Que faut-il pour être un bon guide ? De l’entrain, de l’ouverture d’esprit et une véritable connaissance des lieux. C’est à partir de ce constat que Zakia Moulaoui Guery a lancé son initiative. Depuis près de dix ans, elle forme des personnes en situation de précarité - sans-abri ou en difficulté - pour leur permettre de devenir guides touristiques. Un pari audacieux, mais victorieux : il y a quelques semaines, l’un de ces guides a fait visiter Aberdeen… au prince William, en personne !


Synopsis du tour du jour :
Ils connaissent la ville mieux que personne, et pourtant, elle les a souvent ignorés. Dans cette balade à travers l’univers d’Invisible Cities, nous reviendrons sur la création d’un mouvement, porté par Zakia Moulaoui Guery qui était convaincue, 10 ans en arrière, qu'un autre regard sur la ville et sur celles et ceux qui l’habitent était possible. Ouvrez grand les yeux, oubliez vos idées reçues : lepetitjournal.com vous embarque dans un voyage vers le monde du tourisme solidaire, version outre-Manche.
“En 10 ans, nous avons formé près de 158 personnes, qui étaient dans des situations compliquées : sans-abrisme, sortie de prison, handicap… Tous ne sont pas devenus guides, mais nous leur avons au moins offert cette possibilité.”

Première étape : découverte d’Invisible Cities et de ses fondements
Le premier arrêt de notre visite nous mène à la création d'Invisible Cities. Notre guide, Zakia Moulaoui Guery, raconte ses débuts : “En 2011, je travaillais pour des organisations comme la Coupe du Monde des sans-abris. Plus tard, l’équipe de l'Homeless World Cup, basée à Édimbourg, où je suis expatriée depuis 2008, cherchait quelqu’un qui parlait français.” C’est ainsi que l’originaire de Saint-Étienne s’engage auprès des personnes en situation de précarité, nouant des liens intimes avec les personnes qu’elle aide.

Deuxième étape : les causes solidaires, de l'exaltation à la déception !
Ainsi, pendant 2 ans, elle voyage à travers le monde et découvre ce qu’est la grande précarité : “Je me suis retrouvée à écouter les histoires de Pedro, habitant des favelas, qui me racontait à quel point le football était un salut.” Mais en 2014, alors qu’elle est en pleine force de ses moyens, un diagnostic tombe : à 27 ans, elle souffre d’un cancer de l’intestin. “J’ai dû arrêter de voyager et cela m’a brisé le cœur. Pendant mes traitements, mon équipe m’a fait comprendre que c’était fini. Ce fut un déclic : j’ai réalisé que je pouvais, à travers le voyage, partager les histoires que j’avais entendues grâce à la Homeless World Cup.”
Une fois remise sur pied, en 2015, elle s'implique dans un projet pour les réfugiés en Grèce. Zakia y découvre un magazine de rue qui propose des visites guidées à Athènes pour soutenir ses vendeurs. C’est la révélation : “À mon retour, j’ai commencé à organiser un projet similaire en combinant storytelling, aide aux personnes en précarité et découverte de leurs histoires.” Ainsi naît Invisible Cities.

Troisième étape : présentation des guides Invisible Cities du jour !
Mais comment le programme fonctionne-t-il ? N’importe qui peut-il devenir guide ? Pas vraiment. Pour Zakia, tout commence par un long travail de préparation : “Pour les guides, nous commençons toujours par la formation. Le principe est clair sur le papier : nous offrons un travail pour employer les gens afin d’organiser des tours.” Et même si les guides sont rémunérés, Zakia reste sur ses gardes lors d’une prise de contact : “Je sais d’expérience que les personnes en situation de précarité me répondront “non”, sèchement. Parce qu’être guide est parfois trop impressionnant, ou trop loin de ce que ces personnes ont comme réalité.”

