Édition internationale

Lutte contre la corruption : l’Espagne perd du terrain dans le classement mondial

L’Espagne recule de dix places dans le dernier indice de “perception de la corruption” (IPC) publié par Transparency International. Avec une note de 56/100, le pays chute de quatre points par rapport à l’an dernier. Un signal clair d’un essoufflement des efforts en matière de transparence et d’une lutte anticorruption qui patine. Si elle ne réagit pas, l’Espagne risque de voir son classement s’éroder davantage dans les prochaines années.

main avec un billet de 500 euros et une boite en or main avec un billet de 500 euros et une boite en or
Cottonbro studio, Pexels.
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 20 février 2025, mis à jour le 24 février 2025

 



 

L’Espagne dégringole dans le classement mondial de la corruption

Le dernier rapport de Transparency International, qui évalue 180 pays sur une échelle de 0 à 100, dresse un tableau sombre de la corruption sur la planète : la moyenne mondiale s’élève à 43 points, révélant des niveaux de corruption "extrêmement élevés" à l’échelle internationale. Plus des deux tiers des pays peinent en effet à dépasser la barre des 50 points.

 

 

tableau de la corruption dans les pays d'Europe occidentale selon Transparency international

 

 

Dans ce classement mondial, l’Espagne glisse à la 46ᵉ place, avec une note de 56/100, se retrouvant au coude-à-coude avec Chypre, la République tchèque et la Grenade. Mais au jeu des comparaisons, le résultat est sans appel : elle est désormais dépassée par des pays comme le Botswana ou le Rwanda, tout en restant devant l’Italie, la Grèce et la Pologne. En Europe, le recul est tout aussi marqué. L’Espagne chute de la 14ᵉ à la 16ᵉ place au sein des 27 États membres de l’Union européenne, doublée cette année par la Lettonie et la Slovénie. 



 

 

Des politiques anticorruption en stagnation

Si Transparency International ne pointe pas un effondrement du cadre législatif espagnol, elle souligne toutefois un immobilisme préoccupant. Les chantiers en souffrance s’accumulent :


- Des directives européennes en attente : 87 directives restent à transposer dans le droit national, dont 30 sont déjà hors délai, laissant l’Espagne à la traîne sur ses engagements.
- Une stratégie nationale anticorruption en suspens : prévue par la loi 2/2023 pour protéger les lanceurs d’alerte, elle est toujours dans les limbes, faute de mise en œuvre.
- Pas de registre des lobbies, pas de réforme sur les conflits d’intérêts : deux outils pourtant essentiels pour encadrer l’influence des groupes de pression et qui restent aux abonnés absents.

 

À ce tableau peu reluisant s’ajoute un recul au niveau régional. Les agences antifraude, censées être les vigies locales de la transparence, disparaissent ou s’affaiblissent dans les régions d’Espagne. Aujourd’hui, seules quatre communautés autonomes et deux villes disposent encore d’un organisme opérationnel, tandis que d’autres ferment leurs portes, à l’image de l’agence antifraude des Baléares. Et quant aux structures encore debout, comme l’Agència Valenciana Antifrau (AVAF), elles subissent une érosion de leurs moyens et de leur influence.

 

 

 

La corruption, l’un des principaux problèmes de l'Espagne

 

 

 

Une transparence institutionnelle en panne et une justice à la traîne

Loin d’être un simple revers, la chute de l’Espagne dans l’indice de perception de la corruption reflète un affaiblissement structurel de ses mécanismes de transparence et de contrôle. La réforme de la loi 19/2013 sur la transparence, pourtant annoncée dans le IV Plan de Gobierno Abierto, n’a toujours pas vu le jour, laissant en suspens des engagements clés en matière d’accès à l’information et de surveillance des institutions.

Le conseil de transparence et de bon gouvernement, censé jouer un rôle de garde-fou, manque cruellement de moyens, ce qui réduit son efficacité à peau de chagrin. Quant aux partis politiques, d’après le rapport, leur engagement en matière de transparence laisse à désirer : seulement 55 % d’entre eux respecteraient leurs obligations de publicité active, c’est-à-dire la publication transparente de leurs finances, rémunérations et décisions importantes. Ce manque de transparence entrave le contrôle public et alimente les soupçons de gestion opaque.

Du côté du système judiciaire, les blocages s’accumulent. L’application tardive de la loi 2/2023, censée renforcer la protection des lanceurs d’alerte, et le manque de ressources pour l’autorité indépendante de protection des informateurs freinent la dénonciation des actes de corruption. A cela s’ajoute le blocage persistant de la réforme du Conseil général du pouvoir judiciaire (CGPJ), qui empêche le renouvellement de nombreux magistrats, et c’est toute la machine judiciaire qui s’enraye, retardant les grands procès de corruption et laissant planer un doute sur la capacité du pays à sanctionner efficacement les abus.


 

 

Une tendance inquiétante en Europe

L’Espagne n’est pas un cas isolé. Transparency International souligne un recul général de la lutte contre la corruption en Europe occidentale. Sur les 31 pays du continent analysés, seuls six améliorent leur score par rapport à 2023, tandis qu’une vingtaine enregistrent une baisse notable. Selon l’ONG, la capacité à combattre la corruption se dégrade "dangereusement".

Pour enrayer cette spirale, l’Espagne devra rétablir la confiance dans ses institutions et muscler son arsenal législatif. À défaut d’actions concrètes, elle continuera de glisser dans les classements internationaux, creusant un fossé toujours plus grand entre les citoyens et leurs représentants. Car tandis que les réformes s’embourbent, la corruption, elle, sait se faufiler dans les failles d’un système à bout de souffle.