"Queribus", le dernier bastion des cathares, est aussi le nom du roman écrit par un Français expatrié en Espagne depuis 30 ans. De la conquête de Majorque, aux Croisades, en passant par la Mongolie, ou le siège de Montségur, le lecteur se retrouve plongé dans la France médiévale du XIIIe siècle. Tout cela, bien sûr, sur fond de catharisme…
La feria del libro de Madrid recèle parfois des surprises de taille. Il s'agit de la rencontre d'un auteur à succès, Pierre Lassauvetat - c'est son pseudonyme- qui a publié un roman historique en vente en Espagne et qui sera publié en français en septembre 2022 en France, aux Éditions Privat, distribué par Gallimard.
- Pourquoi ce livre sur les cathares?
Dans le prologue de mon livre, je raconte qu’étant enfant je passais très souvent par la nationale 117, entre Foix et la Méditerranée. J’adorais ces voyages au cours desquels se dessinaient les silhouettes des châteaux cathares les plus connus, Montségur, Puivert, Puilaurens, Peyrepertuse et Quéribus. En grandissant, j’ai gardé cette passion pour ces ruines, tellement impressionnantes dans leurs montagnes, surplombant des abîmes. J’ai appris à les connaître à fond, et je me suis intéressé à leur histoire. Je me suis demandé pourquoi on les appelait "cathares". Tout naturellement j’ai commencé à étudier pour mon compte l’histoire médiévale de l’Occitanie, et de fil en aiguille j’ai découvert ces fameux cathares. Le roman "Quéribus" est né de cette passion pour ces paysages et pour les hommes et les femmes qui construisirent et habitèrent ces châteaux que le grand historien Michel Roquebert appelait "Citadelles du vertige".
- Est-ce votre premier livre ?
J’écris depuis toujours, en amateur dans ma jeunesse, et comme journaliste dans plusieurs web. Ce premier roman a représenté beaucoup de travail pour moi, surtout pour la documentation. Mais quand finalement je le vois sur les étagères des librairies, je me dis que ça a valu la peine. D’ailleurs je travaille déjà au roman suivant…
- Pouvez-vous rappeler qui étaient ces cathares?
Le catharisme est une doctrine chrétienne basée sur le Nouveau Testament, sûrement influencée par le manichéisme, donc dualiste, qui prétend que le monde que nous connaissons est l’œuvre du diable, et que le dieu bon nous attend au paradis. L’hérésie cathare exista pratiquement dans toute l’Europe occidentale, mais c’est dans le Midi de la France qu’elle s’épanouit, allant jusqu’à préoccuper très sérieusement la hiérarchie catholique qui finit par créer l’Inquisition pour essayer de la combattre. Le catharisme comme doctrine religieuse imprégnait toutes les couches de la société féodale occitane, des nobles aux paysans, des villes aux zones rurales.
Il s’avéra bientôt que les cathares étaient chaque jour plus nombreux et finalement l’Église de Rome créa l’institution de l’Inquisition
L’église cathare (Egleisa del Bé en occitan) était composée de Parfaits et Parfaites et de simples croyants. Les Parfaits et Parfaites, appelés par le peuple des croyants "bons hommes" et "bonnes femmes", étaient les "prêtres" de la religion. Ils se considéraient comme descendants des apôtres et possédaient le pouvoir d’octroyer le principal rituel des cathares, le Consolamentum. Il s’agissait d’une cérémonie terminale qui facilitait la transition des mourants vers le paradis où les recevait le dieu bon. Une fois consolé, le mourant ne pouvait plus ni boire ni manger sous peine de perdre sa condition, et se laissait mourir bien souvent, pratique connue sous le nom d’endura.
Cette simplicité et cette austérité des cathares les rapprochaient du peuple occitan, qui les comparait avec les prélats de l’Église de Rome
Les bons hommes et les bonnes femmes sillonnaient donc le Languedoc deux par deux, ou travaillaient de leurs mains (beaucoup étaient tisserands) en menant une vie très austère. Ils étaient végétariens et pratiquaient assidûment le jeûne. Cette simplicité et cette austérité les rapprochaient du peuple occitan, qui les comparait avec les prélats de l’Église de Rome, que le peuple percevait bien souvent comme autoritaire et plus préoccupée de la perception de la dîme (l’impôt qui lui revenait) que du salut des âmes.
Le catharisme disparut définitivement après la chute du dernier bastion cathare : la forteresse de Quéribus, dans les Corbières
- Les Cathares ont alors été persécutés par l'Église?
L’hérésie cathare fut poursuivie, dans un premier temps par des méthodes "aimables", les prêcheurs catholiques tentant de convaincre les populations. Mais il s’avéra bientôt que les cathares étaient chaque jour plus nombreux et finalement l’Église de Rome créa l’institution de l’Inquisition, dont la brutalité laissa dans la mémoire collective des Occitans d’amers souvenirs.
