C’est le sujet d’actualité à l’étranger où plusieurs initiatives ont été lancées. En Espagne, où le "présentisme" est profondément ancré, ce sont d’abord les mentalités qu’il faudra changer. Un congrès sur la rationalisation des horaires espagnols s’est tenu hier pour faire bouger les choses.
La filiale de Microsoft au Japon vient de publier les surprenants résultats d’un test qu’elle a effectué cet été. L’expérience, appelée life choice challenge, a été conduite pendant le mois d’août auprès des 2.300 employés qui n’ont pas travaillé les vendredis et ce, sans réduction de salaire. L’objectif était qu’ils effectuent le même travail en moins de temps. Les résultats du test ont indiqué que non seulement la productivité des équipes avait augmenté de 40% mais les employés prenaient 25 % de pauses en moins, et les réunions étaient considérablement écourtées ! Point positif pour l’environnement, la consommation d’électricité avait baissé de presque 25%, et les employés imprimaient 59% de feuilles en moins. Enfin, pratiquement tous les employés se sont déclarés plus heureux pendant cette période où ils ont pu mieux profiter de leur famille. Après ces résultats, Microsoft n’a pas encore pris de décision définitive à ce sujet, mais un nouveau test devrait être réalisé cet hiver.
D’autres initiatives existent en Allemagne, aux Pays Bas, en Suède ou au Royaume Uni, où les syndicats sont d’ailleurs décidés à implanter ce modèle durant la prochaine décennie. Mais c’est en Nouvelle Zélande que tout a commencé. Après l’avoir testé pendant deux mois, l’entreprise Perpetual Guardian a été la première à instaurer l’an passé la semaine de 4 jours. Ses employés affirment être moins stressés et avoir un meilleur équilibre entre leur vie privée et leur travail. Et comme il ne s’agit pas de travailler plus, ils ont appris à mieux gérer leur temps. Ainsi, par exemple, ils ont réappris à communiquer en se parlant plutôt qu’en s’envoyant des mails. En définitive, une semaine de 4 jours ne veut pas dire travailler moins, mais travailler différemment.
Les employés ont des journées de travail de plus en plus longues alors qu’ils sont de moins en moins motivés et productifs
En Espagne, cependant, et contrairement à la vision qu’on peut en avoir à l’extérieur, les journées de travail sont souvent bien plus longues qu’elles ne le devraient et l’une des principales raison est le "présentisme", le fait d’être à son poste de travail, mais sans pour autant vraiment travailler. Ce phénomène, qu’on appelle plus communément en espagnol "réchauffer la chaise" est une pratique très répandue en Espagne, qui conduit à un véritable cercle vicieux dans lequel les employés ont des journées de travail de plus en plus longues alors qu’ils sont de moins en moins motivés et productifs. D’après une récente étude d’ARHOE -la Commission Nationale pour la Rationalisation des Horaires Espagnols-, le présentisme sévit dans près de la moitié des entreprises espagnoles. "Je préfère l’appeler 'absentéisme mental' –déclare José Luis Casero, le président d’ARHOE, qui a tenu le 13 novembre un Congrès sur la Rationalisation des horaires espagnols intitulé 'utilisation du temps, conciliation et flexibilité'-. "C’est un modèle tellement enraciné qu’il existe même des systèmes qui priment ceux qui travaillent le plus, au lieu de récompenser le travail par objectifs !".
D’après la dernière étude IFREI (IESE Family Responsible Employer Index) réalisée par l’IESE Business School et qui évalue l’implantation de politiques de conciliation dans 19 pays, 73% des salariés espagnols considèrent que leur environnement de travail nuit occasionnellement ou systématiquement à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et 70% estiment que le recours aux règles de conciliation prévues par la loi leur nuirait. De même, 48% des femmes et 41% des hommes pensent que leurs entreprises attendent d’eux qu’ils restent plus longtemps à leur poste de travail. Avec la crise, la peur de perdre son emploi est également un des facteurs déterminants.
Les Espagnols travaillent en moyenne entre 150 et 200 heures de plus que les travailleurs allemands, français ou belges
Il y a ensuite ce que le président d’ARHOE appelle les "voleurs de temps". Il s’agit de tout le temps perdu pendant les heures de travail, comme le fait de sortir au bar prendre un petit déjeuner, ou se mettre à regarder ses mails personnels ou les réseaux sociaux. "Plus de 35% des espagnols finissent de travailler après 19h00 – rappelle Casero- et cela fait juste référence aux bureaux. C’est un problème socioculturel, et les entreprises se laissent emporter par la routine et une journée de travail immuable. A la fin, les Espagnols travaillent en moyenne entre 150 et 200 heures de plus que les travailleurs allemands, français ou belges".
Alors, pas facile de lutter contre les mentalités et mauvaises habitudes ancrées profondément dans la société. Dans le cas de l’Espagne, cela passe d’abord par l’adoption d’horaires plus "européens", autrement dit commencer et finir plus tôt avec une pause déjeuner plus courte, ce qui en soi représente déjà un révolution. "Il est nécessaire de s’adapter à des horaires plus rationnels – explique Casero-, qui sont également plus conformes à ceux d’autres pays européens. Nous sommes le seul pays qui a des pauses de plus de deux heures à l'heure du déjeuner. Il est habituel de dîner à partir de 21h30 le soir. Les magasins sont toujours ouverts et le prime time à la télévision est bien plus tard que dans le reste de l’Europe. Les conséquences de ces horaires sont des heures de sommeil en moins, une faible productivité, une incapacité à concilier la vie personnelle et professionnelle, sans parler des problèmes de santé".
Les entreprises qui adoptent des horaires plus rationnels augmentent leur productivité de 19%
Étant donné que l’année prochaine l’Espagne va devoir choisir entre l’horaire d´été et d’hiver, ARHOE pense que cela pourra être l’occasion de faire bouger les choses et pour cela il faut qu’il y ait une véritable volonté politique, avec une personne au gouvernement chargée exclusivement de ce thème afin de catapulter le sujet.
Le même rapport d’IESE signale que les entreprises qui adoptent des horaires plus rationnels augmentent leur productivité de 19%, diminuent l’absentéisme de 25%, améliorent l’ambiance de travail et donc retiennent leurs employés. Une récente étude d’Infojobs a par ailleurs montré que les jeunes ne sont plus seulement intéressés par l’argent, mais que le temps libre est un facteur fondamental dans le choix d’une entreprise. L’Espagne est certes à la traine mais, comme le rappelle le président d’ARHOE, les journées de travail intensives établies dans de nombreuses d’entreprises de juin à septembre prouvent que travailler moins d’heures est parfaitement possible.
Certaines entreprises –des multinationales aux plus petites- l’ont bien compris et commencent à restructurer leurs horaires et à introduire de la flexibilité pour attirer et aussi retenir les talents. Les salariés du siège social d'Inditex auront leurs vendredis après-midi libres à compter du 1er janvier 2020. Le reste de la semaine, ils bénéficieront d’un horaire plus flexible. Depuis le mois d’octobre, la compagnie hôtelière Room Mate a lancé une politique de ressources humaines innovante qui consiste à augmenter de 32% la période de repos de l’ensemble des travailleurs. Les employés auront une semaine de vacances en plus, un jour de congé dans la semaine de leur anniversaire et un mois supplémentaire de congé de maternité ou paternité. Le télétravail peut également être une solution intermédiaire et plusieurs entreprises en Espagne permettent désormais à leurs employés de travailler un ou deux jours depuis chez eux.