Du 14 au 16 avril 2025, les Cambodgiens du monde entier, y compris à Montréal, accueillent l’an 2569 du calendrier bouddhique à l’occasion du Nouvel An khmer, ou Chaul Chnam Thmey. Bien plus qu’une simple fête, cet événement symbolise le passage du temps, la purification des âmes et le renforcement des liens communautaires. À Montréal, les célébrations allient ferveur religieuse, gastronomie, danses traditionnelles et réflexions contemporaines sur l’identité.


Une nouvelle année sous le signe de la tradition, de l’eau et du renouveau
Le Nouvel An khmer suit le calendrier solaire traditionnel lié au zodiaque indien, et marque l’entrée du soleil dans le signe du Bélier, au moment où la saison sèche touche à sa fin et laisse place à la saison des pluies. Ce basculement climatique, vital pour les rizières et la fertilité des terres, confère à l’eau une valeur symbolique profonde.
En 2025, les Cambodgiens fêtent l’année 2569 selon l’ère bouddhique. Les festivités s’étendent sur trois jours, chacun porteur d’une signification spirituelle : le premier jour rend hommage aux ancêtres, le deuxième est consacré aux actes de charité, et le troisième à la purification du corps et de l’esprit.
Partout, l’eau est présente : elle lave les statues de Bouddha, elle bénit les aînés, elle circule dans les jeux et les rituels comme une promesse de régénération. « C’est une période de renouveau, de pardon et de gratitude, et l’eau est l’élément qui relie tous ces gestes », explique un moine rencontré à la pagode de Rivière-des-Prairies.
À l’heure du Nouvel An Khmer, un hommage au Tonlé Sap

Une tradition vivante au cœur de la métropole
À Montréal, la fête de Chaul Chnam Thmey est un moment phare pour les quelque 30 000 membres de la communauté cambodgienne du Québec. Les célébrations sont organisées dans les temples bouddhistes de la région, notamment à Montréal, Laval et Longueuil.
On y retrouve les rituels d’aspersion d’eau sur les statues de Bouddha, des offrandes aux moines, ainsi que des prières pour la prospérité et la santé. « C’est l’occasion pour nous de transmettre nos traditions aux plus jeunes et de partager notre culture avec nos amis québécois », témoigne Sokha, bénévole à la pagode.
La génération « sandwich » : entre deux héritages
Entre leurs parents, survivants du régime khmer rouge, et leurs enfants nés au Québec, nombreux sont ceux qui se définissent comme la « génération sandwich ». Portant le poids de la mémoire, tout en devant composer avec les exigences d’une vie moderne nord-américaine, ils jouent un rôle crucial dans la médiation culturelle. « On se sent à la fois responsables de ne pas oublier ce que nos parents ont vécu, et en même temps, on doit trouver un langage accessible pour nos enfants », confie Pinou, avocate. Cette double appartenance devient un moteur de créativité, mais aussi une source de tension identitaire.
Pinou, ou le Cambodge en héritage

Danses, musique et mémoire collective
À Montréal, les festivités du Nouvel An khmer ne se déroulent pas uniquement dans les temples. De nombreux membres de la communauté se retrouvent aussi dans les restaurants cambodgiens de la ville, transformés pour l’occasion en lieux de rassemblement festif. On y partage les plats traditionnels autour de grandes tables, au son des musiques populaires actuelles venues du Cambodge.
Entre deux bouchées d’amok ou de bœuf lok lak, les chants résonnent, souvent repris en chœur, et les pistes de danse se remplissent rapidement. Les rythmes sont ceux du Cambodge d’aujourd’hui : pop khmère, remix électro de ballades nostalgiques, tubes transgénérationnels qui font danser jeunes et moins jeunes. Ces moments de fête, à la fois joyeux et décontractés, incarnent une culture qui vit pleinement son époque tout en gardant un lien fort avec ses racines.
Une mémoire mondiale, portée par l’art et le dialogue
Cette année, Montréal s’inscrit dans un vaste programme commémoratif mondial porté par l’organisation Cambodian Living Arts. Intitulé Acts of Memory, ce projet marquera les 50 ans de la chute de Phnom Penh par une série d’événements organisés dans plusieurs villes – du Cambodge à Paris, en passant par Long Beach, Sydney et Montréal. À travers l’art, la parole et la transmission, il s’agit de rendre hommage aux victimes du régime khmer rouge tout en célébrant la résilience et la créativité des communautés cambodgiennes en diaspora.
La première séquence, le 17 avril, Honoring the Past, invitera à une réflexion collective sur la mémoire. Des rencontres en ligne en lien avec les autres villes participantes, accompagneront un rassemblement au Cambodian American Heritage Museum & the Killing Fields Memorial à Phnom Penh, pour rappeler l’importance de cette date fondatrice dans l’histoire contemporaine du Cambodge. Une salle virtuelle restera ouverte toute la journée, permettant à chacun de se recueillir à son rythme.

