Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

Handicap et tourisme en France : en progrès mais peut mieux faire

tourisme handicaptourisme handicap
© Marie Fournier - HandiTourGuide
Écrit par Justine Hugues
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 3 décembre 2020

En matière d’accessibilité aux personnes en situation de handicap, la France fait deux pas en avant, trois en arrière. Preuve en est la loi ELAN qui vient d’être votée à l’Assemblée et qui rétrécit le champ des obligations faites aux constructeurs. Le tourisme n’échappe pas à la règle : décryptage. 

 

Eté 1936.  Alors que les congés payés font leur apparition, l’Association des Paralysés de France (APF) lance son service « évasion »,  sous le leitmotiv « si eux partent en vacances, pourquoi pas nous ? » A la fin des années 1990, les personnes porteuses de handicap ont, pour autant, toujours l’impression d’être le « parent pauvre du tourisme », raconte Annette Masson, présidente de l’association Tourisme & Handicaps. Forts des préconisations du rapport Gagneux, les associations de professionnels du tourisme et de personnes handicapées décident de mettre en place un moyen d’identification fiable des établissements accessibles. « Afin qu’on ne soit pas obligé de téléphoner 10 fois pour vérifier, ce qui était fort désagréable », explique Annette Masson. Le label – qui deviendra marque d’Etat- "Tourisme & Handicap" est né. Son objectif ? Apporter une information objective et homogène sur l’accessibilité des sites et des équipements touristiques aux quatre familles de handicap (auditif, mental, moteur et visuel) et développer une offre touristique adaptée et intégrée à l’offre généraliste.

 

Accompagnement individuel, séjours collectifs et inclusifs : le handitourisme continue de grandir

 

Pour Marjolaine Viala, directrice d’APF évasion, « les formats de séjour ont évolué. Si, à nos débuts,  il était question de faire partir le plus d’enfants en colonie, aujourd’hui, nous nous sommes professionnalisés du point de vue de la sécurité et de la qualité de l’offre ». Chaque année, l’association organise le départ de près de 1.200 personnes porteuses de handicap, dont 80% d’adultes. Les séjours varient en fonction de l’autonomie de la personne, du rythme des activités qu’elle souhaite et de son budget.  « Nous avons une politique pour mêler les personnes fortement dépendantes des personnes qui le sont moins, afin d’avoir des groupes hétérogènes », affirme Marjolaine Viala. « Mais nous accompagnons aussi des groupes «  à fond la vie », qui réalisent de multiples activités, tout comme des groupes médicalisés avec deux infirmiers 24h/24. L’idée est d’avoir un panel suffisamment diversifié pour que chacun y trouve son compte », poursuit-elle.  

 

« Lorsque j’étais auxiliaire de vie à domicile, une personne que j’accompagnais m’avait, un jour, demandé - est-ce que vous connaissez quelqu’un qui pourrait me faire sortir ? » se souvient Marie Fournier, qui monte en 2016 Handi'TourGuide, afin d’offrir un accompagnement individuel sur-mesure aux personnes handicapées. « Certaines personnes n’ont pas nécessairement envie de partir en groupe », justifie la jeune femme qui cumule des années d’expérience comme auxiliaire de vie et guide touristique. « Les personnes décident de ce qu’elles ont envie de faire et je suis là pour aider à organiser et les accompagner lors de voyages ou de loisirs culturels », précise Marie Fournier. De Sète en Israël, les services de Marie ont déjà conquis de nombreuses personnes porteuses de handicap moteur, visuel, mental, et même des séniors. C’est le cas d’Edouard Scheidecker, handicapé moteur depuis sa naissance, qui a récemment voyagé avec l’accompagnatrice à Toulouse et Ibiza. « Souvent, les séjours adaptés impliquent de partir en groupe, de se plier à un planning, tandis qu’avec Marie, on fait ce qu’on veut, quand on veut. Cela change de notre quotidien réglé comme du papier à musique », raconte-t-il.  

 

tourisme handicap
© Marie Fournier - HandiTourGuide

 

Enfin, se sont développés les séjours « inclusifs », au cours desquels des personnes handicapées voyagent aux côtés de personnes valides. « Aujourd’hui, on travaille avec une cinquantaine d’organismes partenaires, qui accueillent dans leurs colonies un ou plusieurs jeunes en situation de handicap », précise Marie-Noëlle Hubert, responsable de l’activités sites en France chez APF évasion. « Les enfants ont cette capacité à oublier le handicap très vite », affirme Marjolaine Viala. « Il est toujours plus facile à inclure chez les petits : ce sont des moments incroyables bien que fragiles ». 

