Pour son 10e spectacle en solo, D’ailleurs, l’humoriste Gad Elmaleh fait le bilan à mi-étape d’une vie faite de rires, de voyages et d’anecdotes multiculturelles. De retour en France après sa longue parenthèse américaine, l’artiste a fait de cette tournée de sincères retrouvailles avec la France mais aussi le Québec, une région qui lui est particulièrement chère. Gad Elmaleh nous livre dans cet entretien exclusif sa vie d’expatrié, son rapport avec le public et sa vision de la France.
Pour reprendre le titre de votre nouveau spectacle, qu’est-ce qui fait de vous un Gad d’ailleurs ?
Il y a deux significations pour moi dans le titre de ce show. Le « d’ailleurs » a une signification géographique, voire même identitaire. Je suis justement d’ailleurs. Je suis un immigré, un expatrié. Je l'ai toujours été puisque je suis né et j’ai grandi au Maroc. J'ai immigré au Québec, plus précisément à Montréal. J’étais alors l’étudiant marocain au Canada. Et puis après, je suis venu en France et bizarrement, les Français m'ont pris pour un Québécois. Ils trouvaient plus original que je vienne du Canada plutôt que du Maroc. Ensuite, je suis parti vivre aux États-Unis. Là bas, j’étais le Français. Cela m’a amusé. J'aime ces identités multiples.
Le deuxième sens de « d’ailleurs » est une forme d’interjection pour attirer l’attention de son auditoire. Il y a un côté « d’ailleurs, il faut que je vous raconte ». Cela du sens pour ce spectacle qui est quelque part un bilan, à mes 50 ans. Ce spectacle est très intime et avec tout ce qu’on a vécu avec cette pandémie, j’avais envie qu’on fasse un point.
Je me suis toujours servi de mes expériences à l'étranger comme levier d’inspiration
Votre parcours est marqué par plusieurs cultures, plusieurs expatriations et expériences à l’étranger. En quoi cela a influencé votre humour ?
Je m’en suis toujours servi. Mon dernier show en anglais s'appelle American Dream. J’y parle de mon regard sur les Etats-Unis en tant que français et francophone. Quand je pars du Maroc pour le Canada, je parle de mon arrivée en tant que Marocain. Quand j’arrive en France, je parle du Québec. Je me suis toujours servi de ces expériences comme levier d’inspiration. Je parle des lieux d’où je viens pour les mettre en perspective. Cela offre aux personnes qui habitent ces endroits, que ce soient les États-Unis, le Québec ou la France, une autre vision de leur propre paysage culturel.
Est ce que l’humour est la meilleure des cartes de visite quand on part s’expatrier ?
Totalement et pas uniquement en tant qu'humoriste professionnel. Je pense que dans le langage quotidien, la connexion avec une autre personne se fait par l'humour. J’ai toujours pensé que l’humour et le sport sont les deux langages universels. Ce sont deux domaines où on reste authentique. Avec l’humour, on peut se dire les choses et faire des observations. Les gens se connaissent par l'humour.
L'humour voyage énormément
Lorsque vous avez fait votre spectacle en anglais, avez-vous dû repenser complètement votre humour ?
Si j'avais dû traduire mon spectacle du français vers l'anglais, j'aurais dû faire des adaptations. Mais là, j’ai créé un matériel original en anglais, sur un Français qui arrive aux États-Unis. C’était vraiment un spectacle autobiographique. Je me suis pas soucié de l'adaptation. J'ai pris dans la forme l'adresse au public du stand up américain, que j'ai pratiqué dans les clubs de New York. Pour le fond, j'ai pris la matière qui était celle de mon expatriation et de ma découverte des États-Unis. Finalement, j'étais comme un humoriste américain qui fait du stand up, sauf que mon récit était celui d'un expatrié français. D'ailleurs, l'humour voyage énormément. Les Français ont très peur que leur humour ne soit pas compris à l’étranger pourtant quand on est dans la vérité, tout le monde le comprend.
Vous êtes parti il y a quelques années aux Etats-Unis en vous frottant au monde du stand-up américain. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette période ?
C'était vraiment la réalisation d’un rêve, d’un fantasme. Je rêvais d’être un jour sur le canapé de Jimmy Fallon et je suis super fier de l’avoir fait. Après, je dois dire que nos cultures sont tellement éloignées, que cela n’a pas toujours été simple. Et puis, ce n'était pas possible de rester loin de mon plus jeune fils. Si, en tant que expatrié, on veut vraiment réussir et être acteur de la société qu'on embrasse, il faut y rester. Il faut prendre le temps de construire les relations sur place et être présent pour pouvoir saisir les opportunités. C’était dur pour moi parce que je n’y passais à chaque voyage que quelques semaines voire 2 mois tout au plus. Il y avait des opportunités qui auraient pu grandir davantage, mais je ne suis pas frustré. J'ai vécu de très belles choses et je suis allé au bout des choses avec cette volonté de rester un père connecté avec mes enfants.
Après une grande tournée aux Etats-Unis, vous êtes de retour en France. Aviez-vous une petite appréhension à retrouver la scène et le public français ?