Puis, le 26 avril, la journée Hope in Motion prendra le relais. Une rencontre intergénérationnelle sera organisée dans la métropole québécoise pour faire dialoguer artistes, survivants et jeunes autour de la question identitaire : que signifie être Cambodgien, ici et maintenant ? « En 2025, l’histoire du Cambodge occupe le devant de la scène », souligne Jean-Baptiste Phou, curateur du projet. « Il s’agit de réfléchir à notre passé, mais aussi d’imaginer ensemble notre avenir, par l’art, la culture et la communauté. » À Montréal comme ailleurs, la mémoire se fait vivante, portée par la création.
Toutes les informations sur ces journées du 17 et 26 avril et les liens d’inscription (en anglais)
La gastronomie comme vecteur d'identité
Amok au lait de coco, kralan cuit dans le bambou, salades au bœuf mariné et desserts sucrés au tapioca : la cuisine khmère occupe une place centrale dans le Nouvel An. Ces plats sont préparés en famille et partagés dans un esprit de générosité. « Pour moi, cuisiner pour le Nouvel An, c’est un acte d’amour et un souvenir de mon enfance au Cambodge », nous confie un restaurateur à Montréal.

Une jeunesse entre deux mondes
À travers le Nouvel An, la jeunesse cambodgienne du Québec retrouve un ancrage identitaire. Cours de khmer, ateliers de tissage, performances artistiques : les jeunes s’approprient la tradition avec créativité. « C’est important pour moi de connaître mes racines et de les partager avec mes amis d’ici », explique Lina, étudiante en arts visuels. Loin d’un simple folklore, Chaul Chnam Thmey devient un levier d'affirmation culturelle.
Le festival Champa, une première pour Montréal
Pour prolonger les célébrations culturelles du Nouvel An khmer, et dans le contexte du Mois du patrimoine asiatique, Montréal accueillera les 22, 23 et 24 mai 2025 la toute première édition du festival Champa, organisée à la Place des Arts. Pensé comme un carrefour entre mémoire et création contemporaine, ce rendez-vous proposera des spectacles de rue, des expositions, des ateliers de danse et des dégustations culinaires tout au long du week-end.
Point d’orgue du festival : la première canadienne de Bangsokol : un requiem pour le Cambodge, une œuvre poignante née de la collaboration entre le cinéaste Rithy Panh et le compositeur Him Sophy. Déjà présentée à Melbourne, New York, Boston, Paris et Phnom Penh, cette création mêle musique classique occidentale, chant traditionnel khmer et images d’archives pour rendre hommage aux victimes du génocide et à la culture cambodgienne renaissante.
« Champa, c’est un hommage à la fleur emblématique du Cambodge, mais aussi à l’idée de résilience et de beauté que porte notre culture », explique Victor-Amarin Pann, directeur de l’événement. Des activités familiales seront également proposées du vendredi au dimanche, faisant de ce festival une occasion unique de découvrir la richesse et la profondeur de la culture khmère dans un cadre accessible à tous.
Le Festival Champa : trois jours pour célébrer l’âme cambodgienne à Montréal
Entre enracinement et renouveau
Entre mémoire, célébration et transmission, le Nouvel An khmer à Montréal témoigne d’une culture en mouvement, enracinée dans une histoire douloureuse mais portée par l’espoir et la créativité. Comment cette fête évoluera-t-elle dans les années à venir, entre préservation des rituels et adaptation aux réalités québécoises ? L’avenir de Chaul Chnam Thmey au Québec appartient désormais à celles et ceux qui, chaque printemps, le réinventent.