 

 

« A Paris, capitale mondiale du tourisme, une seule ligne de métro est entièrement accessible »

 

« Il y a de fortes inégalités entre les régions et les pays. En Espagne, par exemple, ils ont su s’adapter aux personnes handicapées et vieillissantes. Ils sont vraiment au top au niveau des trottoirs, des rampes », expose Marie Fournier. « A Paris, capitale mondiale du tourisme, une seule ligne de métro est entièrement accessible.  Il faut toujours demander les autorisations très en avance, souvent les ascenseurs ne marchent pas. Mettez-vous à leur place : ce ne sont plus des vacances ! » déplore-t-elle.  Pour Edouard Scheidecker, l’accessibilité au tourisme pour les personnes handicapées en France demeure incomplète. « On ne peut pas se lever un matin et se dire « j’irais bien là ». Tous les services d’accessibilité doivent être réservés à l’avance. L’application de la loi de 2005 (loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, ndlr) est repoussée dans plein de cas : il y aura toujours un prétexte pour ne pas se mettre aux normes », regrette-t-il.  

 

« Si les élus considèrent que le tourisme accessible est une priorité, alors le nombre d’institutions labellisées est important », explique Annette Masson. « En Charente-Maritime par exemple, plusieurs personnes travaillent sur ce secteur à temps plein. Mais dans beaucoup d’autres régions, ils s’en fichent.

Il n’y a aucune spontanéité : on travaille à l’accessibilité uniquement quand on y est obligé 

Pour celle qui préside également la commission accessibilité à l’Organisation Internationale du Tourisme Social, certains pays d’Europe du nord ont avancé beaucoup plus vite. «  Là-bas, on ne se pose pas de question quand on construit et rénove des sites et établissements touristiques : c’est devenu un automatisme. Chez nous, il y a encore trop d’arrangements et de pressions au niveau local, qui expliquent qu’on autorise parfois la construction de bâtis qui ne respectent pas les règles d’accessibilité. On peut comprendre qu’on ait du mal à rénover l’ancien, mais dans le neuf, c’est inadmissible ». 

 

 

« Là ou cela fonctionne bien, c’est quand il y a un engagement volontaire et une évolution des mentalités »

 

« Mon voyage aux Etats-Unis, il y a quatre ans, est le premier où je me suis senti valide en fauteuil », retrace Edouard Scheidecker. « Je me souviens que dans un aéroport, le restaurant était plein, le serveur a fait bouger tout un groupe pour que je puisse m’installer ». Pour lui, les mentalités françaises évoluent lentement au sujet du handicap. « En France, on m’aurait dit : pousse-toi, je mange mon steak », dit-il en blaguant. « Je ne dis pas que nous sommes les plus nuls, mais nous avons encore besoin de ramer pour y arriver ». 

 

« Là ou cela fonctionne bien, c’est quand il y a un engagement volontaire et une évolution des mentalités », expose Annette Masson. « Dès que les employés des établissements sont formés, ils sont immédiatement plus serviables. Dans le tourisme, l’intégration du handicap suit son cours, mais c’est très lent », détaille-t-elle. 

 

Propos partagés par Marie Fournier, qui fait continuellement et « naturellement » un travail de sensibilisation sur le terrain.

Lorsqu’on pose des questions aux établissements en amont, on leur fait prendre conscience de toutes les choses auxquelles il faut penser. Sur place, ils réalisent que les personnes handicapées sont comme les autres 

La jeune femme se heurte parfois à quelques récalcitrants. « Quand on me fait payer plein tarif lorsque j’accompagne une personne handicapée dans un musée, comme si j’étais là pour visiter », déplore-t-elle. « Il y a beaucoup de personnes qui ont des peurs et des blocages, c’est dommage, on est en 2018 ». 

 

« Globalement, bien que la France soit très en retard sur les besoins dans le combat pour l’accessibilité, le regard évolue. On a de plus en plus de retours positifs, voire admiratifs, des responsables de sites sur l’accueil du personnel et aussi les autres vacanciers », conclut avec optimisme Marjolaine Viala. 

Pensez aussi à découvrir nos autres éditions