Les Français expatriés aux États-Unis, au Canada ou bien au Royaume-Uni sont souvent amenés à s’intéresser à la question du « trust », cet acte juridique spécifique aux pays anglo-saxons. Nous faisons le point sur cette démarche, son intérêt et ses effets en France avec le notaire Frédéric Varin.
- Lepetitjournal.com : Qu'est-ce que le trust et dans quels pays existe-t-il ?
Me Frédéric Varin : On rencontre principalement le trust dans les pays de la Common Law (pays de droit anglo-saxon).
Le trust n’est ni une personne morale, ni un contrat, ni une fiducie, ni un mandat. C’est une fiction légale qui se définit comme un acte unilatéral par lequel la propriété d’un bien détenu par son fondateur ou constituant (settlorou trustor) est confiée à un détenteur ou administrateur (trustee), dont la charge est de l’administrer pour le compte d’un bénéficiaire (beneficiary).
Les biens affectés dans le trust sortent du patrimoine du constituant, mais ne rentrent pas dans le patrimoine du trustee, ni dans celui du bénéficiaire. Le trustee a généralement les pouvoirs les plus étendus sur les biens logés dans le trust, notamment ceux de disposition.
- Le trust est-il reconnu par le droit français ?
Le trust, instrument fondé par excellence sur la confiance, est une institution étrangère, inconnue du droit civil français.
Il existe une multitude de catégories et de sous-catégories de trusts parmi lesquelles on dénombre, notamment les trust à cause de mort ou encore les trusts inter vivos…
- Dans quel contexte un expatrié français peut-il être amené à réaliser un trust ?
La plupart des problèmes rencontrés par les notaires se posent dans le contexte du trust à cause de mort, et plus particulièrement du trust testamentaire.
En matière successorale, le trust représente une modalité d'organisation de sa succession sur tout ou partie de son patrimoine. La pratique notariale est confrontée depuis longtemps au trust, et une certaine adaptation du trust existe déjà dans le règlement des successions internationales.
Le problème de l'exécution sur des biens situés en France d’un trust testamentaire valablement établi selon une loi étrangère, intervient fréquemment.
Dans les pays anglo-saxons, la mise en place d’un trust permet souvent d’éviter la procédure longue et coûteuse du probate.
Il n’est pas rare qu’un tel outil soit proposé aux expatriés français résidant dans ces pays.
- Quels sont les effets, en France, d'un trust réalisé à l'étranger sur le plan civil ?
Sur le plan civil, le trust valablement constitué à l’étranger ne produira pas d’effet.
En effet, la France, bien qu’elle ait signé la Convention de la Haye du 1erjuillet 1985 sur la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, ne l’a pas ratifiée. Cette convention n’a jamais eu pour but d’introduire le trust dans les pays de droit civil. Elle vise à offrir à leurs juges, leurs notaires et praticiens les éléments essentiels leur permettant de mieux appréhender cette institution et d'en accueillir les effets sur leur territoire.
La Convention de la Haye définit les caractéristiques du trust, établit des règles de conflit sur la loi applicable au trust, et fixe les conditions et les limites de la reconnaissance des trusts valablement constitués à l'étranger. Elle prévoit également des mécanismes de protection de la réserve héréditaire pour éviter la constitution de trust dont l’objet frauduleux serait de contourner cette institution propre et chère au pays de droit civil.
Cette convention a été ratifiée par bon nombre de pays de droit civil et notamment par certains pays voisins de la France, tels que l’Italie, les Pays-Bas, la Suisse ou le Luxembourg. Le notariat s’est d’ailleurs positionné à deux reprises en faveur de la ratification de cette convention.
Pour l’heure, tant que celle-ci n’est pas entrée en application en France, il sera difficile de faire inscrire le trustee en tant que tel sur les registres de la publicité foncière. L’effet de séparation des patrimoines qui rendent les biens du trust insaisissable par les créanciers du trustee, risque d’être ainsi mis à mal.
- Y a-t-il des effets sur le plan fiscal ?