Ainsi, la Franco-Écossaise marche sur des œufs : “La formation nous permet de vraiment discerner les qualités qu'il faut pour être un guide. Il s’agit avant tout de confiance en soi, d’art oratoire, et de sens commercial.” Cela va sans dire, il faut aussi connaître l'histoire, la ville, et avoir des histoires à raconter, et Zakia le reconnaît : “Ils le font mieux que personne”. Pas d’obligations pour autant, les guides sont libres de s’arrêter quand bon leur semble : “Si à la fin de la formation, vous ne voulez plus être guide, ce n’est pas grave. Le but est évidemment de devenir employé, mais si vous voulez travailler autre part, c'est aussi possible.” Elle poursuit : “Nous aidons avec les CV, les entretiens, et essayons de présenter le maximum de candidats aux employeurs. À la fin de tout cela, nous avons en général un groupe de 6 à 8 personnes et nous faisons une interview. Alors, la période d’essai commence.”
L’anecdote du guide Zakia : Chaque accompagnateur conçoit d’abord son propre parcours. Ensuite, il le propose au public. Ce schéma est reproduit dans les 8 villes partenaires. En 10 ans, nous avons formé près de 158 personnes. Maintenant, nous sommes accessibles comme n'importe quelle autre compagnie du genre, puisque nous sommes une entreprise de tourisme
"Ils savent compter leurs salaires mieux que quiconque ! Pas parce qu’ils ont étudié la finance, mais parce que la rue ne laisse aucune marge d’erreur.”
Quatrième étape : de la rue à la royauté, il n’y a qu’un pas
"Ils savent compter leurs salaires mieux que quiconque ! Pas parce qu’ils ont étudié la finance, mais parce que la rue ne laisse aucune marge d’erreur.” Pourtant, Zakia l’assure, au cœur d’Invisible Cities, les guides ne s’occupent pas de l’argent. Pas par manque de compétence mais, au contraire, pour les protéger. “Nous voulons être un espace de confiance pour eux, où l’on réapprend à travailler, à gérer un budget, à imprimer une fiche de paie. Des gestes simples pour certains, mais immenses pour ceux qui sortent de la précarité”.
Ainsi, Zakia relève que derrière chaque guide, il y a une histoire unique : “Cela peut être des femmes fuyant des violences domestiques, des anciens toxicomanes, ou simplement des hommes brisés par un burn-out. Je crois beaucoup en la précarité invisible : des gens qui restent chez des amis, ou qui ont un toit, mais qui n'est pas le leur.” Autant de parcours que de renaissances possibles, donc. Et certaines d’entre elles sont même royales !
Sony fait partie des tout premiers guides. “Il n’a jamais manqué un tour”, raconte Zakia, “sauf une fois, où il s’est littéralement évanoui dans la rue. Mais même là, il s’est excusé pendant des semaines !” Diagnostiqué avec de l’épilepsie il y a quelques années, Sony n’a jamais renoncé à guider. “C’est devenu une routine, un repère, un lien régulier au monde pour lui”. Il y a peu, il a guidé un tour un peu spécial à Aberdeen, dans sa ville natale, avec le Prince William comme visiteur : “Il était nerveux, forcément, mais il a assuré comme toujours”, confie Zakia.
Fin de la visite : où retrouver Invisible Cities ?
Aujourd’hui, Invisible Cities est actif à Édimbourg, Glasgow, Manchester, York, Cardiff et tout récemment, à Aberdeen. Deux autres villes, Liverpool et les Scottish Borders (région du sud de l’Écosse), sont en cours de développement, mais les tours n’y sont pas encore lancés. Pour la suite ? “Nous visons dix villes en dix ans”, explique Zakia. Newport, au pays de Galles, devrait être la prochaine concernée, suivie de Belfast, de Sheffield, de Bournemouth et de Lambeth (quartier de Londres,ndlr). “Pour ces dernières, il faudra tout créer depuis zéro.” L’objectif final : 12 villes. Et pour aller plus loin ? “Le rêve serait d’avoir des tours à l’international, en Europe et en France. C’est égoïste peut-être, mais j’y crois.”
Découvrir Invisible Cities :
Le prix des tours se situe entre £10 et £18 (12 à 21 euros) par personne, pour des visites standards d'une durée d'environ 1 h 30 à 2 heures. Plus d’informations sur le site : Our Tours | Invisible Cities
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