Trompettiste, compositrice, entrepreneure culturelle et militante lucide, Martine Labbé cultive une trajectoire artistique à cheval entre le Québec et le Maroc. Après sept années passées à Rabat, elle revient sur scène à Montréal pour célébrer la Journée internationale du jazz avec un concert exclusivement féminin, riche de toutes les influences qui l’ont façonnée. Entretien avec une artiste qui joue, pense et construit au croisement des mondes.


Une Québécoise au Maroc
En 2015, Martine Labbé découvre Rabat lors d’un concert. « J’ai eu un coup de cœur immédiat. » Sept ans plus tard, la capitale marocaine est devenue sa maison, son lieu de vie et de création. « J’étais à un moment charnière de ma vie. J’ai eu envie de voir si j’y étais ailleurs. » D’abord installée à tâtons, la musicienne fonde une entreprise culturelle et s’implique dans des projets de résidences artistiques entre le Maroc et le Québec. À travers cette migration choisie, elle trouve aussi un ancrage intime : « Être déracinée m’a permis de m’enraciner en moi. »
Jazz et transmission
Née dans une famille de voyageurs curieux, Martine grandit au son des musiques du monde. C’est à l’école qu’elle rencontre la trompette, un peu par hasard : « Nous étions trop de clarinettistes, et il manquait une trompettiste. Alors j’ai dit : moi, je vais le faire. » Ce coup du destin devient sa voix.
« On a grandi ensemble, la trompette et moi. »
Elle découvre rapidement le jazz, discipline de l’improvisation et de la résilience, qui l’accompagnera même dans les moments les plus sombres : « À 15 ans, j’ai traversé une dépression. La musique m’a tenue debout. »
Une carrière tissée de diversités
Formée à Concordia, où deux professeurs changent sa vie, Martine se forge une identité musicale ouverte. À Montréal, elle joue avec des musiciens d’Haïti, de Jamaïque, du Sénégal. Au Maroc, elle découvre les musiques traditionnelles du Maghreb et leur incroyable richesse. « Je ne suis pas marocaine, je ne le serai jamais, mais cette culture fait maintenant partie de moi. » En parallèle de sa carrière artistique, elle devient passeuse entre deux mondes, organisant des événements, créant des ponts. « Je n’aurais jamais osé fonder une entreprise culturelle au Québec. Là-bas, j’ai vu qu’il y avait un espace. »
Engagée et féministe
Mercredi prochain, Martine Labbé montera sur la scène du Balcon à Montréal pour la Journée internationale du jazz, entourée uniquement de femmes. « On célèbre notre présence. Ce sont toutes des compositrices, des leaders, des femmes aux parcours riches. » Pour elle, la représentation féminine dans le jazz reste un combat. « Je suis fatiguée d’entendre encore les mêmes histoires dans les écoles. Le sexisme est partout, ici comme ailleurs. » Sa réponse : l’art, la parole, la scène. En programmant un concert à voix multiples, elle affirme aussi une vision d’un jazz inclusif et engagé.
Elle profite de ce retour à Montréal pour dévoiler une nouvelle pièce, Unsettler. Composé en réaction aux événements en Palestine, le morceau instrumental porte une charge émotionnelle forte : « Il faut oser ressentir l’inconfort. » C’est sa manière d’interpeller, de faire entendre une voix, sans paroles mais pas sans message. Unsettler marque un retour discographique très attendu, prémisse d’un futur album.
Une musicienne entre les mondes
Ce prochain album, en préparation, s’annonce comme un collage sensible de territoires et de rencontres. Il réunira des artistes du Maroc, du Québec et d’ailleurs, reflet de la trajectoire nomade de Martine. « Montréal m’offre son effervescence musicale, Rabat son rythme plus lent, sa lumière, ses racines. » Artiste indépendante, elle signe sous son nom ou sous pseudonyme selon les projets, s’autorisant une liberté de ton et de forme. « Je me sens la même, mais différente », confie-t-elle. Entre ici et là-bas, entre la trompette et le chant, entre le souffle et le silence, elle trace un chemin à son image — hybride, audacieux, vibrant.
Entre souffle et silence
Martine Labbé incarne cette génération d’artistes qui tissent des ponts entre les continents, les disciplines, les identités. Son parcours, forgé dans l’effort, le doute, mais surtout la passion, dessine une trajectoire lumineuse et profondément humaine. Et si, à travers son jazz, c’était moins d’un exil qu’il s’agissait… que d’un retour vers soi ?
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