Le catharisme fut également le prétexte de la Croisade contre les Albigeois, qui à partir de 1209 et durant vingt ans ravagea le Midi, avant de le rattacher définitivement au Royaume de France.
Le fameux "Trésor des cathares" hante les légendes et histoires occitanes jusqu’à nos jours
Après 1209 les cathares se réfugièrent dans la clandestinité, passant des grands chemins au bois épais, des plaines aux Pyrénées, où ils établirent une sorte de "capitale" à Montségur, qui capitula en 1244 après dix mois de siège. Le catharisme disparut définitivement après la chute du dernier bastion cathare : la forteresse de Quéribus, dans les Corbières.
Les derniers cathares occitans documentés sont ariégeois et s’exilent…en Espagne, alors Royaume d’Aragon
L’épopée cathare néanmoins ne termine pas ici, puisque les derniers cathares occitans documentés sont ariégeois et s’exilent…en Espagne, alors Royaume d’Aragon, avant de disparaître de l’Histoire, tout au moins de l’Histoire officielle. En effet, le fameux "Trésor des cathares" hante les légendes et histoires occitanes jusqu’à nos jours, et se devait d’ailleurs d’être présent dans mon roman.
- Les Espagnols connaissent-ils les cathares?
Pas vraiment. Les cathares, et surtout les châteaux cathares, attirent des milliers de visiteurs chaque année sur les sites historiques les plus connus, Carcassonne, Montségur, mais il n’existe pas vraiment une connaissance de la réalité historique de cette hérésie, et il en est de même pour la culture occitane, qui a profondément influencé toute l’Europe occidentale, et tombe peu à peu dans l’oubli. Il s’agit pourtant d’une culture très riche, celle des troubadours, présents également dans mon roman, de l’Amour courtois, de la langue occitane, qui est à l’origine du catalan et se parle encore dans la Vallée d’Aran. Au Moyen-Âge l’occitan se parlait jusqu’à la cour des rois d’Angleterre, c’est vous dire son importance.
Le bilinguisme est une richesse incroyable, un trésor à ne pas perdre
Mais malgré cette méconnaissance des cathares en Espagne, il existe un intérêt réel pour les connaître. Je le vois très bien lorsque je présente le livre dans une librairie, ou par les mails que je reçois de lecteurs qui veulent en savoir plus. J’ai d’ailleurs créé un site web en espagnol pour orienter mes lecteurs sur les personnages, les lieux, le contexte général de roman.
Au Moyen-Âge l’occitan se parlait jusqu’à la cour des rois d’Angleterre, c’est vous dire son importance
- Comment avez-vous décidé, vous qui êtes Français, d’écrire ce livre en espagnol et pour le marché espagnol?
Je vis en Espagne depuis très longtemps, et je suis donc bilingue. J’ai publié en Espagne comme première option parce que la maison d’édition Senzia Editorial me l’a demandé, tout simplement. J’avais également beaucoup d’intérêt pour faire connaître au public espagnol une partie de l’histoire de France plutôt méconnue ici.
Ma démarche et la relation avec le public espagnol sont différentes qu’avec le public français. En Espagne Quéribus est un roman historique qu’il faut faire connaître au public en se frayant un chemin entre les grandes publications. Le sujet intéresse, certes, mais il faut le promotionner sans cesse. Cependant en France avant même d’être sorti je reçois des messages, les gens ont envie de le lire.
Et puis je crois que, comme beaucoup d’expatriés, le fait de vivre entre deux langues aussi riches que le français et l’espagnol n’est pas un handicap, bien au contraire. Je peux exprimer toutes les nuances de ma pensée et choisir pour cela en chaque instant la langue adéquate. Le bilinguisme est une richesse incroyable, un trésor à ne pas perdre.
Les vies tellement particulières de ces seigneurs cathares m’amenèrent à conter leurs voyages, leurs guerres, leurs amours
- Votre roman s’appelle Quéribus? À quoi cela fait-il référence?
Quéribus est l’un des plus impressionnants châteaux cathares, à cheval sur une crête des Corbières, surveillant la frontière aragonaise du Moyen-Âge. Le paysage de cette forteresse est unique, vraiment impressionnant, comme suspendu en plein ciel, entouré d’abîmes. Depuis le château, on découvre au nord les Corbières, vieux massif regorgeant d’histoire. Au sud, la vallée du Maury, les bois des Fenouillèdes en premier plan, les Pyrénées et le mont Canigou derrière. Et au loin, à l’Ouest, la Méditerranée. Tout cela balayé par la tramontane éternelle.
