il n’y a toujours pas de commissaire aux migrants pour représenter les voix non entendues de la cohorte Windrush, alors que Mme Atkins a été nommée en quelques jours seulement à un nouveau poste de supervision de la réinstallation des Afghans sur le territoire britannique.
Il a également fait remarquer l’absence d’un processus de sélection et de vérification des réfugiés venant d’Afghanistan, alors que les Windrush ont eux été soumis à un contrôle des casiers judiciaires, au nom de «l’exigence de bonne moralité», mettant ainsi fin aux perspectives britanniques de nombreuses familles.
Patrick Vernon a terminé son intervention en déclarant à The Independent que « les membres de la génération Windrush ont vécu au Royaume-Uni pendant 50 ans sans papiers et certains restent encore dans l’ombre par crainte d’être persécutés par le ministère de l’Intérieur » et a appelé à « une amnistie de l’immigration, y compris pour les membres des générations Windrush qui sont des descendants d’anciens sujets britanniques depuis des décennies ».