J'avoue que vous m’auriez posé cette question il y a quelques mois, je vous aurais franchement dit oui. J'ai eu peur et je me suis demandé si le public serait toujours là et si mon humour était toujours d’actualité. J’ai été absent de la scène française pendant plus de cinq ans et j’avais hâte de retrouver le public. Après trois mois de tournée, la seule chose que je peux dire, c'est que non seulement cela se passe bien, mais qu’il y a de véritables retrouvailles avec le public et une vraie reconnexion.
Le Québec est un lieu important pour moi
Le 30 octobre, vous serez également à Montréal, qu’est-ce que cela vous fait de revenir jouer au Québec ?
Le Québec est un lieu important pour moi. J’y ai passé quatre années très importantes. Cette expatriation a eu lieu à un moment charnière dans la vie d'un jeune homme entre 17 et 21 ans, et j'en garde des souvenirs très forts. Cela a été un éveil à la culture nord américaine, aux femmes, à l’école de style américaine. J’y ai vécu une certaine solitude aussi et j’y ai appris l’adaptation à une autre culture. J’y ai vécu plein de choses qui étaient nouvelles pour moi en tant que jeune Marocain. Le Québec, c’est aussi là où j’ai fait mes premiers pas en tant qu'humoriste. Revenir jouer le 30 octobre au Centre Bell à Montréal, dans l’une des plus grandes salles du Québec, c’est une joie et un véritable symbole.
Dubaï est aussi une destination très plaisante pour une tournée
Parmi vos prochaines dates dans cette tournée, vous vous produirez aussi à Dubaï. Pourquoi avez-vous souhaité y jouer ?
Il y a un festival de comédie international qui a lieu tous les ans à Dubaï, le Dubaï Comedy Festival. Des humoristes de plein de pays du monde et de pays qu'on ne connaît pas bien, y participent. Ce festival est très surprenant puisque des Iraniens se produisent en anglais, des Libanais en français, des comiques français en langue arabe ou des comiques du Moyen-Orient en anglais. J’aime beaucoup ce festival et puis Dubaï est aussi une destination très plaisante pour une tournée.
En parlant d’autres humoristes, que pensez-vous de la jeune génération française ?
Je suis très à l'écoute de la scène française et je vais souvent dans les comedy clubs à Paris. Je suis très présent sur les scènes ouvertes, les Open Mike et les endroits où ils testent leurs blagues. Ça me fait beaucoup de bien d'être connecté aux jeunes talents comme Roman Frayssinet, Paul Mirabel, Redouane Bougheraba, Tareek, Ahmed Sparrow ou Maxime Gasteuil. Je connais vraiment bien la nouvelle génération et je crois que cela nous permet de pas nous ringardiser.
La culture woke a eu des dérives qui deviennent risibles quelque part
Et qu'est ce que vous répondez aux personnes qui pensent qu’on ne peut plus rire des mêmes choses ?
D'abord, je pense que cela a toujours existé, mais sous différentes formes. J'ai arrêté de me battre contre certaines choses. Il faut s'adapter. Aujourd'hui, on peut toujours tout dire mais la forme doit être modifiée pour qu'on nous écoute. Je me moque de ça dans mon dernier spectacle. J’ai un passage où je parle du genre et je me moque de cette dame à qui on dit « bonjour madame » et qui répond « Pourquoi vous dites Madame ? Qui vous dit que je suis une femme ? ». En faisant cela, je me moque ni des femmes ni des hommes. Je me moque d'un état d'esprit actuel où on veut réinventer presque les fondamentaux, où on veut réinventer la nature humaine comme une mode.
La culture woke a fait évoluer certaines causes et a mis en avant des problématiques réelles comme les abus. C'est une réalité que je partage et à laquelle je suis attachée. Mais à côté de cela, il y a eu des dérives qui deviennent risibles quelque part. Je pense que les humoristes sont là pour s'en moquer. Concernant la fameuse question « peut-on rire de tout ? », j'ai toujours dit oui, mais tout dépend de la forme et du message que tu veux transmettre.
N’occultons pas la présence de communautés en France
Justement, quel est le message de ce nouveau spectacle ?
J'attaque ce spectacle avec des thématiques plus tristes que d’habitude puisque je parle de la mort, de la religion en France, de la laïcité. J'essaie d'envoyer un message de fraternité, mais aussi un message de vérité. Arrêtons de nous voiler la face. Arrêtons de dire qu’il ne faut pas parler de religion en France parce que cela crispe. Arrêtons de mettre la laïcité en avant. Certes, je suis attaché à la laïcité dans la politique, mais pas dans le quotidien. Admettons et acceptons qu'il y a des gens de confessions différentes qui pratiquent une foi, un culte ou une spiritualité qu'il faut respecter. La laïcité pour moi c’est pouvoir pratiquer sa religion à fond mais ne pas emmerder les autres. N’occultons pas la présence de communautés en France. Elles existent et font sa richesse. Soyons connectés plutôt que d'avoir peur les uns des autres.
La France m'a permis de me réaliser comme artiste
A votre arrivée à Paris, la France était une terre d’expatriation, que représente-t-elle aujourd’hui à vos yeux ?
La France m'a permis de me réaliser comme artiste. Ce n'est pas une formule, c'est une réalité. J’ai dû me battre. Cela n’a pas été facile. Mais la France m’a ouvert les bras et c’est grâce à elle que j’ai pu devenir un artiste.