À l’origine du livre Survive!, qui donne la parole à Khieu Kanharith, figure historique du Parti du Peuple Cambodgien (PPC), Pierre Gillette, ancien rédacteur en chef de Cambodge Soir, explique la genèse d’un projet éditorial unique. Plus qu’une biographie, plus qu’un document historique, c’est pour lui un témoignage essentiel sur la manière dont le pouvoir a été pensé, vécu et exprimé depuis un demi-siècle.


Un interlocuteur familier, une parole singulière
Pierre Gillette le dit d’emblée : son envie de faire ce livre ne date pas d’hier. « Comme je l’écris dans le prologue, je connais Khieu Kanharith depuis longtemps. Je l’ai rencontré dans les années 1990, à une époque où il était porte-parole du PPC et aussi porte-parole du gouvernement. »
À ce moment-là, en tant que rédacteur en chef de Cambodge Soir, Gillette le côtoie régulièrement. « J’avais souvent affaire à lui pour connaître la réaction du gouvernement ou du PPC sur tel ou tel événement. Et à cette époque, il s’en passait des choses. C’était une période où les événements étaient nombreux, le Cambodge bougeait dans tous les sens. »
Ce qui frappe alors le journaliste, c’est le style de son interlocuteur. « Il avait une manière de s’exprimer qu’on pourrait qualifier de “cash”. Certes, il transmettait la ligne du gouvernement ou du PPC — l’un ou l’autre selon les cas — mais il le faisait d’une façon qui tranchait avec la langue de bois habituelle. »
Ce franc-parler, cette manière d’exposer les choses sans détour, ont marqué Gillette. « Pour un journaliste, c’était ce qu’on appelle un “bon client”. Il ne parlait pas comme un porte-parole lisse. Il assumait ses positions, parfois à rebrousse-poil, mais il donnait à entendre une parole vivante. » Une parole qui, dit-il, permettait aussi de comprendre « la manière dont, du côté du PPC, on voyait les choses, on les analysait ».
Le besoin d’un témoignage au long cours
Ce souvenir d’un interlocuteur hors norme a fait germer une idée. « Je m’étais dit, il y a très longtemps : ce serait intéressant d’avoir le témoignage de Khieu Kanharith dans un format plus long. Pas juste une interview, mais quelque chose qui lui permette de dérouler sa vision sur les cinquante dernières années. »
Le projet mûrit lentement. Et lorsqu’il voit enfin le jour, Pierre Gillette tient à en préciser la nature : Survive! n’est ni une biographie ni un livre d’histoire au sens académique. « Ce n’est pas une biographie au sens propre du terme. Ce n’est pas non plus un document historique à visée scientifique. C’est un témoignage. Le témoignage de quelqu’un qui a été à l’intérieur, au plus près du pouvoir, depuis maintenant quatre décennies. »
Ce qui est livré ici, dit-il, c’est « une parole, dans une langue assez cash, assez claire. Les propos recueillis dans cet ouvrage n'engagent que Khieu Kanharith, il ne parle pas au nom du PPC mais en son nom propre. Il a tenu à le souligner en acceptant de se livrer à cet exercice. »
Il insiste : « Encore une fois, on peut être d’accord ou pas d’accord avec ce qu’il dit. Ce n’est pas la question. Khieu Kanharith veut aussi apporter une lecture de l’histoire du Cambodge différente d’une lecture occidentale qu’il juge biaisée... Ce qui compte, c’est que ce point de vue-là soit entendu. Il mérite d’être versé dans les documents qui permettent de comprendre comment les choses se sont passées, et surtout comment elles ont été pensées du côté du PPC. »
Une clé de lecture : survivre
Pourquoi ce titre, Survive! ? « Parce que c’est un mot qui revient très souvent dans ce que raconte Khieu Kanharith. » Un mot simple, mais qui, selon Gillette, dit beaucoup. « Survivre, parce qu’il a fallu survivre. Et survivre aussi parce que tous ceux qui, dans les années 1980, ont traversé la période khmère rouge ont été profondément marqués par cette peur de la disparition. »
Ce réflexe de survie, selon lui, est central pour comprendre la culture politique du PPC. « Encore une fois, dire ça ne veut pas dire tout justifier. Ce n’est pas parce qu’on a voulu survivre qu’on a toujours eu raison. Mais cela permet de comprendre certaines manières de réfléchir, de raisonner, d’analyser les situations. »
Le mot “survivre” devient, à ses yeux, un fil conducteur. « Ce n’est pas juste un souvenir du passé. C’est une clé de lecture de ce qui s’est joué dans la manière dont le pouvoir a été exercé, consolidé. »
Replacer la parole dans son époque
Gillette insiste aussi sur la nécessité de lire ce témoignage dans son contexte. « Quand il parle des années 1980, il faut bien voir que ça nous ramène à la guerre froide. Le Cambodge n’était pas isolé. Il faisait partie de jeux géopolitiques plus larges, avec des logiques de bloc, des tensions idéologiques, des alliances. »
Pour lui, comprendre les choix du PPC, c’est aussi comprendre ce monde-là. « Ce sont des survivants qui ont raisonné dans un contexte international très particulier. Il faut garder ça à l’esprit. »
Et cela vaut aussi pour le regard porté sur le Cambodge d’aujourd’hui. « Cette façon de penser, elle ne vient pas de nulle part. Elle est le prolongement de cette histoire. »
Un livre qui fera réagir
Pierre Gillette ne se fait pas d’illusions : ce livre ne mettra personne d’accord. « Je suis sûr qu’il va faire réagir. Certains y verront des points de vue inacceptables. D’autres y trouveront un éclairage utile sur la manière dont le PPC a vu les choses. »
Mais là encore, il revient à sa conviction de journaliste. « Ce qui compte, c’est que cette parole existe. Qu’elle soit dite, écrite, transmise. Après, chacun peut en faire ce qu’il veut. »
Il conclut avec lucidité : « Ce livre ne cherche pas à convaincre. Il cherche à faire entendre une voix. Et cette voix fait partie de l’histoire du Cambodge. »
Ce livre est disponible au prix de 40 000 riels (environ 10 dollars).
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