Malgré les engagements affichés en matière de transparence et de bonne gouvernance, l’Espagne est loin de satisfaire les exigences du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre la corruption. Deux rapports récemment publiés par le GRECO, organe de lutte contre la corruption du Conseil de l’Europe, dressent un constat accablant sur l’application des recommandations formulées à l’État espagnol depuis plus de dix ans. Le constat est sévère : aucune n’a été pleinement appliquée.


Deux rapports du GRECO accablent l’Espagne sur la lutte anticorruption
C’est le 16 avril dernier, à la veille des vacances de Pâques, que le gouvernement espagnol a discrètement publié deux rapports du GRECO. L’un évalue les efforts du pays depuis 2019 pour lutter contre la corruption dans les hautes fonctions exécutives et les forces de sécurité (Police nationale et Garde civile). L’autre fait le point sur les recommandations de 2013 concernant les parlementaires, les juges et les procureurs.
Le premier rapport, adopté en décembre 2023, souligne que l’Espagne n’a encore pleinement mis en œuvre aucune des recommandations du GRECO. Treize ont été partiellement appliquées, six n’ont connu aucun progrès. En conséquence, le GRECO a lancé une procédure officielle pour non-respect, demandant au pays un rapport d’avancement. Celui-ci sera examiné lors de sa 100e session, en juin 2025 à Strasbourg.
Dix ans plus tard, les mêmes manquements
Le GRECO reconnaît quelques efforts, comme la création d’un Système d’intégrité de l’administration générale de l’État (SIAGE), avec un code éthique, des formations et des procédures internes. Mais cela reste insuffisant face aux zones grises qui persistent : conflits d’intérêts mal encadrés, absence de régulation des lobbies, phénomène des portes tournantes entre public et privé, et faible transparence financière des responsables politiques.
Dans son deuxième rapport, adopté en juin 2024, le GRECO revient sur les recommandations de 2013 pour les parlementaires, juges et procureurs. Là encore, le tableau est sombre : sept recommandations sont appliquées, trois partiellement, une – clé – reste lettre morte. Il s’agit de celle concernant le mode de nomination du Conseil général du pouvoir judiciaire (CGPJ), que le GRECO souhaite confier majoritairement aux juges eux-mêmes. Le système actuel reste inchangé.
L'indice de corruption en Espagne: une augmentation préoccupante
Recommandations clés du Conseil de l’Europe : où en est l’Espagne ?
Thème |
Recommandation |
État d’application |
Hautes fonctions exécutives |
Contrôle des conflits d’intérêts des conseillers politiques |
❌ Non appliqué |
Transparence financière |
Renforcement de la déclaration de patrimoine et d’intérêts |
⚠️ Partiellement appliqué |
Groupes de pression |
Réglementation des lobbies et publication des agendas |
❌ Non appliqué |
Portes tournantes |
Encadrement du passage entre public et privé |
❌ Non appliqué |
Responsabilité pénale des ministres |
Réforme de l’"aforamiento" (immunité pénale) |
❌ Non appliqué |
Accès à l’information |
Mise en œuvre de la convention sur les documents officiels |
✅ En progrès |
Nomination au CGPJ |
Élection des membres par les juges eux-mêmes |
❌ Non appliqué |
Nomination des magistrats |
Critères objectifs et transparents |
⚠️ Partiellement appliqué |
Indépendance du ministère public |
Réforme du système de nomination du procureur général |
❌ Non appliqué |
Une communication gouvernementale contestée
Autre sujet d’étonnement : le décalage entre la version officielle du gouvernement et celle du GRECO. La note diffusée par le ministère de la Justice présente fièrement les "avancées" de l’Espagne, sans même mentionner dans son titre les rapports du Conseil de l’Europe. Elle affirme que 24 recommandations sur 30 ont été "totalement ou partiellement mises en œuvre". Une lecture très optimiste des faits, quand le GRECO lui-même indique qu’aucune recommandation de la 5e série n’a été entièrement appliquée.
Plus encore, des organisations comme Hay Derecho dénoncent une stratégie de communication trompeuse : d’abord retarder la publication, puis minimiser les critiques. Une méthode qui interroge, alors que le gouvernement a lancé en septembre dernier un "Plan d’action pour la démocratie" censé renforcer la transparence.
Le coût politique de l’inaction
Pour le GRECO et les défenseurs de l’État de droit, le message est clair : la démocratie ne se limite pas à élire ses dirigeants tous les quatre ans. Elle repose aussi sur la transparence, la responsabilité, l’indépendance des institutions et le respect des règles. En masquant des rapports gênants, en retardant leur publication et en en tordant le contenu, le gouvernement espagnol affaiblit la confiance citoyenne et freine la lutte contre la corruption. Car, ce qu’on ne montre pas finit toujours par se voir. Et ce qu’on retarde, par se payer.
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