Édition internationale

Le charme discret de maisons black & white à Singapour, héritage de la colonisation

Nichées au milieu de parcs luxuriants, les maisons black and white, héritages de la colonisation britannique se caractérisent par le contraste entre la blancheur de leurs murs et la couleur foncée de leur charpente apparente. Le style de ces bâtiments, adaptés au climat équatorial, a évolué entre la fin du 19ème siècle et la seconde guerre mondiale.

Atbarra, l’ancienne ambassade de France à Singapour (©Jean-Michel Bardin)Atbarra, l’ancienne ambassade de France à Singapour (©Jean-Michel Bardin)
Atbarra, l’ancienne ambassade de France à Singapour (©Jean-Michel Bardin)
Écrit par Jean-Michel Bardin
Publié le 12 février 2025, mis à jour le 25 février 2025

 

 

Si Singapour est le pays de prédilection des maisons black and white (B&W), quelques-unes se trouvent aussi en Malaisie, qui partage avec Singapour le statut d’ancienne colonie britannique en climat équatorial. La définition des maisons B&W varie selon les auteurs, leur nombre aussi. D’après le SLA (Singapore Land Authority) qui les gèrent à Singapour, il n’en existerait plus qu’environ 500, essentiellement celles construites pour les fonctionnaires et militaires britanniques entre les deux guerres mondiales. Les plus anciennes, ayant appartenu à des propriétaires privés, ont pour la plupart disparu au profit d’immeubles de rapport.

 

 

Les premiers colons, en provenance de l’Inde, arrivent à Singapour, avec, en tête, une architecture adaptée aux tropiques 

 

 

Inverturren, l’ancienne résidence de France à Singapour (© Jean-Michel Bardin)
Inverturren, l’ancienne résidence de France à Singapour (© Jean-Michel Bardin).png

 

 

Connaissez-vous les shophouses, fleuron de l’architecture urbaine de Singapour ?

 

 

Les maisons black & white, la mode architecturale anglaise tropicalisée

Les colons britanniques ont essayé d’apporter avec eux le mode de vie de leur pays d’origine, en se démarquant autant que possible des populations indigènes, supposées avoir une mauvaise influence, en particulier dans l’architecture des demeures coloniales. Leur style a suivi, parfois avec un peu de retard, la mode en vigueur en Angleterre. Les maisons black & white correspondent à ce qui s’y pratiquait entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème, successivement les styles Tudor et Edwardien. Mais avec un « twist » : ces maisons n’étaient guère adaptées au climat équatorial, chaud et humide, à une époque où l’air conditionné n’existait pas. 

Les premiers colons, en provenance de l’Inde, arrivent à Singapour, avec, en tête, une architecture adaptée aux tropiques : de larges vérandas et corniches protégeant les murs de l’impact direct du soleil, des hauts plafonds permettant à la chaleur de monter, des fenêtres à persiennes permettant la circulation de l’air tout en préservant l’intimité  et des toits en pente pour faire face aux pluies torrentielles. Avec ce modèle d’habitation en tête, ils y ajoutent une touche malaise : la surélévation du rez-de-chaussée pour faciliter la circulation d’air sous la maison, la protéger des inondations et des termites. Au plus chaud de la journée, des stores, également noirs et blancs, sont baissés autour de la véranda pour garder la maison fraîche. L’habitation principale est souvent reliée par un passage couvert à un bâtiment annexe qui abrite la cuisine et les domestiques. C’est sur cette base que se sont développés les styles successifs de maisons coloniales de Singapour.

 

Sur les 500 Black and White restantes, seules 262 sont ouvertes à la location pour un usage d’habitation.

 

 

Maison du quartier de Goodwood park datant de 1910 (© Roots)
Maison du quartier de Goodwood park datant de 1910 (© Roots)

 

Les premières maisons black & white, apanages de riches résidents

Si le père fondateur de la maison B&W, l’architecte anglais Regent Alfred John Bidwell, n’est guère contesté, la date de naissance du style B&W est débattue. Certains citent Atbarra, l’ancienne ambassade de France, construite en 1898 par Bidwell, comme la plus ancienne maison B&W de Singapour. Mais d’autres font remarquer que ses traits moresques la placent dans une catégorie à part. Cependant, elle présente déjà des traits caractéristiques des maisons B&W ultérieures, comme les grands porches, pour accueillir les visiteurs à l’abri du soleil et de la pluie, et l’étage constitué d’une ossature en bois, pour transmettre moins la chaleur à l’intérieur.

 

 

C’est le style Tudor, renaissance d’une architecture datant du 16ème siècle, alors en vogue en Angleterre, qui inspire les premières maisons B&W

 

 

Exemple de maison de style Tudor en Angleterre (© Wikimedia)
Exemple de maison de style Tudor en Angleterre (© Wikimedia)

 

C’est le style Tudor, renaissance d’une architecture datant du 16ème siècle, alors en vogue en Angleterre, qui inspire les premières maisons B&W commanditées par de riches résidents jusqu’à la première guerre mondiale. Il est caractérisé par des façades blanches à charpente apparente, des toits en forte pente avec des pignons, et des grandes cheminées en briques.

Il est donc adapté à Singapour, en le surélevant, et en y ajoutant véranda et fenêtres à persiennes. Il ne reste malheureusement que peu de spécimens de cette époque, car leurs propriétaires, privés, ont trouvé à un moment donné plus avantageux de les détruire, au profit de développements immobilier plus rentables. Ceux qui ont survécu, sont ceux construits par le gouvernement au profit des fonctionnaires britanniques, comme par exemple, à Goodwood park, à deux pas d’Orchard road. Ces demeures rappellent d’ailleurs les maisons de plantations alors en vogue en Malaisie.

 

 

Vivre dans une maison black & white n’est pas à la portée de n’importe qui. Aujourd’hui, la quasi-totalité du parc d’habitations B&W appartient au gouvernement qui le gère par l’intermédiaire du SLA. Sur les 500 restantes, seules 262 sont ouvertes à la location pour un usage d’habitation. Ce faible nombre par rapport à leur attrait et leur attribution aux enchères fait que leur loyer est assez élevé : si la moyenne se situe autour de 13.000 SGD par mois, les plus belles dépassent les 40.000 SGD par mois. Les contrats sont de 2 ou 3 ans. Les habitations vacantes se comptent sur les doigts d’une main. Une fois le contrat signé, vous n’êtes pas au bout de vos peines. Toutes ces habitations sont protégées et donc toute rénovation doit suivre des règles précises et être autorisée. De plus, il vous revient de les entretenir, ce qui n’est pas une mince affaire compte tenu de leur grand âge. Enfin, sous le climat singapourien, le jardin, qui ajoute au charme de la maison, peut vite se transformer en jungle envahissante, si vous ne vous en occupez pas en permanence.

 

 

Les Black & White, ou l’élégance en voie d’extinction...

 

Starbucks Coffee à Rochester park (© Flickr)
Starbucks Coffee à Rochester park (© Flickr)

 

 

Black & white, habitations pour fonctionnaires et militaires britanniques

Après la première guerre mondiale, l’architecture devient un peu plus sobre et s’inspire du style Edwardien. Les bâtiments encore debout aujourd’hui ont été pour la plupart construits par le service britannique des travaux publics pour loger les nombreux militaires et fonctionnaires résidant à Singapour : non seulement des maisons individuelles pour les personnes de haut rang, mais aussi des immeubles pouvant loger plusieurs familles, des casernes, des bureaux, et des hôpitaux. Solides face aux tropiques, mais pas aux promoteurs ni aux loyers délirants : les Black & White, ou l’élégance en voie d’extinction...