Sur le plan fiscal, le Code Général des Impôts (CGI) donne une définition du trust. L’administration fiscale française ne réserve pas un accueil très favorable aux trusts valablement constitués à l’étranger. Elle met en place des obligations déclaratives incombant aux personnes concernées par un trust et un mécanisme d’imposition qui peut s’avérer parfois très lourd. À cet égard, la façon dont sont rédigées les clauses contenues dans les statuts de trust peut avoir un impact direct sur la fiscalité applicable. L’analyse détaillée de ceux-ci est donc particulièrement conseillée pour éviter des conséquences fiscales catastrophiques en France.
On pourrait par exemple aboutir à des aberrations telles que voir un conjoint taxer en France à 60% si la transmission est mise en place dans par un trust, alors qu’il serait exonéré de toute taxation en l’absence du trust.
- Quels sont les avantages et inconvénients du trust pour l'expatrié français ?
Les avantages sont à vérifier avec le juriste étranger qui conseillera sa mise en place.
Du point de vue français, il n’y en a pas dans la mesure où cette institution n’est à ce jour pas reconnue.
Les inconvénients sont en revanche nombreux :
- Sur le plan civil : difficultés quant au respect de l’institution et du mécanisme qu’elle instaure en France, problème pour titrer le trustee en tant que tel sur les biens immobiliers situés en France, etc…
- Sur le plan fiscal : Le Code Général des Impôts impose des obligations déclaratives relatives aux trusts et une obligation annuelle d’évaluation des actifs pour asseoir la taxe annuelle sur le trust. Le non-respect de ces obligations est lourdement sanctionné.
L'administrateur d'un trust dont le constituant, ou l'un au moins des bénéficiaires, a son domicile fiscal en France, ou qui comprend un bien ou un droit qui y est situé, sera tenu de procéder à des obligations déclaratives au fisc français. En pratique, les trusteeétant souvent domiciliés à l’étranger, ils ont rarement connaissance de ces obligations. De ce fait, beaucoup d’administrateurs se retrouvent aujourd’hui dans des situations compliquées et coûteuses.
D’autre part, l’obligation de déclaration s’étend à l’ensemble des trusts visés par le CGI :
- si le constituant est domicilié en France
- si un bénéficiaire est domicilié en France
- si un actif (bien ou droit) est situé en France
En matière d’IFI, afin de permettre d'appréhender fiscalement les avoirs placés en trust, le CGI prévoit leur rattachement au patrimoine du constituant.
À la lecture du projet de trust, il conviendra d’examiner qui sera considéré comme « constituant » et qui sera susceptible de devenir « bénéficiaire réputé constituant ».
Compte tenu des règles de territorialité applicables prévues par le CGI et sous réserve des stipulations des conventions fiscales conclues par la France, sont taxés au titre de l'IFI :
– les biens ou droits immobiliers et les parts ou actions de sociétés ou d'organismes à raison des biens ou droits immobiliers qu'elles représentent placées dans un trust dont le constituant ou le bénéficiaire réputé constituant est domicilié fiscalement en France, quel que soit le lieu de situation de ces actifs, en France ou à l'étranger ;
– les biens ou droits immobiliers situés en France et les parts ou actions de sociétés ou d'organismes, établis en France ou hors de France, à raison des biens ou droits immobiliers situés en France placés dans un trust dont le constituant et le bénéficiaire réputé constituant n'est pas domicilié fiscalement en France.
En matière de transmission patrimoniale : le Code général des Impôts définit le régime fiscal des trusts en matière de mutation à titre gratuit en consacrant deux hypothèses à savoir :
- les cas des transmissions qui peuvent être qualifiées de donation ou de succession
- et les cas de transmissions qui ne peuvent pas l’être.
Cette distinction est souvent difficile à établir à la lecture de bon nombre de trusts. En fonction de ces deux hypothèses, les droits de mutation à payer varieront. Cela peut aller de l’exonération totale jusqu’à une taxation à 60 % !
- Y a-t-il des avantages à réaliser un trust plutôt qu'une fiducie ?
Le trust et la fiducie ne doivent pas faire l’objet d’un amalgame. La fiducie est un outil de gestion et non de transmission. L’article 2013 du Code civil énonce que le contrat de fiducie ne peut résulter d’une intention libérale. Ce même article consacre ce principe en disposant d’une nullité d’ordre public pour sanction. L’utilisation de la fiducie à des fins d’anticipation successorale par donation ou par testament n’est donc pas rendue possible par la loi.