Édition internationale

Sarah Corbett, l'activiste qui réinvente la protestation au Royaume-Uni

Sarah Corbett est de ces femmes ingénieuses dont certaines sociétés s’inspirent tous les jours. Sa réflexion est plutôt simple : comment faire passer des messages aux hautes institutions sans passer par la révolte et les protestations violentes. Plutôt que d’utiliser des mégaphones, des bombes de peinture ou des projectiles, Sarah recourt, par exemple, à… des mouchoirs et au craftivisme. Rencontre exclusive avec l’activiste la plus créative du Royaume-Uni : “Je suis assez obstinée par le fait que je ne veux pas renoncer au monde, ni aux gens.”

Sarah corbett and CrafactivismSarah corbett and Crafactivism
Sarah Corbett et The Crafactivism
Écrit par Ewan Petris
Publié le 27 janvier 2025, mis à jour le 29 janvier 2025

Les salaires au Royaume-Uni sont beaucoup trop bas. Les conditions de travail dans la plupart des grandes chaînes sont presque inhumaines. Ces motifs pourraient, à juste titre, vous inciter à descendre dans les rues britanniques et brandir votre plus belle pancarte de contestation, mais que diriez-vous, pour une fois, de vous insurger, gentiment ? Sarah Corbett a fait de cette idée un véritable mantra. À ce jour, l’activiste originaire d’Everton a fait plier les plus grosses compagnies du Royaume-Uni et s’est tissé un nom parmi les plus grands, à coup de crafts et de tissus.

L’activisme de Sarah Corbett n’est pas né d’un simple élan de révolte, mais d’une longue tradition familiale, enracinée dans la solidarité et l'engagement. Dans le quartier de West Everton à Liverpool, où les rêves étaient souvent écrasés par la dureté de la vie, Sarah grandit au cœur d’une communauté unie par les privations : “West Everton était, et est toujours, le quatrième quartier le plus défavorisé du Royaume-Uni. Lorsque j'étais petite, j’assistais à de multiples incendies. Les gens mettaient le feu aux poubelles, et d'autres incidents se produisaient. Cela a déjà aiguisé mon sens de la justice,” se souvient-elle, d’une voix enrouée par l’émotion.

 

L’activisme, dans le sang de Sarah Corbett

 

C’est dans ce contexte d’injustice et de privation que Sarah grandit. À la maison, elle est confrontée aux idéaux de son père, vicaire et défenseur des opprimés, et ceux de sa mère, infirmière devenue conseillère municipale malgré elle : “Mes parents m’ont tout appris. Il y a une photo de moi à l'âge de trois ans, ma première preuve d'activisme, où nous occupions légalement des logements sociaux pour empêcher leur démolition.”

À l'âge de huit ans, Sarah et sa famille filent en Afrique du Sud, juste après la libération de Nelson Mandela, dans une période marquée par la peur d'une guerre civile : “Mes parents y étudiaient le travail de paix et de réconciliation mené discrètement par l'Église, aussi bien dans les bidonvilles que dans les quartiers plus riches.” Cette expérience lui montre que l'activisme ne se limite pas aux manifestations bruyantes et de masse : “Cela peut aussi passer par des actions discrètes, des alliances inattendues et une communication respectueuse, sans héros, ni méchants.”

 

Footprint project

 

Broder des motifs, pour tisser des liens 

 

Alors, Sarah s'engage, avec une détermination tranquille,  que ce soit pour réclamer des casiers aux professeurs dans son école ou en rejoignant le groupe local de Friends of the Earth à Liverpool. Elle se souvient, sur un ton nostalgique : “Je ne voulais pas être sous les projecteurs, ni élever la voix.” En 2008, Sarah prend conscience de son tempérament introverti : “Je me suis dit qu’il devait y avoir d'autres façons de faire de l'activisme, même pour les introvertis ou ceux qui ne peuvent pas sortir de chez eux.”

 

Projet d'artisanat en papier pour les vitrines
Projet d'artisanat pour les vitrines

 

Alors, émerge l’idée du craftivism, un activisme doux, où la réflexion prend le pas sur l’agitation. Le souvenir de la naissance du mouvement est étroitement lié à une anecdote marquante pour Sarah : “Dans un train pour Glasgow, épuisée par mon travail avec le Département britannique du développement international, je brode pour me détendre. En séparant les fils, je me rends compte à quel point mes mains tremblaient, ma respiration était superficielle.” Ce moment de calme devient le catalyseur de son projet : des mini-bannières de protestation, à accrocher dans des lieux publics pour susciter la réflexion. 

