Implantée au Québec depuis plus de dix ans, la société française OVHcloud poursuit sa croissance au Canada. Rencontre avec Guillaume Gilbert, spécialiste des affaires publiques et de la communication de la firme, qui revient sur l’ancrage local d’un groupe à l’ADN résolument européen, attaché à la protection des données et à l’autonomie stratégique des États comme des entreprises.


Une implantation stratégique au cœur du Québec
C’est à Beauharnois, en Montérégie, qu’OVHcloud a choisi d’implanter son plus grand centre de données au Canada. Le site occupe une ancienne aluminerie de Rio Tinto, entièrement réaménagée pour accueillir jusqu’à 360.000 serveurs. « Aujourd’hui, près de 90.000 serveurs y sont déjà opérationnels », précise Guillaume Gilbert.
Cette reconversion industrielle n’est pas un hasard : le site bénéficie d’une alimentation en énergie hydroélectrique grâce à la proximité d’un barrage, et s’inscrit dans une logique d’économie circulaire et de sobriété énergétique.
Le bâtiment existant a été réutilisé, limitant l’empreinte carbone liée à une construction neuve, et l’ensemble est connecté au réseau de fibre optique propriétaire d’OVHcloud. « C’est un modèle industriel frugal et intégré », insiste Guillaume Gilbert, en opposition aux centres de données consacrés au minage de cryptomonnaies, souvent critiqués pour leur consommation démesurée et leur faible valeur ajoutée locale.
Des liens solides avec la communauté d’affaires franco-canadienne
Présente au Canada depuis plus d’une décennie, OVHcloud entretient des relations étroites avec la communauté d’affaires franco-canadienne. « Nos liens avec la Chambre de commerce et d’industrie française au Canada (CCIFC) sont solides et durables, souligne Guillaume Gilbert. On y croise à la fois des entreprises françaises bien implantées ici, mais aussi des acteurs canadiens intéressés par notre approche. »

Cette implication ne passe pas inaperçue. Lors du Gala 2025 de la CCIFC, OVHcloud a été récompensée pour son engagement exemplaire en matière d’innovation technologique et de responsabilité environnementale. « Pour nous, ce genre de reconnaissance est un encouragement à poursuivre nos efforts. C’est aussi une vitrine pour faire rayonner l’expertise française en matière de cloud souverain sur le territoire canadien », ajoute-t-il.
OVHcloud : une success story née à Roubaix
L’aventure OVHcloud débute en 1999, à Roubaix, dans le nord de la France. Son fondateur, Octave Klaba, alors jeune diplômé passionné d’informatique, décide de créer sa propre société d’hébergement web. Issu d’une famille d’ingénieurs polonais immigrée en France à la fin des années 1980, la légende raconte qu’Octave Klaba assemblait lui-même ses premiers serveurs dans une petite chambre de bonne.
Le nom « OVH » viendrait d’un jeu de mots sur « On Vous Héberge », bien que d’autres affirment qu’il s’agit des initiales du pseudonyme, Oles Van Herman, qu’Octave utilisait sur les forums informatiques à ses débuts. Quoi qu’il en soit, la société connaît une croissance fulgurante : rapidement leader français, puis européen de l’hébergement, OVH anticipe dès le milieu des années 2000 le virage stratégique de l'infonuagique.
Côtée en bourse depuis 2021, OVHcloud reste une entreprise familiale, Octave Klaba étant aujourd’hui président du conseil d’administration. OVHCloud incarne un modèle européen du numérique, attaché à l’indépendance technologique, à l’innovation industrielle et à la protection des données personnelles.
Le pari de la souveraineté numérique
Alors que la prise de conscience des enjeux liés à la souveraineté numérique s’amplifie, OVHcloud se pose en acteur de confiance. « On est clairement dans une dynamique où nos interlocuteurs publics comme privés veulent limiter leurs dépendances technologiques », observe Guillaume Gilbert.
Au cœur du discours d’OVHcloud, la notion de souveraineté prend plusieurs visages : légale, technologique et opérationnelle. L’entreprise s’appuie sur une structure juridique spécifique pour se prémunir contre les lois extraterritoriales américaines, notamment le Cloud Act, qui permet à Washington d’accéder aux données hébergées par des entreprises américaines, même à l’étranger. « Nos activités américaines sont totalement séparées du reste du groupe », insiste Gilbert, rappelant que cette étanchéité tant juridique que technique fait d’OVHcloud un cas unique parmi les grands acteurs du secteur.
"Nous ne touchons jamais aux données de nos clients, et nos solutions interopérables et réversibles leur permettent de garder le contrôle de leur parcours numérique".

Une approche industrielle atypique et écoresponsable
Chez OVHcloud, la maîtrise industrielle est une arme stratégique. L’entreprise conçoit et assemble ses propres serveurs, fabrique ses racks, modernise ses centres de données et, fait rare, détient son propre réseau de fibre optique, y compris sous-marin. « C’est ce modèle intégré qui nous a permis de doubler notre production pendant la crise du Covid », se souvient Gilbert.

Sur le plan environnemental, OVHcloud se distingue aussi par son engagement tangible. Pionnière du refroidissement par eau, la firme française a supprimé la climatisation de ses data centers, divisant par deux sa facture énergétique. « Nous avons déposé plus de 100 brevets en matière de refroidissement liquide », précise-t-il. Le groupe va plus loin, en reconditionnant ses serveurs pour leur donner plusieurs vies, et en intégrant dans ses bilans carbone le fameux "Scope 3", souvent éludé, qui prend en compte l’impact de toute la chaîne de production.
Les 3 Scopes du bilan carbone
Scope 1 → Émissions directes (usines, véhicules).
Scope 2 → Émissions indirectes liées à l’énergie (électricité, chauffage).
Scope 3 → Émissions indirectes élargies (fournisseurs, transport, usage des produits, déplacements…).
🧭 Le Scope 3 est souvent le plus vaste… et le plus complexe à réduire.
Un modèle européen dans un monde bipolaire
Dans le monde du cloud, deux visions s’opposent : celle des États-Unis et de la Chine, où la donnée est un objet de contrôle, et celle de l’Europe, centrée sur la protection et le consentement. « Entre le RGPD et la loi 25 au Québec, on retrouve une vraie communauté de valeurs », souligne Guillaume Gilbert.
L’approche d’OVHcloud séduit de plus en plus d’organismes publics et d’entreprises soucieuses de transparence et de liberté. « L’objectif, c’est que nous ne soyons plus considérés comme un plan B, mais comme le plan tout court », glisse-t-il avec malice. Face à des géants comme Amazon, Google ou Microsoft, OVHcloud mise sur un cloud ouvert, interopérable, qui garantit la portabilité des données et évite l’enfermement technologique.
Une alternative qui prend de l’ampleur
Avec 1,6 million de clients dans 142 pays, 43 centres de données sur quatre continents et une présence renforcée au Canada, OVHcloud confirme son statut d’alternative crédible aux leaders mondiaux. « Ce que nous proposons, c’est une infrastructure souveraine, fiable, transparente et durable », conclut Guillaume Gilbert.
Mais l’avenir du cloud sera-t-il européen ? Et surtout, les États et entreprises franchiront-ils réellement le pas de la diversification ? La réponse se joue peut-être dans les mois à venir, au croisement de la géopolitique, de l’éthique numérique et de la résilience technologique.
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