La forteresse de Quéribus, en partie restaurée, est aujourd’hui l’un des symboles du catharisme et reçoit des milliers de visiteurs chaque année. Nous l’avons dit auparavant, elle fut la dernière à se rendre au Roi de France, et elle appartenait alors, en 1255, à un fameux chevalier appelé Chabert de Barbaira. Sa biographie m’apparut comme représentative des chevaliers « faydits » (exilés en occitan) qui perdirent leurs terres lors de la Croisade contre les Albigeois. Je découvris aussi un autre grand seigneur méridional, compagnon de guerre de Chabert de Barbaira, nommé Olivier de Termes, qui vécut une vie digne d’une superproduction hollywoodienne. Je pensais donc, en plus de faire découvrir le monde cathare occitan du XIIIe siècle, conter la biographie de ces seigneurs féodaux, de leurs relations et de leur monde, aujourd’hui disparu. Les vies tellement particulières de ces seigneurs cathares m’amenèrent à conter leurs voyages, leurs guerres, leurs amours.
L’Occitanie médiévale était tout autant française qu’espagnole
- Quéribus est en somme un roman historique, qui permet de connaître, de façon agréable, une importante période de l’histoire de France et d’Espagne?
Tout à fait. Le XIIIe siècle allait définir ce que seraient ces deux grands pays dans le futur. En suivant mes personnages, je prends le lecteur par la main et nous les suivons au-delà des frontières occitanes. Nous les accompagnons à la conquête de Majorque avec le Roi d’Aragon, aux Croisades en Terre Sainte avec Louis IX, notre fameux Saint Louis, pour les derniers instants du Royaume Latin de Jérusalem, et jusqu’à une ambassade du roi de France au Khan de Mongolie, tout en passant par le siège de Montségur et la reddition de Quéribus. Tout cela, bien sûr, sur fond de catharisme…
- Queribus montre à quel point l’histoire de la France et de l’Espagne ont des points communs, également au Moyen-Âge. Pouvez-vous donner quelques exemples?
Les frontières européennes telles que nous les connaissons aujourd’hui n’étaient pas encore fixées au XIIIe siècle. Le Roi d’Aragon fut seigneur de Montpellier, beaucoup de grands seigneurs occitans étaient vassaux du Comte de Toulouse…et du roi d’Aragon en même temps. L’Occitanie médiévale était tout autant française qu’espagnole, en ce sens-là. Il en était de même tout au long des Pyrénées.
La célèbre bataille de Las Navas de Tolosa, en Andalousie, contre les musulmans Almohades comprenait un fort contingent occitan.
La Reconquista, c’est à dire la récupération de la péninsule ibérique par les chrétiens contre les musulmans, dura presque tout le Moyen-âge avec l’aide de beaucoup de seigneurs méridionaux, en commençant par Olivier de Termes, mais aussi par exemple les seigneurs de la famille Trencavel, exilés de leur capitale Carcassonne, et qui apparaissent dans les chroniques du roi Jaume Ier d’Aragón.
La bataille de Las Navas de Tolosa (Andalousie) en 1212, qui opposa les royaumes chrétiens de la Péninsule ibérique menés par le roi de Castille contre les musulmans Almohades, comprenait un fort contingent occitan. Les exemples sont nombreux, comme vous voyez.
Quéribus aspire à se placer dans la liste des meilleures ventes dès cet hiver
- Vous allez maintenant publier le livre en France. Pourquoi?
Bien que vivant en Espagne et parfaitement assimilé, je n’en reste pas moins français de nationalité…et de cœur. Il était important pour moi de voir mon livre en français. Le roman en espagnol est parvenu à une maison d’édition parmi les plus prestigieuses de France, les éditions Privat, à Toulouse, de plus de 150 ans d’existence, qui a pris en charge l’édition française avec beaucoup d’enthousiasme. C’est pour moi l’occasion d’entrer dans les librairies françaises par la grande porte. Le lancement en France sera donc en septembre 2022, avec la même couverture qu’en Espagne, traduite. Nous sommes en ce moment en pleine correction du texte, un processus lent mais passionnant. Les études de marché laissent prévoir un bon accueil de la part du public français. Il est vrai que nous « jouons à domicile », ce n’est pas rien.
- Y a-t-il beaucoup de littérature à ce sujet en France?
À partir des années soixante, il exista en France un véritable regain d’intérêt pour le catharisme, dû entre autres facteurs aux travaux de grands médiévalistes, René Nelli, Anne Brenon, Michel Roquebert et d’autres. La Croisade contre les Albigeois a fait couler beaucoup d’encre, et ce n’est pas fini.
Il existe un grand nombre de romans historiques, plus ou moins bien documentés, et les cathares fascinent le public. Leur fin tragique et mystérieuse, dans une région reculée aux paysages spectaculaires, à la culture ancienne regorgeant de légendes plus ou moins fantastiques, tous les ingrédients sont là pour que le public adore cette littérature. Chaque année se publient plusieurs romans sur ce sujet. Quéribus aspire à se placer dans la liste des meilleures ventes dès cet hiver…C’est un pari, nous verrons cela.