La langue de Molière, pourtant riche et nuancée, laisse parfois échapper des réalités subtiles qu'une poignée de mots étrangers parviennent à saisir avec une précision inattendue. De l'art de se lever à l'aube pour écouter les oiseaux au plaisir de savourer une bière au soleil, certaines expériences du quotidien prennent une tout autre dimension dès qu'on peut les nommer. Une plongée dans ces termes intraduisibles qui ouvrent de nouveaux regards sur le monde.


Balade à travers la forêt
Si se lever tôt est un art, celui de se lever pour entendre les oiseaux gazouiller le matin s’appelle gökotta (suédois). En cette belle matinée, prenons le chemin de la forêt.
Lorsque la lumière du soleil traverse les feuilles des arbres, elle est appelée komorebi (japonais). En marchant sous ces mêmes arbres, le sentiment de solitude paisible que l’on ressent est nommé waldeinsamkeit (allemand).

En levant les yeux vers la cime dégagée, on aperçoit de petits nuages épars dérivant doucement dans le ciel bleu : ce sont les qaza’a (arabe). Mais s’il fait trop froid ou rude pour poser les pieds dehors, au cœur de l’hiver, on peut savourer le gluggaveður, ce temps magnifique que l’on contemple depuis la chaleur d’une maison (islandais).
Continuons notre déambulation près d’une rivière, où sous la lumière dorée du soleil, des yoonseul dansent sur la surface de l’eau (coréen). À la tombée de la nuit, la lueur de la lune vient à son tour se refléter sur les flots, c’est le yakamoz (turc). Parfois, un souffle léger vient troubler cette eau immobile. Ce frisson à peine perceptible et créant de petites rides sur la surface a un nom, le pirr (shetlantic).

Ce qui nous lie au moment présent et aux autres
À l’approche d’un moment attendu, comme un voyage, une fête ou même un simple repas de famille, une douce impatience naît en nous. Il s’agit de la vorfreude, l’excitation à l’idée des plaisirs à venir (allemand). Quand la joie devient trop vive pour rester sage, il ne reste plus qu’à desbundar (portugais), à faire tomber ses inhibitions et se laisser aller à la fête.
Après ce repas copieux, bercé par la chaleur de l’après-midi, il arrive que l’on sente monter un irrésistible abbiocco, cette somnolence douce et inévitable (italien). Dans les cultures latines, après un repas entre amis ou en famille, on prend le temps de rester ensemble, à bavarder, rire ou philosopher… un moment suspendu appelé la sobremesa (espagnol).
Une et deux et trois nuances de "siesta"

Lorsque le soleil revient, et que les premiers rayons réchauffent la terrasse, il est temps de s’offrir un utepils et de savourer une bière au soleil dans une célébration simple du moment présent (norvégien). Sous la pleine lune, on peut prolonger cette insouciance en s’adonnant au tsukimi, qui consiste à passer la nuit à contempler la lune en buvant du saké, entre rêve et ivresse (japonais). Mais la beauté du monde ne se savoure pas toujours seul. Ressentir une joie profonde devant le bonheur d’autrui est un sentiment précieux. En sanskrit, il se dit mudit.

Dans les sociétés africaines de langue bantoue, l’identité elle-même se tisse à travers les liens avec les autres. Ce principe, profondément humaniste, se résume à ubuntu — "Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous". Enfin, lorsque l’absence devient douce douleur, et que les souvenirs s’entremêlent de tendresse et de mélancolie, il ne reste qu’un mot pour le dire : saudade (portugais). C’est ce que chante le fado, ce que murmurent les cœurs qui ont aimé.
Bonus
Parmi les langues du Togo, l’éwé offre aussi un regard chaleureux sur l’altérité : amedjro, l'« étranger », est littéralement "celui que je désire connaître".
Sur le même sujet
