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Phyllis Lambert, architecte montréalaise et pionnière de la défense du patrimoine

Figure emblématique de l'architecture d'après-guerre, Phyllis Lambert laisse une empreinte indélébile sur Montréal et au-delà. Fille de la prestigieuse famille Bronfman, l'une des plus influentes de la ville, elle s’est imposée comme une femme de pouvoir et une architecte de renom.

Phyllis LambertPhyllis Lambert
Phyllis Lambert, la maison Shaughnessy, et le jardin de sculptures du CCA, 1989 (tirage à la gélatine argentique, 10 × 15,5 cm) Centre canadien d’architecture, Fonds Phyllis Lambert, Montréal, ARCON1990:0023. © D.R
Écrit par Mélanie Pierre
Publié le 21 février 2025, mis à jour le 3 mars 2025

 

Née le 24 janvier 1927 à Montréal, Phyllis Lambert est aujourd’hui une architecte reconnue et la directrice fondatrice du conseil des fiduciaires du Centre Canadien d’Architecture (CCA), le plus important centre de recherche international. Lors de sa fondation en 1979, Phyllis Lambert est convaincue que l’architecture est un sujet du plus haut intérêt public. 


 

Cheffe de projet du building qui a changé New York

Ses débuts dans l’architecture sont symbolisés par une lettre : le 28 juin 1954, Phyllis Lambert rédige une missive de huit pages dans laquelle elle s’offense du projet choisi par son père pour le Seagram Building. 

 

 

Phyllis Lambert et son père

Phyllis Lambert et son père, Samuel Bronfman,1955 (tirage à la gélatine argentique, 20,3 × 25,5 cm).
Centre canadien d’architecture, Fonds Phyllis Lambert, Montréal, PLPH005.053. © D.R.

 

 

Le Seagram Building est une tour de bureaux de 38 étages. Son influence est considérable dans les années 1960, devenant le prototype d'un style commercial de gratte-ciel américain.


 

Elle écrit : “Tu dois construire un bâtiment qui exprime le meilleur de la société dans laquelle tu vis et, en même temps, tes espoirs d'amélioration de cette société. Tu as une grande responsabilité, et ton bâtiment n'est pas fait que pour le personnel de tes sociétés mais plutôt destiné à tous, à New York et dans le reste du monde”. En réponse, Samuel Bronfman demande à sa fille de revenir à New York, depuis Paris, pour faire le choix d'un architecte. Elle est nommée cheffe de projet. 

 

 

Seagram Building Espace en négatif
Phyllis Lambert, Espace en négatif, Seagram Building, New York City, 1968 (tirage chromogénique).
Collection Phyllis Lambert, Montréal, PL-1596. © Phyllis Lambert.

 

 

Son engagement actif pour la préservation du patrimoine

 


“Je veux montrer qu'il y a des bâtiments fantastiques à Montréal. Je ne le fais pas dans un but de préservation, mais pour comprendre comment une ville grandit”, exprime Phyllis Lambert.

 

Dans les années 1970, Phyllis Lambert rentre à Montréal. Elle commence sa lutte pour la préservation des bâtiments en pierres grises. Typiques de l’architecture traditionnelle de Montréal, ces bâtiments font l’objet de projets de démolition. Elle décide de lancer des campagnes documentaires, puis se consacre à des projets de conservation. Elle explique : “Je veux montrer qu'il y a des bâtiments fantastiques à Montréal. Je ne le fais pas dans un but de préservation, mais pour comprendre comment une ville grandit”. Elle ne conçoit pas la conservation patrimoniale comme une collection d'objets, mais comme une activité qui va de pair avec le bien public et une certaine forme d'éducation. Il s'agit de préserver “les éléments d'une ville au riche palimpseste de différentes époques et différentes approches d'aménagement de l'espace public”

 

En 1975, Phyllis crée Héritage Montréal, une organisation privée qui œuvre en faveur de la promotion et à la protection du patrimoine montréalais. Son succès se concrétise lorsqu’elle joue un rôle clé dans la transformation du quartier Milton-Parc. Elle le sauve des promoteurs grâce à une coopérative issue d’une initiative communautaire.


 

Phyllis est surnommée “Jeanne d'architecture” ou encore “Notre-Dame de la restauration” tant son rôle dans cette guérilla urbaine est de grande ampleur.



 

La photographie comme outil de résistance

Phyllis Lambert travaille beaucoup avec la photographie. C’est de cette manière qu’elle agit contre la destruction des bâtiments en pierres grises. Entre 1973 et 1974, elle réalise, avec l'aide du photographe britannique Richard Paré, une série de photos de ces bâtiments.

 

 

Les pierres grises de Montréal

Phyllis Lambert, Richard Pare, Les pierres grises de Montréal 1685–1920 : vue aérienne des institutions fondatrices de Montréal au XVIIe siècle avec, en arrière-plan, les infrastructures portuaires du XXe siècle, 1972-1974. Collection Phyllis Lambert © Phyllis Lambert © Richard Pare © CCA.

 

 

Les photographies révèlent les relations entre croissance de la ville, acteurs individuels, changements sociaux et un matériau de construction.

 

En 2025, elle figure parmi les femmes mises en lumière dans l’exposition Histoires Croisées Gae Aulenti, Ada Louise Huxtable, Phyllis Lambert, sur l’architecture et la ville de Léa-Catherine Szacka. Cette professeure associée en études architecturales, en fouillant dans les archives de ces trois figures emblématiques de l'architecture du XXe siècle, parvient à créer une exposition documentaire. Lors du vernissage, Phyllis Lambert partage son ressenti : “Je considère ces photos comme du documentaire et de l’art, car elles ont non seulement servi un but, mais elles sont aussi devenues célèbres”. Pendant sa visite, l’architecte canadienne souligne l’importance de ces images au moment de leur capture : “À mon époque, on apprenait à connaître une ville à travers ses bâtiments”, confie-t-elle.

 

 

Phyllis Lambert à l'exposition Histoires Croisées
Phyllis Lambert au vernissage d'Histoires Croisées au Centre Culturel Canadien © Mélanie Pierre


 

De grandes récompenses pour de grands accomplissements

À l’âge de 98 ans, elle vit toujours à Montréal. Figure emblématique de l’architecture contemporaine, elle est reconnue internationalement pour ses contributions significatives à l’avancement de l’architecture contemporaine et pour la défense des aspects sociaux de la conservation du patrimoine urbain.

 

Lors de la Biennale d'architecture de Venise, en 2014, elle reçoit le Lion d’or d’honneur, une distinction qui couronne l’œuvre d’une vie. Cette récompense souligne son engagement dans la valorisation de l’architecture publique : du Seagram Building au Centre Canadien d’Architecture.

 

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