 

“J’ai voulu m’attaquer aux systèmes et structures en profondeur”

 

En s’inspirant du terme "craftivism" lancé par Betsy Greer, Sarah ajoute sa propre touche : “J'ai voulu aller au-delà de la sensibilisation pour m'attaquer aux systèmes et structures en profondeur.” Et justement, elle s’attaque rapidement à un gros poisson : Marks & Spencer. Jusqu’alors, M&S était souvent perçue comme un idéal d’éthique dans le monde des affaires, mais notre activiste savait ce qui se tramait réellement. Derrière ses vitrines bien-pensantes, l’entreprise refusait, en 2015, de garantir un salaire décent à ses employés : “Ils se drapaient dans une illusion de bienveillance, mais la réalité sur le terrain était tout autre”, soutient Sarah.

 

14 mouchoirs sur mesure pour les 14 membres du conseil d'administration de Marks and Spencer
14 mouchoirs sur mesure pour les 14 membres du conseil d'administration de Marks and Spencer

 

“Les pétitions, manifestations et actions classiques n’avaient rien donné. Il fallait une approche plus ciblée, plus incisive”, détaille-t-elle, comme si elle menait encore le combat. Avec son collectif, elle élabore un projet centré sur les décideurs eux-mêmes : des mouchoirs brodés de messages personnalisés pour chaque membre du conseil d’administration, remis lors de l’assemblée générale annuelle : “Ces objets portaient un message et étaient accompagnés d'une lettre expliquant les avantages de l’augmentation du salaire minimum pour l'entreprise et ses employés. Il ne s’agissait pas de slogans criés dans la rue, mais d’un appel direct à la conscience des dirigeants,” explique-t-elle. 

Après des mois d’échanges et de pression, M&S annonce une augmentation des salaires pour 50.000 employés : “Ce fut une victoire éclatante, mais elle a aussi révélé l’hypocrisie latente de nombreuses grandes entreprises”, souligne Sarah. 

Des bruits de couloirs affirment que lors de l’Assemblée générale annuelle, l’atmosphère a été tellement perturbée par l’approche inattendue des activistes, que le directeur a accepté de recevoir les représentants de la campagne dans la semaine qui suivait…

 

Malala, adhérente qui a rejoint un workshop sur l'empreinte écologique à Birmingham
Malala, adhérente qui a rejoint un workshop sur l'empreinte écologique à Birmingham

 

La philosophie du craftivism fait le tour du monde 

 

“Il faut se poser les bonnes questions. En ai-je vraiment besoin ? Quelle est l’éthique derrière cet achat ?”

Sarah est aussi à la tête d’un projet unique : des mini-statements (petites phrases, ndlr) de mode, sous forme de petits rouleaux de papier contenant des messages écrits à la main. Ces rouleaux, glissés discrètement dans des lieux publics ou des événements culturels comme au Barbican, portent des messages invitant à réfléchir sur l’impact de nos choix vestimentaires. “Il faut se poser les bonnes questions. En ai-je vraiment besoin ? Quelle est l’éthique derrière cet achat ?” révèle Sarah.

 

Mini Fashion Statements
Les Mini-Fashion Statements 

 

L’actrice Emily Stone est d’ailleurs une fière adhérente du mouvement. Elle garde toujours un de ces rouleaux dans son sac : “Chaque fois que je vais acheter quelque chose, cela me rappelle de me poser les bonnes questions”, a-t-elle confié dans un e-mail à Sarah.

 

L’Équilibre entre art et activisme

 

Aujourd’hui Sarah continue d’innover, dans l’optique suivante : “le craftivism n’est pas une méthode, c’est une discipline exigeante. Ce n’est pas seulement faire des choses belles et gentilles, mais aussi avoir une stratégie solide.” Son dernier livre (The Craftivist Collective Handbook, by Sarah Corbett) , véritable manuel du craftivism, propose 20 projets accessibles, accompagnés de ressources en ligne gratuites : “Ces activités, adaptées à tous les profils permettent à chacun de s’engager à son échelle,” lance-t-elle d’un large sourire.

 

Dream-making project

 

Pour ne pas trop en dévoiler sur le futur du mouvement, Sarah explore actuellement les thématiques du changement climatique et de la justice sociale. En parallèle, le Craftivist Collective (groupe d’activistes fondé par Sarah) s’étend, offrant à des personnes de tous horizons la possibilité de participer, même depuis chez elles. “Nous avons des membres qui participent depuis leur lit ou des zones rurales, prouvant que nous pouvons être actifs sans être physiquement présents dans la rue,” souligne Sarah. Car la mentalité crafactiviste, c’est peut-être simplement loin des projecteurs, mais au cœur des enjeux contemporains. 

 

New handbook Crafactivism

 

Envie de vous lancer ? Découvrez le Craftivist Collective et plongez dans le dernier livre de Sarah.

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