Édition internationale

Avec Biocene, Kimia Shafighi redonne vie aux eaux envahies par les algues

Née à Téhéran, arrivée au Québec à l’âge de 7 ans, Kimia Shafighi a cofondé Biocene avec Hasan Sagheer et Justin de Vries. Ensemble, ils ont conçu une technologie innovante pour extraire les algues des plans d’eau contaminés, restaurer les milieux naturels et transformer cette biomasse en ressources durables : bioénergie, engrais, matériaux biosourcés… Une révolution verte qui prend racine dans un parcours personnel traversé par l’immigration, la résilience et une passion pour la science.

Kimia Shafighi - Photo LPJKimia Shafighi - Photo LPJ
Kimia Shafighi cofondatrice de Biocene, une startup montréalaise qui transforme les algues en moteur écologique, entre dépollution des eaux et valorisation de la biomasse. Photos LPJ
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 8 avril 2025, mis à jour le 10 avril 2025

 

Une enfance entre déracinement et soif d’apprendre

« Ce qui a poussé mes parents à quitter l’Iran, c’était avant tout le souhait de nous offrir, à mon frère et moi, les meilleures chances d’accéder à une éducation stable », raconte Kimia Shafighi. Dans un contexte politique incertain, sa mère, nutritionniste, et son père, ancien directeur d’un établissement de télévision, choisissent de s’installer à Montréal. Ils y trouvent un nouveau départ et se réinventent dans l’enseignement, en ouvrant chacun un centre de soutien scolaire. Kimia grandit entre deux cultures, nourrie par un profond respect pour ses racines et une curiosité scientifique précoce : très tôt, elle se passionne pour les mystères du vivant.

 

 

De la neuro-ingénierie à la bioremédiation

Étudiante en génie biologique à l’Université McGill, Kimia envisage d’abord une carrière dans les neurosciences appliquées. « Je rêvais de comprendre le cerveau, de le modéliser, pourquoi pas de le reconstruire… » Mais c’est dans un laboratoire étudiant, où biologie, ingénierie et design s’entrelacent, que sa trajectoire bascule. D’abord crèmes solaires biodégradables, puis gels cicatrisants... jusqu’à un projet d’assainissement de l’air par les algues. « À force de recherches, on s’est rendu compte qu’on pouvait aller plus loin. Les algues avaient un potentiel immense, mais elles posaient aussi de sérieux problèmes quand elles proliféraient dans les eaux douces. »

 

 

Quand l’excès devient ressource

C’est un soir, après des semaines de veille scientifique, que Kimia a ce qu’elle appelle son « moment eureka ». Les algues captent du CO₂, regorgent de nutriments et d’énergie… mais leur accumulation excessive menace les écosystèmes aquatiques. « On a alors décidé de pivoter. L’idée n’était plus de les utiliser pour filtrer l’air, mais pour restaurer les plans d’eau, tout en les valorisant. »

Ainsi naît Biocene. L’objectif ? Déployer des dispositifs — mobiles ou stationnaires selon les sites — capables d’aspirer l’eau, de filtrer les algues et les excès de phosphore et d’azote, puis de rejeter une eau assainie.

 

 

AquaAction et un écosystème fertile

C’est à travers le programme AquaEntrepreneur, porté par l’organisation AquaAction, que Biocene franchit un cap décisif. « Leur accompagnement a vraiment été déterminant pour nous. C’est grâce à eux que nous avons pu nouer un partenariat avec le Centre des technologies de l’eau (Cteau) en vue de notre projet pilote avec Parcs Canada », explique Kimia Shafighi.

Mais, depuis ses débuts, Biocene a aussi pu compter sur le soutien précieux d’autres incubateurs de l’écosystème montréalais, notamment le Dobson Centre for Entrepreneurship de McGill, le Centech et Cycle Momentum. « Avec nos profils très techniques, ces programmes nous ont permis de développer une vraie culture d’affaires et de tisser des liens avec un réseau entrepreneurial stimulant. » Pour Kimia, cette dynamique d’accompagnement a joué un rôle essentiel dans la structuration du projet et dans la capacité de Biocene à envisager le passage à l’échelle.

 

 

Des tests en laboratoire aux premiers déploiements

« Notre technologie permet non seulement d’éliminer les floraisons d’algues, mais aussi de freiner leur retour, en captant les nutriments qui les nourrissent », précise Kimia. Après des mois de prototypage, Biocene s’apprête à franchir un cap. En mai, un premier projet pilote sera lancé avec Parcs Canada, au canal de Chambly, pour tester l’installation en conditions réelles.

Une seconde expérimentation est prévue avec le Conseil de bassin versant de la rivière Etchemin. « Ce sera l’épreuve du feu. On veut voir comment notre système réagit aux conditions climatiques, à la turbidité, aux fluctuations saisonnières. »

 

 

 

Kimia lors de sa présentation au salon Americana
Kimia présente Biocene lors du salon Americana 2025

 

 

 

Le Prix du public à Americana : une reconnaissance inattendue

En mars, Biocene participait au salon Americana, l’un des plus grands rassemblements dédiés à l’environnement en Amérique du Nord. À la surprise générale, c’est ce jeune projet, encore en phase pilote, qui a remporté le Prix du public. « C’était un immense honneur. Il y avait des startups bien plus avancées que nous, avec des produits déjà commercialisés. Mais je crois que notre message a touché les gens. Les algues, tout le monde les voit, tout le monde en souffre. Et notre solution est concrète. »

 

 

Des algues recyclées, pas éliminées

Contrairement à d’autres systèmes de dépollution, Biocene ne se contente pas d’évacuer les algues. Elle les récupère, les incube, les fait croître, puis les transforme. « Ce qui fait notre force, c’est cette double action : d’un côté on restaure les plans d’eau, de l’autre on crée une matière première utile. »

Les usages sont nombreux : production de biochar, de biogaz, d’engrais, de bioplastiques. « On travaille avec différents centres de recherche pour tester ce qu’on peut tirer de notre biomasse. C’est très variable selon les types d’algues, leur contenu en carbone, en lipides, en sucres… »

 

 

 

Un avenir local… et international

Pour Kimia, l’objectif est clair : démontrer l’efficacité du système à grande échelle au Québec, avant de penser à l’exportation. « Si tout fonctionne, on pourra installer nos unités autour de grands lacs comme Magog, Champlain ou Saint-François. Ce sont des plans d’eau où les algues sont un vrai fléau. » L’international viendra ensuite, avec prudence. « La technologie mécanique est adaptable. Mais la valorisation des algues dépend de chaque région, de leurs variétés locales, de la composition des eaux. Il faudra des partenaires, du transfert de savoir-faire, une vraie logique de collaboration. »

 

Biocene, une réponse vivante aux défis de demain


Biocene, c’est déjà plus qu’un projet étudiant. C’est un pari scientifique, écologique et économique porté par une équipe jeune et déterminée. « On ne veut pas simplement nettoyer l’eau. On veut proposer un nouveau cycle, où même un déchet peut devenir une solution », résume Kimia.

Si les essais à venir sont concluants, Biocene pourrait bien devenir une référence mondiale dans la lutte contre la pollution des milieux aquatiques. Et redonner à l’algue, cette mal-aimée des étés québécois, un rôle-clé dans la transition écologique.

 

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